lundi 4 novembre 2024

Assez de mots un acte

 

Si le négateur Émile Cioran s'était fait sauter le caisson comme il avait annoncé tant de fois qu'il le ferait (pour peu qu'on ne le retienne pas), aurait-il laissé une lettre d'adieu ? Sous la forme d'un aphorisme, peut-être ? Quelque chose sur Keats ? Ou sur Tchouang-Tseu ?
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Biffer Bracquemond

 

Ceux qui veulent biffer Magritte (de l'histoire de l'art) devraient plutôt s'en prendre à Marie Bracquemond. Parce que ses fleurs, ses natures mortes, ses paysages et ses scènes d'intérieur... ils nous flanquent le traczir. Nous allons craquer, si ça continue. Nous ne savons pas ce que nous avons fait au bon Dieu pour mériter ça.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Nanisme existentiel


Pour se garder de l'illusion d'être quelqu'un, il faut se répéter au moins trois fois par jour : « Tu es un petit gnome ; un nain Piéral de la pensée. » Oui mais les gens... tu parles. Au lieu de s'imposer cet exercice, ils font des romans et des tableaux de peinture, les salops !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Saut de la foi

 

Dieu a ordonné à Ézéchiel de manger des galettes d'orge cuites avec de la m... humaine, et Ézéchiel lui a obéi. Parfois, la foi vous conduit à faire des choses excrêmement bizarres et dégoûtantes. On comprend les hésitations de Kierkegaard.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

dimanche 3 novembre 2024

Raca

 

Celui qui dira à son frère « raca », c'est-à-dire pot de pisse, mérite d'être puni par le sanhédrin, c'est en tout cas ce qu'affirme saint Matthieu. Il ne faut pas même le dire à propos de Nietzsche. Pourtant, Tolstoï l'a fait et il n'a pas été puni par le sanhédrin.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Un préhistorien qui empile les lacunes

 

Quand l'abbé Breuil lui déclara que les hommes préhistoriques peignaient des animaux, ours, bisons, chevaux, etc., sur les murs des grottes et des cavernes, André Leroi en fut estomaqué : il n'était « pas au gourhan » !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Excessive malruciannité de l'humaine condition

 

La condition humaine, ça va bien cinq minutes. La solitude, la maladie, la vieillesse, finalement la mort... Non, tout ceci est par trop malrucien.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

L'irréparable

 

Adorable sorcière, aimes-tu les Yvelines ? Dis, connais-tu Sartrouville ? Connais-tu Houilles, au degré d'urbanisation élevé, au revenu fiscal médian de 2439 euros en 2016, chiffre supérieur à la moyenne départementale ? Adorable sorcière, aimes-tu les Yvelines ? Et les Hauts-de-Seine ? Châtenay-Malabry ? Puteaux ?
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

samedi 2 novembre 2024

Succion infructueuse

 

Malinowski raconte qu'aux îles Trobriand, les enfants d'un défunt le déterrent après plusieurs semaines, ouvrent sa jambe en décomposition et sucent la moëlle du tibia. Mais soit qu'ils s'y prennent mal soit que ceci ou que cela, l'opération ne donne aucun résultat, ajoute Malinowski. Ce qui ne les empêche pas de recommencer à la première occasion.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Fait social total

 

Comme la kula et le potlatch, le vocable strapontin est un « fait social total » au sens maussien. Avec ses trois syllabes, il met en branle la totalité de la société et de ses institutions. Stra-pon-tin. Voyez ? Ça bouge !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Impatience de Lévy-Bruhl

 

Marcel Mauss accusait Lévy-Bruhl d'impatience. « Les campagnes ethnographiques, ça ne se fait pourtant pas en cinq minutes, il devrait le savoir », rouspétait-il. De fait, Lévy-Bruhl était toujours sur des charbons ardents. Il lui fallait des résultats et tout de suite, pas dans cent sept ans.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Le geste et la parole

 

En ethnologie, on n'imagine pas André Leroi se gourer. Lévi-Strauss, par contre, c'est peut-être une question de « gueule » ou c'est peut-être cette expression de « bororo » qu'il emploie à temps et à contretemps, mais on l'imagine très bien.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

vendredi 1 novembre 2024

Phosphorescence

 

Le botaniste La Billardière, dans sa Relation du voyage à la recherche de La Pérouse, raconte qu'il fut témoin d'un effet de phosphorescence des plus singuliers dans les parages de Montcuq (Lot). Nous voulons bien le croire, mais nous nous demandons ce qu'il faisait à cet endroit car Montcuq est tout de même à plus de deux cents kilomètres de la mer. Ce n'est pas là qu'il allait retrouver La Pérouse !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Mot pour un autre

 

Quand un joueur dit qu'il est bloqué à un certain « levelle », on peut supposer qu'il veut en fait parler de Louis Lavelle, le chef de file du courant philosophique appelé spiritualisme existentiel, auquel appartenaient aussi Gabriel Marcel, Nicolas Berdiaev et Maurice Nédoncelle. Louis Lavelle est l'auteur d'un vaste système de métaphysique, La Dialectique de l'éternel présent, dans lequel il est vrai qu'on peut aisément se sentir « bloqué ».
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Obstacle

