mardi 7 juin 2022

Ambition chimérique

 

Alors même qu'il n'était pas de Cappadoce puisque originaire de Bezons, l'homme du nihil rêvait de rejoindre Grégoire de Naziance, Basile de Césarée et Grégoire de Nysse dans le petit groupe ultraselect des « pères cappadociens ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Avertissement biblique

 

Dans un de ses psaumes, David semble avoir pressenti l'existence de certaine mégère difforme au faciès d'hippopotame, qu'il met en garde en ces termes : « Et le Seigneur dispersera les os de ceux qui ont persécuté le pauvre Férillet. » (Ps. LIII, 6)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

The real McCoy

 

À l'homme du nihil, rien n'a jamais donné une impression de vérité autant qu'un arbre, un rocher, un nuage ayant la forme d'une tête de chien couché.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Effarement rimbaldien

 

Si, par l'effet de quelque miracle, l'homme voyait soudain les choses telles qu'elles sont, il tomberait dans une stupeur au moins égale à celle qui saisit le professeur Bergamotte quand il fut frappé par la malédiction de Rascar Capac.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un sale type

 

Si l'on pouvait lire la prose de Fernand Delaunay en oubliant que l'on est soi-même Fernand Delaunay, il est probable que l'on trouverait l'auteur fort déplaisant humainement parlant.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Nougats

 

Comme le poëte polonais Czesław Miłosz, le nihilique a un sentiment très vif de la précarité de l'existence. Il n'oublie jamais que l'homme peut être précipité dans un trou noir « en moins de temps qu'il n'en faut pour cuire des asperges ». Pourtant, il a encore la force d'enfiler ses chaussettes chaque matin (ou presque). Mais ce n'est peut-être que la proverbiale « force de l'habitude » ? À moins qu'il ne craigne simplement d'avoir froid aux « nougats » ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Popularité

 

En littérature comme en tout, on n'aime que les pauvres types.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 6 juin 2022

Cachotterie du Grandiloque

 

Jusque dans ses Cahiers (qui n'étaient pas destinés à être publiés et ne le furent qu'après sa mort), Cioran cache soigneusement l'existence de Simone Boué. Il se doutait bien qu'une divulgation de sa « relation romantique » aurait terriblement fragilisé son titre de « négateur universel » (dans la catégorie des « poids Walter » ainsi nommée en hommage à Walter Benjamin qui se suicida en absorbant une dose mortelle de morphine). Humain, trop humain, certes, mais pas très glorieux — surtout pour un « nihilique ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Moins que rien

 

Avoir des organes, des viscères et tout ce qui s'ensuit (les mitochondries, les villosités, la membrane plasmique, l'appareil de Golgi, etc.), comme cela est bizarre ! — et humiliant, quand on y pense. Il n'y a pas à chiquer, tout être vivant — et en particulier tout homme — est un « moins que rien ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Modestie

 

Le Grandiloque dit avec justesse que la modestie n'est rien autre chose qu'une conduite réglée sur le sentiment du néant. Cela explique pourquoi il y a si peu de gens modestes : dans leur immense majorité, les mortels se refusent en effet à admettre la réalité du pachynihil — et leur propre nullité.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Abaissement de Magritte

 

Amateur passionné de Magritte, l'homme du nihil signifiait dès l'abord, à toute « personne du sexe » qu'il rencontrait, qu'en aucune circonstance elle ne dût abaisser ce peintre. « N'abaisse ni ne biffe Magritte », disait-il à la « personne du sexe ». — Il ne voulait pas non plus que l'on biffât Magritte — enfin... Sagritte — de l'histoire de l'art !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Autofiction

 

Je, je, je... Ils n'ont que ça à dire, ces pauvres cons ? Ce... ce « Chevillard » ? Laissez-nous tranquilles, avec votre « Moi » ! Il ne nous intéresse pas ! Verstanden ? Et pas la peine non plus de faire des astuces vaseuses ! Si ça continue, ça va mal se mettre, ça va bombarder mais dur ! C'est quand même quelque chose, ça ! Affreux !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Ovation intempestive

 

Ces gens qui, lors des funérailles d'une « célébrité », applaudissent à la sortie du cercueil ! Est-ce donc un tel exploit, de « décéder » ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 5 juin 2022

Dysphorie existentielle

 

Il arrive à l'homme du nihil de se demander ce que ça aurait changé s'il n'avait pas existé. Sa conclusion est que pour le monde rien mais pour lui beaucoup car « ça aurait été nettement moins malaisant ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Circonjacence

 

