« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
jeudi 20 septembre 2018
Métaphore canine
Le Moi du suicidé philosophique n'est jamais le fidèle compagnon, mais le molosse aux babines saignantes. Le Moi du vulgaire, au contraire, est une créature comparse, vide de sens.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Grosse baleine
« Le beau squelette de cétacé que l'on voit actuellement en cette ville, provient d'un individu trouvé mort en mer, à peu de distance du port d'Ostende, au mois de novembre 1827. On en a publié une lithographie, qu'on dit faite d'après nature, et qui prouve évidemment que cet animal appartient au genre Baleinoptère de Lacépède, et à son second sous-genre caractérisé par des plis longitudinaux sous la gorge et sous le ventre. » (P.-L. Van der Linden, Notice sur un squelette de baleinoptère exposé à Bruxelles en juin et juillet 1828, Voglet, Bruxelles, 1828)
L'écrivain et philosophe Albert Caraco a-t-il pu contempler ce squelette de cétacé ? Son œuvre, incroyablement nihiliste et pessimiste, où il compare souvent le Grand Tout à une « grosse baleine », le laisse supposer. Toujours est-il que le 7 septembre 1971, en son domicile du 34 rue Jean-Giraudoux, Caraco se suicide par pendaison quelques heures après la mort de son père, conformément à l'esprit morbide de ses écrits.
Auteur prolifique, Caraco demeure ignoré du grand public, ce que Gragerfis explique par « l'intransigeance de sa littérature, son côté pince-sans-rire et ses déclarations propres à scandaliser le vulgum pecus ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
mercredi 19 septembre 2018
Histoire de Ouin-Ouin
Après le dîner du lendemain, Velasquez s'offrit de lui-même à reprendre son récit, ce qu'il fit en ces termes :
« C'est Ouin-Ouin qui va chercher sa femme à la gare de Neuchâtel... »
Mais voyant que le cabaliste lui lançait un regard noir, il préféra ne pas aller plus loin.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Sans trève ni repos
Charles Péguy, qui allait trouver la mort au front de Villeroy le 5 septembre 1914, semble déjà hanté par le spectre de la rétention, comme le montre cette confidence faite en septembre 1913 à son ami Joseph Lotte : « Il faut que je produise jusqu'à ce que je meure. Je n'ai pas le droit de m'arrêter. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Un infatigable polygraphe
Comme le Khlestakov du Revizor, le Grand Tout « écrit aussi des vaudevilles ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Impuissance du Dasein
L'étant existant — le fameux Dasein des existentialistes — ne veut pas mourir, ni monter là-haut, ni descendre en bas, ni passer au laminoir, ni qu'on le jette dans le feu, ni qu'on le martyrise avec des couteaux empoisonnés, ni que le Rien le regarde avec ses yeux. — Mais ce que veut et ce que ne veut pas l'étant existant, la « nécessité » chère aux idéalistes allemands s'en « tamponne le coquillard ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Accipitres
Comme Rébecca demandait à Velasquez de nous exposer la genèse de son système, il commença ses explications en ces termes :
« Les rapaces sont aussi appelés accipitres. »
L'heure étant venue de faire halte et de dresser les tentes, Velasquez dut remettre à plus tard la suite de son exposé.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Ineffable
Non seulement l'excrément unit la chair et l'esprit, mais il rassemble encore le dicible et l'indicible. Il est cet accord avec l'ineffable sur quoi repose toute profération. Mais l'écoute de l'ineffable exige une lenteur à laquelle est peu enclin l'homme saisi par un besoin pressant.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Oscillation douloureuse
Je me transporte, par une hyppalage hardie, de l'être au non-être, et retour.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Une dignité sans égale
La physionomie des Maures est sévère, rembrunie, bilieuse, comme celle du suicidé philosophique mais sans l'austère dignité qui distingue ce dernier.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Défaut de portance
La « fin de vie », qu'elle prenne la forme du marasme sénile, de la maladie, ou des deux à la fois, est l'occasion privilégiée de faire ou d'approfondir l'expérience de la solitude.
Le psychologue suisse Quinodoz désigne sous le nom de portance (terme d'aéronautique désignant la force qui permet à un aéronef de se maintenir en altitude) l'aptitude acquise dès le plus jeune âge à supporter la solitude grâce à la présence intériorisée de la mère. Que vienne à manquer la santé, que le médecin reconnaisse son impuissance à nous regonfler, et nous voilà seuls. Quelque chose de notre portance est menacé ; nous avons, en quelque sorte, du plomb dans l'aile.
C'est ce qui arriva au philosophe — ou, comme il préférait se faire appeler, au « créateur de concepts » — Gilles Deleuze. Victime de sa trop grande imagination conceptuelle, et désireux d'échapper aux tourments d'une grave maladie respiratoire, il profita de son défaut de portance pour se détruire le 4 novembre 1995 en se défenestrant de son appartement parisien.
