lundi 12 décembre 2022

Synesthésie

 

Quand le mnémoniste russe Solomon Cherechevski était confronté au nombre quatre-vingt-sept, une image se présentait immédiatement à son esprit : celle d'une grosse femme accompagnée d'un homme tortillant sa moustache. Cela n'empêcha pas le mnémoniste d'atteindre l'âge respectable de soixante-douze ans. Soixante-douze : un homme tortillant sa moustache accompagné d'une femme de haute spiritualité.

(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Kafka au bistrot

 

« Exprimons le désespoir de l'homme devant l'absurdité de l'existence, et puis allons boire un bon coup au Calice (chez le petit père Palivec) pour oublier tout ça. » (Franz Kafka, Lettre à Max Brod)

(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Philosophes de petite taille

 

Pourquoi s'obstiner à déblatérer sur l'être et le néant, alors que Gorgias a déja tout dit ? Dans son traité Sur le non-étant, il démontre avec une rigueur implacable que : premièrement, rien n'existe ; deuxièmement, même s'il existe quelque chose, l'homme ne peut l'appréhender ; troisièmement, même si on pouvait l'appréhender, on ne pourrait ni le formuler ni l'expliquer aux autres. On lit ça, et d'un coup, Heidegger, Sartre, Wittgenstein, apparaissent pour ce qu'ils sont : des « petits nains » — et verbeux avec ça.

(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Sensibilité post-mortem

 

Parménide dit que les cadavres sont encore sensibles au froid, au silence et à l'obscurité. Pour le silence et l'obscurité, il ne propose rien, mais pour le froid, il recommande de les vêtir d'un slip en laine avant de les inhumer (et c'est ce que firent les Athéniens pour le stratège Cimon, au dire de Stésimbrote de Thasos).

(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

dimanche 11 décembre 2022

Andréa c'est toi

 

L'homme est si peu fait pour la solitude qu'il ne recule devant aucune humiliation pour y échapper. Il se tourne vers la première créature venue et, reprenant l'exclamation pathétique du chanteur Boby Lapointe, lui lance : « Dis, à m'aimer, consens, va ! »

(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Vertu mal récompensée

 

Comme Hippolyte, le nihilique a poussé la vertu jusqu'à la rudesse. Ses chagrins — provoqués par une mégère difforme au faciès d'hippopotame — l'ont accablé avec une inflexible rigueur. Mais ils ne l'ont pas corrompu, oh non ! S'il ne craignait l'emphase, il pourrait dire que le jour n'est pas plus pur que le fond de son cœur. Et qu'est-ce que ça lui a rapporté ? Peau de révérence parler zob. Un matin, au sortir d'un rêve agité, il s'est découvert frappé d'alopécie, voilà ce que ça lui a rapporté !

(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Rue du panaris

 

Plutôt que de donner aux rues des noms de « grands hommes », on devrait peut-être leur donner des noms de maladies, histoire de rappeler au monstre bipède ce qui l'attend s'il ne file pas doux. Les « grands hommes » n'en auraient cure (ils n'en feraient pas une maladie) vu qu'ils sont comme cela s'appelle « décédés ».

(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Échappée belle

 

Lorsque toute chose vous est en horreur, vous ouvrez un pot de pâte à tartiner bio de chez Andeuzala, vous pénétrez dans un monde plein de noisettes, et en moins de temps qu'il n'en faut pour cuire des asperges, vous vous retrouvez à danser avec Pikadé-hey.

(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Aux frontières du possible

 

Un nez qui disparaît et qui réapparaît sous la forme d'un conseiller d'État, c'est déjà assez extraordinaire. Mais atteindre l'âge de quatre-vingt-quatre ans quand le réel vous donne de l'asthme pratiquement depuis votre naissance, qu'un Lucien Goldmann vous a ruiné de réputation et qu'une Simone Boué vous tourmente depuis cinquante-trois ans avec sa tarte aux poireaux... « On a beau dire, de semblables faits se produisent dans le monde ; — rarement, mais il s'en produit. »

(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

samedi 10 décembre 2022

Un début prometteur

 

« Un matin, au sortir d'un rêve agité, Grégoire Samsa s'éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine. Il était couché sur le dos, un dos dur comme une cuirasse, et, en levant un peu la tête, il s'aperçut qu'il avait un ventre brun en forme de voûte divisé par des nervures arquées. » (Pierre Ménard, L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, Paris, Les Belles Lettres, 1932)

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Fable neuropsychologique

 

« Ce trésor sera à toi, à la seule condition que tu ne penses pas à un gloméruleux pélican, ni même aux mots gloméruleux pélican, pendant que tu le déterreras. »

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Déchiffrement des mollusques

 

Il y en a qui pensent que les fleurs, les pierres, les animaux, sont les éléments de ce qu'on pourrait appeler un langage secret, et que si l'on arrive à déchiffrer ce langage, on aura tout compris — et en particulier ce qu'on fait là. Après tout, pourquoi pas, mais ça n'a pas l'air commode à déchiffrer (surtout les mollusques).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Possibilité et limites du savoir

 

Est-il possible de savoir quelque chose, et si oui quoi ? On peut (avec beaucoup de chance) savoir ce qu'est un xéranthème ; on peut connaître le sens de l'adjectif xénotropique ; mais qui pourra dire ce qu'est un xéranthème xénotropique ?