 

Nous ne saurions dire exactement pourquoi, mais nous sentons que Paul Léautaud aurait été encore plus intéressant s'il avait écrit comme un pied. Nous nous serions mieux identifié, peut-être.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Mole

 

Dans son Thesaurus, Guillaume Morel écrit que « le phycis de Pline est un poisson de mer que nous nommons mole, et les Vénitiens lepo. » Mais nous avons beau fouiller nos souvenirs, il ne nous semble pas que nous ayons jamais appelé un poisson mole. Congre, pilchard, gabillaud, d'accord, mais mole ? Non, vraiment, ça ne nous dit rien. Allez, ce n'est pas grave, va.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

jeudi 31 octobre 2024

Négativité de la porte simenonienne

 

Chez Simenon, la porte est toujours contre. C'est un peu fatigant, à la longue.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Sadistes

 

Chez certains êtres, la cruauté est une vocation. On pense au cruel Dèce, au cruel Cambyse, mais surtout, hors l'oubli où notre voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d'autre que les calices sus, à ces sacrées bonnes femmes.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Leptogonidies et homicide de soi-même

 

Les spores de certains lichens, du genre sphœromphale, par exemple, ne produisent pas d'hyphas, mais des gonidies particulières (microgonidies ou leptogonidies). De façon prévisible, le négateur Émile Cioran voyait dans cet état de fait une raison de plus d'en finir (il faisait flèche de tout bois).
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Flotte si tu peux

 

Si vous voulez mettre une bonne femme hors d'état de s'éloigner des côtes, donnez-lui une forme de patache — comme les empereurs du Japon ont fait pour les jonques (d'après le voyageur Humbert).
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

mercredi 30 octobre 2024

Inconscience des routiers hérédiens

 

Les routiers dont parle José-Maria de Heredia dans son poëme Les Conquérants, on les imagine au volant de leur « gros cul » et on ne peut s'empêcher de frissonner à la pensée qu'ils conduisaient ivres (d'un rêve héroïque et brutal).
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Roger

 

En 1271, à Barcelone, Abraham Aboulafia est touché par l'esprit prophétique après avoir obtenu la connaissance du vrai nom de Dieu. Il s'appellerait Roger, à l'en croire. C'est un prénom qui vient du germanique hrod, victorieux, et gari, la lance. Ça ne semble pas absurde, à première vue.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Post-scriptum aux miettes philosophiques

 

Ce que veulent les bonnes femmes, personne n'a encore réussi à le découvrir. C'est sûrement quelque chose de pas très catholique, mais quoi ? Le savent-elles seulement elles-mêmes ? Apparemment, tout ce qui les intéresse, c'est d'être des « échardes dans la chair », comme cette pochetée de Régine Olsen. Si c'est ça, nous voilà bien. On va douiller comme Kierkegaard, ça ne fait pas un pli. Oh, et puis merde.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Une rancune grosse comme le Ritz

 

« J'ai quitté la vie sans rancune ; j'aurai plus jamais mal aux dents. Me v'là dans la fosse commune, la fosse commune du temps. » — Pas mal dit, mais nous, c'est avec rancune, que nous allons quitter ce margouillis exophtalmique, et même avec une rancune grosse comme un camion de déménagement. Parce que les avanies qu'on y a subies, c'est à ne pas croire. Cochonnerie !
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

mardi 29 octobre 2024

Trop tard pour aider Psammétique

 

Si nous avions vécu au VIe siècle avant J.-C., nous aurions pu venir en aide à Psammétique II dans sa guerre contre le roi des Éthiopiens, qui était apparemment un vrai petit fidgarce (ou fidjarce) — un dénommé Aspelta. Enfin, c'est trop tard, n'en parlons plus.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Transposition

 

Parlant de l'Un plotinien, Jamblique dit (De Myst., 4, VIII, 2) qu'il « demeure immobile dans la solitude de son éternelle unité ». Mais on pourrait en dire autant de la ville de Bezons — où on se fait chier à un point que ce n'est pas croyable.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Incapacité de la philosophie à nourrir son homme

 

Très peu parmi les philosophes parviennent à vivre de leurs concepts. Les autres doivent se trouver une deuxième activité. Ceux qui savent jouer du piano donnent des leçons de piano. Il y en a qui tressent des paniers. Heureusement, ce sont des gars démerde. Ils savent ce que c'est que le réel, les phénomènes et tout ça.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Bouddhisme involontaire

 

Quand on n'a pas de famille, pas d'amis, pas de chat, pas de plante verte, quand, en résumé, on n'a aucune attache, on ne risque pas de souffrir d'une perte ; on est comme qui dirait un bouddhiste involontaire. Ça procure une certaine sérénité mais ce n'est pas mirobolant.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

lundi 28 octobre 2024

Batracien

 

Ambroise Paré dit être arrivé à la conclusion que quand on parle, les mots tombent du cerveau sur la langue, et qu'ils sont formés d'une matière pituiteuse, froide et humide, ce qui rend la chose assez écœurante. Il raconte qu'en ce qui le concerne, le vocable batracien lui a fait passer un mauvais quart d'heure : une syllabe de plus et il vomissait.
 
(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)