« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mercredi 17 octobre 2018
Ultime fantaisie
Chef de file des poètes fantaisistes, Paul-Jean Toulet meurt à Paris le 6 septembre 1920.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Périls du froid
Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis mentionne un monument funéraire grec dont l'inscription évoque la mort d'un voyageur une nuit de ribote : « Passant, écoute le conseil d'Orthon de Syracuse. Ne voyage jamais par les nuits d'hiver quand tu es gris. Car tel fut, vois-tu, mon mauvais destin. Au lieu de reposer dans ma patrie je suis couché ici sous la terre étrangère. » — Et il est un fait que la prise d'alcool, comme l'idée du Rien, provoque une vasodilatation périphérique qui diminue la température interne tout en donnant une impression de réchauffement !
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Suicide mallarméen
Un solitaire tacite concert se donne, par l'homicide de soi-même, à l'esprit qui regagne, sur une sonorité moindre, la signification : aucun moyen mental exaltant le Rien ne manquera, raréfié et c'est tout — du fait du taupicide.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Règle numéro 8
En toute chose, il convient de mettre un peu de macération.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Résection du Moi
Lorsque le Moi s'oublie au point de se croire immortel, et gonfle hors de toute mesure, l'art possède les moyens de l'amener à résipiscence : on étrangle, à l'aide d'une corde de violoncelle, la base de cet encombrant fongus, qui s'atrophie alors progressivement, ne tient plus que par un pédicule, se flétrit, et tombe enfin, en délivrant son hôte de l'importunité et du danger de sa présence.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Horror vacui
En 1654, Otto von Guericke porte un coup fatal à l'hypothèse de l'horror vacui qui, supposant que la nature, à l'encontre de l'homme du nihil, déteste le vide, avait été pendant des siècles un écueil pour les philosophes et les savants. Dans la spectaculaire expérience qu'il réalise à la cour de Frédéric Guillaume I er de Brandebourg, il raccorde deux hémisphères de cuivre de 51 centimètres de diamètre (les fameux « hémisphères de Magdebourg ») et ôte l'air de l'intérieur de ceux-ci. Il attache ensuite chacun des hémisphères à un attelage de huit chevaux et montre que les « bourrineaux » sont incapables de les séparer. Il remet l'intérieur des hémisphères à pression atmosphérique, et les hémisphères se séparent facilement !
Pour arriver à un tel résultat, von Guericke s'était inspiré des expériences sur les fluides de Torricelli et de leur interprétation correcte par Blaise Pascal (« le moi est haïssable »).
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Ascètes
Celui qui, dégoûté du margouillis de l'existence, décide de sortir du monde pour vivre seul dans la solitude, près ou loin des villes, n'importe, celui-là devient anachorète. Si, au lieu de vivre seul, il se réunit à plusieurs autres ascètes et embrasse la vie commune, il devient cénobite. Quant à celui qui, impatient de fusionner avec le Rien, se précipite dans un puits busé, celui-là devient... un suicidé philosophique. Mais oui !
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Boudin de Königsberg
5 octobre. — Feuilletant le Magasin pittoresque, je tombe sur l'article suivant : « À Königsberg, en Prusse, les bouchers ont coutume d'offrir aux boulangers, le premier jour de l'an, un énorme boudin, qui est promené, comme notre bœuf gras, par toute la ville. Le boudin de l'année 1558 avait 198 aunes de long ; il était porté par 48 personnes. Celui de 1583, porté par 91 personnes, était long de 596 aunes, et pesait 434 livres. Le plus beau d'entre les bouchers marchait en avant, comme un tambour-major, la tête du boudin venant faire plusieurs tours autour de son cou ; le reste serpentait sur les épaules des autres bouchers qui marchaient trois par trois. » — « Et le boudin de Königsberg, tel un boa monstrueux, étouffera de sa mortelle étreinte tout le vivant... »
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Comme l'homme du nihil !