La nature circonjacente d'un complément peut être une étance substantiveuse (un substantif attribut du sujet), une étance adjectiveuse (un adjectif qualificatif attribut du sujet), ou encore une ayance substantiveuse (un substantif complément d'objet). Ainsi, dans « Roland est preux et Olivier est sage », les compléments preux et sage ont une nature d'étance adjectiveuse. Notons toutefois que certains types de substantifs compléments circonjacents ne peuvent être considérés ni comme des étances ni comme des ayances — ce qui confirme l'intuition décisive de l'homme du nihil que « le réel est un terrain mou, marécageux, et plein de roseaux ». C'est le cas par exemple de la bête dans la phrase : « Émile Cioran fait la bête pendant que Simone Boué raccommode ses caleçons. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Biffures

 

De la culture belge, on peut biffer Delvaux, on peut biffer Michel de Ghelderode, on peut biffer Maurice Maeterlinck, on peut biffer Simenon, on peut biffer Alechinsky, on peut biffer Jean-Claude Pirotte, on peut même biffer Michaux, mais on ne doit en aucun cas et sous aucun prétexte biffer Magritte.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Corrections

 

Ce mot est-il nécessaire ? Non. Alors du balai. Et cette phrase ? Non plus. Du balai aussi. À la réflexion, rien n'est nécessaire. — On commence par biffer un mot, une phrase, et finalement on biffe tout. Mais il faudrait voir tout de même à ne pas biffer Magritte (de l'histoire de l'art) !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Changement de braquet

 

Comme il en a assez d'être pris pour un « pauvre bougre » inoffensif, l'homme du nihil a décidé de se montrer plus contondant. Aux doubles-vécés, la reginglette ! Fini le zingibéracé ! Place à l'hystricognathe et au xéranthème xénothropique ! Et « sus à la chose sue, chausse-trape qui susurre au sot l'idée contrefaite du sublime » !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Naufragé !

 

La liste des objets que Robinson réussit à sauver du naufrage de son navire donne une idée du dénuement — métaphysique ! — de l'homme du nihil : deux fusils, une hache, trois sabres, une scie, trois fromages de Hollande, cinq pièces de viande de chèvre séchée... Nul volume de Heidegger ou de Gabriel Marcel !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Vaine agitation du Dasein

 

La prière orthodoxe qu'on récite aux enterrements est véridique : c'est en vain que s'agite l'étant existant. N'ayant pas lu Heidegger, elle ne dit pas exactement « l'étant existant », mais l'idée est là.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 4 juin 2022

Navet

 

L'influence du « romancier de l'absurde » Albert Camus, considérable en Occident dans les années cinquante, se répandit ensuite jusqu'en Chine comme en témoigne l'anecdote suivante. Un jeune disciple demande à un vieux moine camusien : « Qu'est-ce que la réalité empirique ? » Et le maître de répondre : « La réalité empirique est un navet de deux livres acheté au marché de Chaozhou. » La leçon à retenir est celle-ci : le monde est absurde, mais si vous ne vous accrochez pas à la réalité empirique, il vous en cuira.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Ironie du sort

 

Si quelque chose peut donner le sentiment du devoir accompli, c'est bien l'homicide de soi-même. Mais le « devoirant » ne peut en jouir pleinement vu qu'il est, comme on dit, « décédé ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Yaourt bulgare

 

Dans tout ce qui est lié de près ou de loin à l'homicide de soi-même, il y a quelque chose d'enveloppant et d'onctueux, quelque chose qui rappelle un peu le yaourt bulgare.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Conjecture

 

Si l'on pouvait vivre uniquement dans sa tête, sans aucun contact avec l'autrui du philosophe Levinas, la notion de normalité disparaîtrait et l'on n'aurait plus de raison de se faire du mouron — peut-être ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un voyage éprouvant

 

Entrer mentalement dans une pomme, comme l'a fait en son temps Michaux, cela est admirable et riche d'enseignements — notamment en matière de morale — mais c'est une souffrance.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Trop c'est trop

 

Le jour où il lut dans une revue qu'il y avait trois cents sextillions d'étoiles dans l'univers, l'homme du nihil fut d'abord courroucé, puis il se mit au lit en signe d'abdication et de deuil.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Omission impardonnable

 

Écrire sur la catastrophe de la naissance sans citer Calderón et sans avoir lu La vie est un songe où il est question du « délit d'être né », cela, oui, cela est en effet une omission impardonnable.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 3 juin 2022

Homme invisible

 

À force de chercher l'obscurité, l'homme du nihil est devenu indiscernable, même aux yeux les mieux exercés. Ou alors, quand on le remarque, on le prend pour quelqu'un d'autre (par exemple pour Françoise Verny — c'est arrivé plus d'une fois).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Faute de mieux

 

L'homme du nihil a longtemps cherché sa place dans l'univers. N'ayant pu se faire agréer comme caillou, il s'efforça de devenir ce qui en était selon lui le plus proche : une « bouse de vaque » desséchée.

(Fernand Delaunay, Glomérules)