lundi 13 août 2018

Ceux d'à côté (Tobias Wolff)


Je me réveille, affolé. Ma femme est assise au bord de mon lit, elle me secoue. « Ils remettent ça », dit-elle.
Je vais à la fenêtre. Ils ont toutes les lumières allumées, à l'étage et en bas, à croire qu'ils ont de l'argent à brûler. Il braille, elle hurle en retour, le chien aboie. Il se fait un bref silence, puis le bébé pleure, pauvre gosse.
« Tu ferais mieux de ne pas rester là, dit ma femme, ils pourraient te voir. »
Je dis :
« Je vais appeler la police, sachant qu'elle m'en empêchera.
— Non », dit-elle.
Elle a peur qu'ils empoisonnent notre chat si nous allons nous plaindre.
L'homme d'à côté braille toujours, mais je ne distingue pas ses paroles entre le chien et le bébé. La femme rit, sans conviction. « Ha ! Ha ! Ha ! », avant de pousser un petit cri, soudain et aigu. Tout redevient calme.
« Il lui a encore balancé du Cioran dans la figure, dit ma femme. J'ai senti le coup exactement comme si c'était moi qui l'avais reçu.
— Non, c'était du Beckett, rétorqué-je.
— Du Cioran, je te dis. Un aphorisme d'Écartèlement : "Exister est un phénomène colossal — qui n'a aucun sens." Je l'ai entendu distinctement.
— Oh, bon, d'accord, c'était du Cioran. Ça change quoi ? L'essentiel est que, derrière l'excès du propos, travaille, avec une infatigable ardeur, l'implacable lucidité d'un homme qui ne cesse d'expérimenter sa propre finitude dans le but d'identifier l'incommensurable distance qui le sépare de cet absolu auquel tout son être paradoxalement aspire. Tu ne crois pas?
— Face de slip ! Pourquoi tu as dit que c'était du Beckett ? Tu essaies de m'humilier ou quoi ? Moule à merde ! Féminicide ! »
C'était parti. Et chez nous, cette fois.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

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