« Ce sont les organismes qui meurent, pas la vie. » avait-il déclaré — assez platement, à l'estime de Gragerfis — peu avant, dans un entretien.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Phosphore
Le lendemain matin, nous nous mîmes en route dès le lever du jour. Le Juif errant ayant fait sa réapparition, le cabaliste lui ordonna de reprendre son récit, ce qu'il fit en ces termes :
« Le phosphore existe dans la nature à l'état de phosphate ; on en trouve également dans les os, le système nerveux, l'urine et dans la laitance des poissons. Il fond à 44°. Soluble dans le sulfure de carbone, il se transforme, lorsqu'on le chauffe dans le vide ou dans l'azote à 240°, en un produit dit phosphore rouge. Ce phosphore n'est pas vénéneux, tandis que le premier est un poison violent. Le phosphore est employé à la fabrication des allumettes chimiques. »
Courroucé par ces propos, le cabaliste le renvoya aussitôt vers les sommets de l'Atlas.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
mardi 18 septembre 2018
Entre-deux
L'excrément est simultanément dans le temps et hors du temps, engagé dans ce monde mais dans un autre monde : contradiction essentielle dont le sujet déféquant ne peut sortir que par un coup de force, un effort presque désespéré de ses muscles abdominaux.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Les adieux à Gand
Avant de commettre l'homicide de soi-même, le poète flamand Jacob van Zevecote (1604‒1646) coucha sur le papier ce déchirant poème d'adieu : « En avant, il faut partir : adieu, douce patrie, qui si souvent éveillais ma veine. Adieu, champs d'Oostacker ; quand les soins et les peines me tourmentaient, votre herbe vive, votre inépuisable verdure dissipaient mes angoisses. Gand, je ne te verrai plus ! Ma nacelle ne me portera plus jusqu'à Tronchiennes, le long des vertes prairies où s'engraissent et pâturent les bœufs que le Danemark nous envoie. Adieu, adieu ! il faut partir ; je dois escalader l'étroit sentier des rochers dont la tête hardie, toujours couverte de neige, défie les hauteurs des cieux. » — On ne fait pas plus poignant.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Vermineuse haeccéité
« Seigneur, hélas ! quel genre cruel de mort j'endure ! Si j'étais livré au bourreau, les tourments enfin m'auraient ôté bientôt la vie ; et si les bêtes féroces me rencontraient dans le désert, elles auraient en peu de temps fait curée de mon corps, mais hélas ! je suis rongé tout vif par cette vermine, et je ne saurais mourir. »
Ainsi parle le désespéré que vrille incessamment la carnassière haeccéité.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Une existence stérile
Quand l'homme du nihil se retourne sur sa vie, tout ce qu'il voit, c'est un monceau de matière excrémentitielle. Et tandis que dans la commune de Bron (Rhône), l'emploi de la matière fécale « permet aux terrains de porter chaque année les récoltes les plus épuisantes telles que du blé, du chanvre, de l'orge, des pommes de terre » 1, dans son cas, nul blé, nulle orge, nulle pomme de terre, rien n'a germé. Il en est si abattu que c'est à peine s'il trouve la force nécessaire pour continuer d'exister, et pour annoncer par des gémissements dignes du prophète Jérémie les souffrances qu'il éprouve d'un tel fiasco.
1. Bulletin agronomique et industriel, J.-B. Gaudelet, Le Puy, 1840.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Poire
Le lendemain, le Bohémien, qu'une décoction d'herbes préparée par le cabaliste avait remis sur pied, put reprendre son histoire en ces termes :
« La poire est un fruit des plus savoureux, comme le nihil. On en fait des compotes et des confitures. Il existe d'innombrables variétés de poires que l'on classe d'après leur destination et l'époque de leur maturité. Il y a le doyenné, le beurré, la crassane, la bergamote, la duchesse, la louise-bonne, le bon-chrétien, la fondante, etc. »
Mais il ne put aller plus loin, car une affaire urgente réclamait sa présence parmi les gens de sa horde.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Cercle vicieux
Toute l'histoire du constipé est celle d'une issue impossible, toute son existence tend vers une libération que cette tension même empêche.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Distractions variées
Il existe plusieurs façons de dissiper l'ennui, cette complication de la funeste maladie qu'on nomme l'existence. Tandis qu'un ciel azuré, des sites pittoresques et des campagnes verdoyantes suffisent à la plupart des individus, d'autres ont besoin d'un flacon de taupicide ou d'une corde de violoncelle pour se soustraire aux tristes préoccupations qui les poursuivent.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Définitions du Moi
En psychanalyse freudienne et kleinienne, le Moi est « une instance qui aménage les conditions de satisfaction des pulsions en tenant compte des exigences du réel ». Son rôle initial est, toujours dans l'interprétation freudienne et kleinienne, d'établir un système défensif à la Vauban entre la réalité externe et les « exigences pulsionnelles ».
L'homme du nihil, lui, décrit plus simplement le Moi comme son fléau, un « sinistre polichinelle » qui l'accable de ses singeries et tente incessamment de le ridiculiser. Mais... rira bien qui rira le dernier, grommelle-t-il en fourbissant son revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
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