La
mort est un anneau élastique de type circlip qui étrangle le sujet
pensant par serrage axial. Cet anneau, le plus souvent en acier au
carbone, est parfois maintenu en place par deux vis. Les résurrections
(Jésus, Lazare, Jean-Pierre Chevènement, etc.) se font à l'aide d'une « pince à circlips ».
La
connaissance, surtout celle du Rien, émancipe l'individu. Mais une fois
émancipé, l'individu constate qu'il n'est plus capable de fraterniser.
L'autrui lévinassien lui fait horreur. Il s'enferme dans sa mansarde de
la rue de l'Odéon et ne veut voir personne. Simone Boué est obligée de
déposer un plateau devant sa porte.
Toute
cette clique, les Kérouac, les Burroughs, les Ginsberg, les Corso, ils
auraient mérité d'être enfermés dans des cages de fer suspendues au
clocher de la cathédrale de Münster. Ça leur aurait appris à vivre, à
ces couillons. Ils auraient pu faire du cut-up tout leur saoul.
Toute
personne chérissant les « choses de l'esprit » ne peut que ressentir une
violente antipathie à l'endroit de l'écrivain Henry Miller. Il croit
être « à la redresse » mais sa salacité ne recouvre qu'un vide exactement
semblable à celui engendré par la pompe à air de Robert Boyle. Est-il
besoin de préciser qu'en outre il suinte ?
L'expression « être du flan ». Dans la vie, qu'est-ce qui n'est pas du flan ? Tout est
du flan. Et si on n'aime pas le flan ? C'est d'ailleurs pareil pour le
système « avoirdupois » — dans lequel un pound vaut seize ounces.
À
part Hemingway — et encore —, les écrivains américains ne se
suicident pas beaucoup. Il y a Hunter S. Thompson et John Kennedy Toole.
Nous ne comptons pas David Foster Wallace qui est un pot de pisse (non
content d'employer de fréquentes notes de bas de page, il mêle
abréviations et mots anciens, ce qui donne à sa prose un aspect que
certains ont qualifié de labyrinthique — on voit le genre). Nous ne
comptons pas non plus le poëte hippie Richard Brautigan que sa
moustache, son chapeau et ses poëmes suffisent à disqualifier.
Spécialiste
reconnu des rhizomes et des plis, le philosophe Gilles Deleuze aurait
pu faire fortune dans la mode ou dans le topinambour, mais non. Ce qu'il
voulait, c'était créer des concepts !
Le
gars Socrate disait ne savoir qu'une chose : qu'il ne savait rien. Mais
ça ne l'empêchait pas de déblatérer sur tout un tas de sujets comme
s'il avait la science infuse. Il faisait « jore » d'être modeste mais en
fait pas du tout. Plutôt qu'un véritable philosophe, il était une sorte
de « précurseur de Michel Chevalet ».
Si
Marcel Duchamp avait rencontré Jacqueline du Pré, l'une aurait joué du
violoncelle pendant que l'autre se serait efforcé de fixer une roue de
bicyclette sur un tabouret. Ç'aurait été très beau.
Si,
au lieu d'être une canaille fieffée, l'être humain s'exprimait en
radians, on pourrait lui ajouter ou lui enlever n'importe quel multiple
de deux pi, ça ne changerait rien à son cosinus ni à son sinus (donc
rien non plus à sa tangente). Ce serait le paradis ou pas loin.
L'acteur
Jacques Nicholson est excellent dans le film Vol au-dessus d'un nid de
coucou. L'action se passe dans la forêt lointaine. Du haut de son grand
chêne, l'infirmière Ratched distribue des petites pilules aux patients
d'un hôpital psychiatrique. Randall P. McMurphy, joué par Jacques
Nicholson, s'est fait interner en simulant la folie pour échapper à la
prison. Il propose aux autres « mabouls » d'aller jouer au basket. Tout
cela se terminera très mal. Le pauvre Randall sera transformé en « légume ».
L'écrivain
américain Jean-Louis Kérouac dit Jacques Kérouac fumait lui aussi de la « beuh » et du « shit ». Contrairement à Michaux, il ne le faisait pas pour
occuper progressivement son être mais pour se libérer des conventions
sociales étouffantes (selon lui) de son époque et donner un sens à son
existence — un sens qu'hélas il ne trouva jamais. Il tâtait aussi de
la chopine et mourut d'un ulcère gastro-duodénal, la « mort des
alcooliques ».
L'écrivain
Henri Michaux fumait de la « beuh » et du « shit », soi-disant pour « se
parcourir » et accomplir « l'occupation progressive » de son être. Manque
de chance, il se trouva pris dans un « mécanisme d'infinité ». Il avait « perdu sa demeure » ! Il ne retrouvait plus le « château de son être » ! Il
en conclut, peut-être trop hâtivement, que l'infini est l'ennemi de
l'homme.
La
biologie moléculaire, et singulièrement sa composante appelée biochimie
métabolique, nous fournit des raisons non pas de croire mais de penser,
humblement peut-être, à l’infinie complexité des processus à l'œuvre
dans une tête de chien couché. Il y a de quoi avoir le vertige.
Les
animaux, étant « pauvres en monde », sont insensibles au problème de
l'existence. Quant aux plantes, elles sont trop bornées pour
s'intéresser à la question. Mais pour les humains, exister est la source
d'angoisse par excellence ; c'est pis que tout : pis que pendre, pis
que bouffigue.
Le
réel, on va faire comme l'écrivain Mishima, on va lui donner un coup de
sabre, et si ça ne suffit pas, un coup de goupillon. Il nous fait suer.
Nous autres humains sommes littéralement bourrelés par les « phénomènes ».
Qui
a lu ou entendu une fois le vocable zingibéracé ne peut plus penser à
rien d'autre pendant le restant de ses jours. Ce vocable est un « zahir
borgésien ».
C'est
sur l'étang de Soustons, à deux heures de l'après-midi, que le négateur
universel Émile Cioran a échappé de justesse à la mort. Il ramait avec
insouciance quand il a été foudroyé par une réminiscence de vocabulaire
(all is of no avail). S'il avait été seul, il se serait jeté
instantanément à l'eau. Jamais il n'avait ressenti avec une telle
violence le besoin de mettre un terme à tout ça. C'est du moins ce qu'il
a déclaré aux gendarmes de la brigade de Soustons quand ils sont
arrivés sur les lieux.
De
l'avis général, Jacques Rigaut était un cas. Il était le « cas Rigaut ».
D'ailleurs, un jour, pris d'une fureur bachique, il berta Menchú (du
verbe berter qui signifie palper de façon indécente une figure indigène
guatémaltèque luttant pour les droits humains).
La
poésie de Du Fu alias Tou Fou est celle d'un homme plein de compassion
pour les êtres et les choses. Nul mieux que lui n'a chanté la souffrance
du presse-purée, obligé pour vivre à... non, c'est trop horrible...
écraser des tubercules.
Le
seul acte gratuit au sens gidien est la grosse commission. La petite a
de sordides relents utilitaires, mais la grosse, on la fait en général « pour l'amour de l'art ».
Quand
on a décidé de n'aimer rien, on n'aime pas non plus Walt Whitman — et
on déteste carrément les faux jetons qui font « jore » qu'ils aiment Walt
Whitman.