Joseph-Juste Coquereau, né en 1768 à Daon, au sud de Château-Gontier. « Ses excès et ses cruautés compromirent la cause qu'il faisait profession de défendre », selon Descépeaux.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Concert
« Un Anglais séjournant à Ostende manda plusieurs musiciens pour un concert qu'il voulait faire exécuter chez lui. Ils arrivèrent, et, comme ils se préparaient à jouer leur musique ordinaire, l'Anglais tira de son portefeuille un chef d'œuvre, à ce qu'il disait, et le plaça sur les pupitres ; c'était une messe des morts d'un fameux maître d'Italie. Les symphonistes, les chanteurs, s'efforcèrent de mettre dans leur exécution tout le sombre, tout le pathétique, toute la tristesse que ce genre exige ; ils y réussirent si bien qu'au dernier requiem le dilettante se brûla la cervelle d'un coup de pistolet. »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
mardi 16 octobre 2018
Philosophes fétides
« Le philosophe fétide diffère essentiellement du philosophe ordinaire par l'odeur vive et désagréable qu'il répand par le choc et souvent même par le simple frottement. Cette odeur a quelque analogie avec celle des gaz hydrogènes sulfuré et carburé, et dans les philosophes bien fétides, elle se conserve plus d'une minute après le choc. » (Pierre Marie Sébastien Bigot de Morogues, Notice sur les philosophes fétides des environs de Nantes, in Annales du Muséum national d'histoire naturelle, vol. 9, Paris, Tourneisen, 1807)
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Proverbe nihilique
Le fleuve du Rien importe davantage que l'aspect hirsute de ses rives.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Nécrophores
Les nécrophores sont ces insectes qui se rencontrent sous les cadavres, par exemple de taupe ou de rat, qu'ils enfouissent en s'y mettant à cinq ou six avant d'y déposer leurs œufs. Le nécrophore peut être dit fossoyeur (Necrophorus vespillo, Latr.), mortuaire, (N. mortuorum, Latr.), germanique (N. Germanicus, Latr.), ou inhumeur (N. humator, Latr.). Le nécrophore germanique est le seul à être muni de concepts, au dire de M. Pierre Boitard (Entomologie ou Histoire naturelle des insectes et des myriapodes, Roret, Paris, 1843).
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Tempête sous un crâne
S'il fallait comparer la pachyméninge de l'homme du nihil à une mer, ce serait certainement l'Euxin, dont Crispus nous dit que « sa surface est presque toujours embrumée, à moins qu'elle ne soit battue des vents : alors les vagues y sont mauvaises, courtes, variées, inégales dans leur fluctuation, dangereuses surtout lorsqu'il y souffle un vent de nord, dont l'effet est de presser les ondes l'une sur l'autre, tandis que le choc du rivage en renvoie d'autres en sens contraire. » Ce vent du septentrion, que l'on peut assimiler à l'idée du Rien, est si violent qu'il fait souvent perdre son foc au navigateur, nous dit Valérius Flaccus.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Rhétorique
Un homme féru de métonymie dira un caudebec, au lieu de dire, un chapeau fait à Caudebec, ville de Normandie. En revanche, quand Tite-Live appelle Annibal le Carthaginois — « le Carthaginois, dit-il, avait un grand nombre d'hommes » —, il use d'une antonomase.
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Un héros de notre temps
Humble personnage sans ambition terrestre mais affamé de grandeur spirituelle, réunissant esprit critique et imagination déréglée, attentif au monde extérieur mais aussi observateur de « l'infiniment petit de l'espace du dedans », le suicidé philosophique assume sa condition de « handicapé de la vie » pour mieux la dépasser et, grâce à l'idée du Rien, aller à l'extrémité de lui-même, à cette frontière de notre condition où les mystiques atteignent la plénitude « parce qu'ils sont vidés de tout le vide du monde ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Lavement
Dans les Nouvelles formules de médecine, ouvrage de Pierre Garnier publié en 1726, on trouve la recette suivante du Lavement pour les Crottes ou grande constipation de ventre : « Prenez de grandes et petites passerilles de chacune deux onces ; faites boüillir tout dans s. q. de boüillon de tripes, puis dans chopine de coulûre on dissoudra demi-livre d'huile commune, quarante grains de trochisques alhandal en poudre, pour un lavement. » En 1794, Johann Gottlieb Fichte reprendra cette recette dans ses Principes de la doctrine de la science, ouvrage dont la lecture seule suffit, la plupart du temps, à guérir la « grande constipation de ventre ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
lundi 15 octobre 2018
Un cadavre incomplet
L'homme du nihil subsiste plus ou moins longtemps, suivant une foule de circonstances qui dépendent de sa constitution, de son exposition à l'idéalisme allemand, de la température de l'atmosphère, de son humidité ou de sa sécheresse, etc. Cadavre incomplet, il est comme la transition de la vie à la putréfaction. Craignant, s'il bouge, de réveiller le féroce Moi, il s'efforce d'obéir à cette loi commune, l'inertie, qui régit les corps inorganiques. Malgré cette précaution, il maigrit, une couleur jaune teint sa peau et ses yeux, ses viscères s'engorgent, et communément la mort, qui le guette au centre des marais Pontins, vient fermer quelque temps plus tard cette carrière de souffrances.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Un joli travail
« L'éternel est son nom, l'haeccéité son œuvre. » (Racine, Esther, III, 4)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Vie souterraine
Pour la vie ténébreuse et fouissante que mène l'homme du nihil, la nature lui a donné une tête en museau de porc, un thorax convexe et déclive sur ses côtés, solide, dur et renforcé intérieurement par des arcs-boutants presque osseux. Ces formes disgracieuses lui interdisent pratiquement toute vie mondaine mais s'accommodent très bien à la progression souterraine dans la tourbe glaiseuse du quotidien.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
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