samedi 10 novembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant la Nostalgie de l'infundibuliforme de Robert Férillet

Exploits du nihilique


« L'homme du nihil entreprend tout d'abord de terrasser son Moi. Il s'y applique consciencieusement, méthodiquement, employant à cette fin de grandes quantités de muscadet. Le succès qui couronne cette entreprise et l'accroissement rapide de ses forces navales viennent donner un stimulant nouveau à sa soif de conquêtes et d'aventures. Il stationne un moment dans son "cagibi rienesque", puis se propose un nouvel objectif : en finir avec le réel. Mais cela lui paraît quand même un trop gros morceau, alors il se recouche — et gémit. »

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

La vie : une saugrenue panade


Et le Grand Rien balaiera toute chose, abolissant la saugrenuité de la panade avec la panade elle-même.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Entraves bureaucratiques


L'homicide de soi-même n'exige que peu de matériel et de compétences. À la rigueur, il suffit d'un seul instrument et de quelques semaines d'apprentissage. Mais les nombreux règlements dont cet art a été l'objet en rendent la pratique assez difficile.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune femme lisant Prière d'incinérer. Dégoût de Luc Pulflop

Absence de sol


Il est notoire que certains organismes parviennent à prospérer même en l'absence de sol : sur un rocher nu ou un vieux mur, poussent les lichens et les mousses ; la joubarbe des toits se développe sur le faîte des maisons ; le pleurocoque est une algue verte qui couvre le tronc des arbres ; l'homme du nihil se nourrit de l'idée du Rien, etc.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Un asocial


Le suicidé philosophique vit dans les bois, dans les déserts, sans lois ni demeure fixe, et prône la tératologie comme science de l'Unique.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Lanterne des morts


Vers le onzième siècle, apparaît dans la douceur romane du cimetière un petit fanal, haut de huit à douze mètres, dont le sommet est évidé par des arcades à travers lesquelles se projette la lueur d'une lanterne. Cet édicule, connu sous le nom de lanterne des morts, servait à indiquer aux nihiliques tentés par l'homicide de soi-même, pendant la nuit, l'existence d'un cimetière, et à faire naître dans leur esprit des images de débris humains à demi putréfiés, de charniers croulant sous des amas d'ossements en décomposition, pour les inciter à « y réfléchir à deux fois ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

mercredi 7 novembre 2018

Interlude

Jeune femme lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Un malotru


Le Moi parlerait-il le grec aussi correctement que Xénophon, Démosthène et Isocrate réunis qu'il n'en resterait pas moins un malotru. En outre, comme l'a fait remarquer le révérend père Gillet, sans la connaissance supplétive de l'hébreu, on se flatterait mal à propos de réussir dans une traduction de l'historien Josèphe.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Pan sur le bec de l'odieux Breton


Le refus d'exister... Cette formule, je la fais mienne.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Négation de la substance


Contrairement à ce que s'imagine le profane, la réalité des phénomènes est tenue pour certaine par le sceptique : l'apparence ne se discute pas. Un sceptique conséquent ne dira pas : « la matière fécale est nauséabonde » ; mais plutôt : « cet excrément, en tant qu'il m'apparaît, le fait avec fétidité ». Du point de vue de la connaissance, cela revient à nier la catégorie de substance, pour n'affirmer que des apparences sans substrat métaphysique.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune fille lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Des êtres équivoques


« Les phénoménologues, afin d'être plus près de la réalité empirique qu'ils scrutent inlassablement, plient et écartent leurs jambes de manière à être très peu élevés au-dessus de la terre, sur laquelle ils paraissent plutôt ramper que marcher, ce qui les a parfois fait confondre avec les reptiles. Cependant, cette dénomination ne devrait appartenir qu'aux serpents et aux animaux qui, presque entièrement dépourvus de pieds, ne changent de place qu'en appliquant leur corps même à la terre. Ces philosophes possèdent en revanche des caractéristiques communes avec les crocodiles : ils sont revêtus de plaques dures, d'une croûte osseuse, d'écailles aiguës, de tubercules plus ou moins saillants, etc. » (Lacépède, Histoire naturelle des quadrupèdes ovipares, 1788)

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Folle ambition


Devenir, comme le Gréco, un maître du drapé.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Formation du suicidé philosophique


« On ne peut sûrement faire mieux pour former un suicidé philosophique que de suivre scrupuleusement le règlement de 1791. Cette méthode en effet joint partout l'utilité et la raison physique à la grâce et à la régularité ; et on chercherait en vain ailleurs le plus vite et le mieux. Le candidat à l'homicide de soi-même devra donc régulièrement tous les mois tirer à la cible, à toutes distances et dans toutes les positions ; en marchant, et même sur des objets rendus mobiles. Ainsi, il sera en mesure de faire face à toute éventualité, y compris celle où la pensée de se détruire le poignerait sur un trottoir roulant. » (Virgile Schneider, Résumé des attributions et devoirs du suicidé philosophique, Dondey-Dupré, Paris, 1823)