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Un « baron de la crasse »

 

Chez l'animal — même chez le « couchon » —, rien n'est sale. Chez l'homme, tout l'est.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

vendredi 9 décembre 2022

Refus du nihilique de chanter sa soif irisée

 

« Chante ta soif irisée », ordonne René Char. « Et si je n'en ai pas envie ? répond le nihilique. C'est quand même formidable, ça ! C'est plus fort que de jouer au bouchon ! »

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Distraction proustienne

 

Marcel Proust était si distrait qu'il lui arrivait souvent de traverser quand le petit bonhomme était rouge. Un jour, alors qu'il se rendait chez la comtesse Greffulhe... (interrompu)

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Voir ! Voir enfin !

 

Qu'est-ce au juste que l'existence ? Un piège ? C'est possible — mais ourdi par qui ? Un complot ? Nous verrons — mais quand ? 

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Un insensé

 

Vingt ans, trente ans, quarante ans... À force de ne pas mourir, l'homme « prend la confiance ». Il se met à agir comme s'il était immortel. Il fait même des projets. Pauvre insensé ! Fou ! Tuouaouar !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

jeudi 8 décembre 2022

Dialogue philosophique

 

Eugen Fink rapporte que Heidegger demanda un jour à sa maîtresse la fille Arendt : « Dis donc Hannah, saurais-tu par hasard ce que c'est que l'être ? Quant à moi, je sèche. » Et selon Fink, la future prêtresse de la banalité du mal aurait répondu : « Je ne sais pas, moi... Tu en as de bonnes ! »

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Senza ritorno

 

Quand on s'est enfoncé trop avant dans l'étude du Rien, il est presque impossible de revenir à son ancien sujet, à savoir la physiologie comparée des poissons.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Aux ouataires

 

Pour méditer sur l'impermanence des choses, il n'est pas de meilleur endroit que les doubles-vécés. Là, assis sur le trône, on voit surgir des villes mortes, comme des ossements sous le soleil, qui font songer aux visions de l'émir Moussa.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Personnages de Musil

 

L'autre qu'ils rencontrent — et que même ils deviennent — n'est pas l'étéron, l'altérité avec laquelle on dialogue et que l'on rejoint en une synthèse supérieure, c'est l'étron, le « colombin », avec lequel il n'y a pas de rapport, d'intégration ou de médiatisation possibles (car il pue trop).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

mercredi 7 décembre 2022

Ébouillantement phantasmé de Char

 

Ô Char ! René Char ! Quelle chance tu as d'être comme cela s'appelle décédé ! Avec quelle joie, sans cela, nous autres amateurs de vraie poésie t'aurions plongé dans un chaudron d'huile bouillante !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Hypertrophie du Moi

 

Au lieu de dire que « vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir », le poëte René Char, s'il avait eu un minimum d'honnêteté intellectuelle (et de bonnes manières), aurait dû dire : « À mon humble avis, vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir — mais ne me demandez surtout pas ce que je veux dire par là, je fais profession d'être profond et je vous emmerde. »

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Ça ne prend plus

 

Depuis qu'on sait qu'il est mortel, étant composé pour l'essentiel de cytoplasme, de mitochondries, d'une membrane plasmique et d'un mystérieux « appareil de Golgi », les rodomontades du monstre bipède ne convainquent plus personne.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Achèvement de souvenir

 

D'après René Char, « vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir » — mais il faut dire que le « poëte » picolait sec.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

mardi 6 décembre 2022

Vie excitante

 

Ce qu'il faut lire entre les lignes des « récits de voyage » : « Regardez comme ma vie est plus excitante que la vôtre ! » — Seul problème mais de taille : une « vie excitante », cela n'existe pas. Comme Lucien Rebatet et Pierre-Antoine Cousteau, le vide est partout !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Un espoir du côté des chaînes Pulvermacher ?

 

Le « négateur universel » Émile Cioran affirme qu'« aucune invention humaine ne peut nous guérir de notre mal essentiel » (voulant sans doute dire par là le fait d'exister). Pourtant, les chaînes hydroélectriques Pulvermacher, celles-là mêmes dont le pharmacien Homais s'éprend d'enthousiasme dans Madame Bovary, se font fortes dans leur réclame de guérir les rhumatismes, les névralgies, les paralysies, la surdité, « et cætera ». Qui croire ?

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

En attendant Vanderdendur

 

Nègre de Surinam à ses heures, le nihilique, si on lui demandait ce qu'il fait là dans l'état horrible où on le voit, répondrait : « J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant. »

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)