À
quelques rares exceptions près, les suicidés philosophiques n'ont aucun
sens de l'humour. Ils prennent tout au tragique. Ils ne sont pas « fun ».
On pourrait croire que c'est parce que la mort est une chose sérieuse,
mais ce n'est pas ça. Ils n'étaient déjà pas « fun » avant de prendre la
décision de se supprimer. Ce sont simplement des « bonnets de nuit ».
Dans
ses Exercices d'admiration, le négateur universel raconte que son
camarade Michaux le traînait à des projections de films scientifiques où
il « se faisait chier à mille francs de l'heure ».
Dans
la scène 5 de l'acte IV de l'Annonce faite à Marie, le « daron » de
Violaine et de Mara se demande si le but de la vie est de vivre. Mais en
fait, il fait juste « jore » de se le demander, car il conclut aussitôt
par la négative et déclare que le véritable but de la vie est de mourir. « C'est gai », soupire alors Violaine.
Pour
autant que l'on sache, le premier artiste à avoir osé signer son œuvre
est un certain Gislebertus, sculpteur français du XIIe siècle connu pour
son travail à la cathédrale Saint-Lazare d'Autun. L'inscription « Merde à
celui qui le lira, signé Bigeard » est en effet gravée sous la mandorle
contenant, au centre du tympan, la représentation du Christ en gloire.
Dans
son Vrai Classique du vide parfait, le philosophe chinois Lie Tseu
cherche à démontrer le caractère illusoire des perceptions. Il reprend
l'exemple imaginé par Husserl d'une boule rouge et lisse qui s'avère
soudain être verte et bosselée de l'autre côté, démentant la
représentation anticipatrice que l'on en avait. Il cite aussi l'exemple
d'un mouton perdu que l'on retrouve grâce à une « méthode correcte ». On
lit, on lit, et arrivé à la fin de l'ouvrage, on se dit que le taoïsme,
on n'y comprend goutte mais... c'est quand même drôlement balaise
(surtout le coup du mouton)
Dès
qu'il se passe quelque chose à Marseille, la machine à poncifs se met
en route : la « cité phocéenne » par-ci, la « cité phocéenne » par-là...
Assez de cités phocéennes ! Un acte !
Walter
Benjamin dit que « quand on va assez loin en promenade dans la matinée
ou dans l'après-midi, on arrive à un endroit où, pendant un moment, on
est malgré tout encore content de vivre. » Mais le nihilique lui rétorque : « Un endroit ? Quel endroit ? Même avec de la bonne volonté, c'est
assez difficile à croire ! »
La « réalité empirique » est uniformément rébarbative mais elle présente
tout de même une certaine variété. Ainsi, la spécialité
d'Aix-en-Provence est le calisson quand celle de Valence est l'électron
(une spécialité très recherchée par les amateurs de macabre).
Le
fer à repasser de Man Ray, la tasse en fourrure de Meret Oppenheim
apparaissent comme de dérisoires jeux de l'esprit en regard de l'objet
ébouriffant et subversif par excellence qu'est le Rien.
Messieurs-dames
qui seriez prêts à jurer que vous n'êtes pas seuls, qu'il y a des gens
qui vous aiment, et cætera, attrapez donc un panaris et on en reparlera.
Comme la rencontre fortuite d'un arrosoir en zinc ou d'une herse
abandonnée dans un champ, comme les chansons de Michel Fugain mais de
façon plus lancinante, le panaris nous révèle notre radicale solitude.
Car non seulement les autres ne souffrent pas du doigt avec nous mais en
plus ils n'en ont rien à foutre !!!
L'univers
du nihilique est en forme de bouteille. En effet, wittgensteinien comme
il est, les frontières de son langage déterminent les frontières de son
univers — or il se trouve qu'il connaît le mot lagéniforme.
Sorte
de Sergueï Pavlovitch Korolev de la névrose autopropulsée, le nihilique
surveille la trajectoire de sa déchéance existentielle à l'aide d'un
cinéthéodolite. Jusqu'à présent, elle était nominale, mais soudain, tout
part en révérence parler couille. Sénescence... caducité...
décrépitude... « Corrigez ! Mais corrigez donc, sapristi ! »
L'avantage
de la solitude, c'est qu'on peut être con, vieux et moche sans avoir à
se sentir gêné. Il n'y a pas gêne ! L'inconvénient de la solitude,
c'est... euh...
S'enfouir
dans un dictionnaire et s'y claquemurer, pour ne plus avoir affaire à
la « réalité empirique » que par ouï-dire. Les mots ! Les mots plutôt que
les choses !
Ce
n'est pas « les mensonges » qu'Emmanuel Berl aurait dû dire. « Je hais les
bourrelles qui vous ont fait tant de mal. » Voilà ce qu'il aurait dû
dire.
Si
le « négateur universel » Émile Cioran avait découvert que Simone Boué le
trompait avec un garagiste de La Bourboule, le premier mot qui lui
serait venu à l'esprit aurait été extermination, le deuxième tête de
delco et le troisième joint spi.
Si
vous haïssez quelqu'un — par exemple une mégère difforme au faciès
d'hippopotame — avec suffisamment de force, ce quelqu'un finira par
exploser, par imploser, ou par recevoir un pot de fleur sur le cassis.
C'est en tout cas ce qu'affirme Tchouang-Tseu dans son Classique
véritable de Nanhua — et ce qu'espère ardemment le nihilique.
Le
philosophe Blaise Pascal croyait que la nature était l'image de Dieu.
Mais si on regarde mieux, on s'aperçoit qu'elle ressemble plutôt à une tête de chien couché.
Selon
Nagarjuna, le tathâta, autrement dit l'« ainséité » — qui désigne chez
les bouddhistes la véritable nature de la réalité à un moment donné —,
a pour caractère d'être non discursif, donc de ne pouvoir s'exprimer
par la parole. La réalité n'est pas verbale ! Elle est incommunicable et
atroce, comme le pensait Lugones ! Après ça, il ne faut pas s'étonner
si certains s'en vont, taciturnes et seuls, chercher la mort dans le
crépuscule d'une île.
Comme
Flaubert, le nihilique a son « gueuloir ». Et on y entend de ces
choses... Des « zingibéracé », des « pots de pisse »... Heureusement qu'il
n'y a pas de voisins (ça se passe dans sa tête).
Ce
n'est pas dans cent sept ans que le nihilique veut être canonisé mais
tout de suite. Santo subito ! Ainsi, il sera à l'abri du besoin
(métaphysique). Il n'a peut-être pas fait de miracles, mais il a mené
une vie exemplaire dans le Rien — et ce n'a pas été de la tarte.
S'il
faut en croire les Évangiles, Jésus était capable de réaliser
d'extraordinaires tours de force, comme de changer l'eau en un « effrayant pichtegorne » ou encore de multiplier les pains (il était
assez batailleur).
Le
zélateur du Rien et le théologien ont plusieurs points communs. Tout
d'abord, ils se meuvent chacun dans l'étrange et l'invérifiable (le
divin pour l'un, le pachynihil pour l'autre). Ensuite, tous deux
méprisent les « amis de la sagesse », leurs « concepts » et leurs « phénomènes ». Enfin, leur commerce de l'étrange et de l'invérifiable
leur donne un petit air vicieux qui les fait regarder avec méfiance par
le vulgum pecus.