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune femme lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Mise au point


Il n'y a aucun rapport entre la Weltanschauung de l'homme du nihil et l'organisation celluleuse de la vessie natatoire de certains silures, etc., dont les divisions sont des productions de la membrane propre, qui a, dans ce cas, la consistance du parchemin, et ne jouit d'aucune contractilité ; c'est à tort qu'on les a souvent confondues.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Partition du réel


Selon Gragerfis, la sphère du réel se divise en deux régions. La première, appelée ouvre-huîtres, affecte la forme d'un couteau à lame courte et forte permettant d'ouvrir les huîtres. La seconde, dont le nom est exèdre, est une vaste salle de conversation avec sièges.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Anaphylaxie


En 1902, au cours d'une croisière scientifique aux Açores, le Dr Charles Richet constate que, si une première injection d'extrait de tentacule de physalie à un chien reste sans conséquences, la seconde s'avère létale. Il répète l'expérience en remplaçant le chien par un quidam pris au hasard, et l'extrait de tentacule de physalie par l'idée du Rien, et obtient des résultats similaires (au deuxième essai, l'homme se suicide en avalant du taupicide). Le Dr Richet en conçoit subito presto la notion de choc anaphylactique, qui le rendra célèbre.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

mardi 6 novembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Climat du Grand Rien


« Le climat du pachynihil n'est ni excitant ni sédatif, comme l'ont assuré beaucoup d'auteurs ; il est à la fois tonique et vivifiant ; il réunit tous les avantages de celui des stations hivernales ; c'est le climat hygiénique par excellence. » (Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, tome troisième, Victor Masson, Paris, 1870, p. 653)

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

La vérité sur la vie enfin révélée


Ennuyeux préambule au non-être, la vie est certes un rabâchage burlesque, mais aussi et surtout, une grosse tourte de m... (interrompu)

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Sans rapport


À l'estime de Gragerfis, ce que dit Quintilien des prologues de Salluste, nihil ad historiam pertinentibus, « sans rapport avec l'histoire », peut s'appliquer aussi bien à tout ce que dit ou fait l'étant existant — le fameux « Dasein » des existentialistes — à l'exception peut-être de l'homicide de soi-même.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune femme lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Agonie du Moi


Le 6 avril, le malade accuse un peu de fièvre ; pouls petit, assez fréquent. Les urines, claires, ne se troublent pas à l'air et ne laissent déposer qu'un léger flocon de mucus. Elles ne noircissent pas sous l'influence de l'oxygène atmosphérique après plusieurs jours. — 11 avril : le malade est toujours couché sous ses couvertures. — Mort le 13 avril.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

État du Moi au 4 avril


Décubitus dorsal, adynamique. Maigreur de la face, pas de trace d'œdème. Taie sur la moitié inférieure de la cornée droite. Crachats spumeux mêlés de traînées purulentes. — Pas de bruit de souffle au cœur. — Râles bronchiques, surtout aux deux sommets en arrière, avec quelques craquements humides, matité en haut à droite. — Le malade passe sa journée caché sous les couvertures et replié sur lui-même. La religieuse dit « qu'il fuit la société, que c'est comme un homme des bois ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Hospitalisation du Moi


Le 8 mars 1861, le Moi entre à l'Hôtel-Dieu de Rouen, salle 19, lit n° 2 (service de M. Lendet). Il ne se rappelle aucune maladie grave antérieure mais porte des traces de variole. Il y a neuf mois, étant à Paris, il sentit tout à coup ses jambes plus faibles. À la maison centrale de Bonne-Nouvelle, où il fut ensuite détenu, il eut des tiraillements d'épaule ; en serrant les chaussons qu'il fabriquait, il ressentait parfois des douleurs assez vives. Il y a dix jours, il s'est mis à éprouver des douleurs affreuses dans le bas des reins, spécialement dans la région splénique. Il avait un fort échauffement et criait en allant à la selle. On voulut le faire marcher, mais il jeta des cris et n'y put parvenir. Depuis son entrée à l'hôpital, l'état général ne s'est pas sensiblement modifié ; il a eu seulement la diarrhée, mais elle l'a quitté. Il a eu aussi des étourdissements qui le prenaient même dans son lit. Il n'a pas d'appétit et refuse de lire les idéalistes allemands.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune femme lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier