Après
avoir parcouru le manuscrit de Crime et châtiment, Katkov, l'éditeur de
Dostoïevski, dit à ce dernier qu'il n'aurait pas dû appeler Marmeladov
Marmeladov mais Crèmedemarronov, pour accentuer le côté collant du
personnage. Mais Dostoïevski lui répondit qu'il ne « sentait pas »
Crèmedemarronov, que ça ne faisait pas assez russe, et Katkov n'insista
pas.
Au
nihilique, le réel semble une vaste jungle de calamites, de
lépidodendrons et de sigillaires. Si ses références botaniques sont
celles du carbonifère, c'est parce qu'il est un « homme du passé ». Il
croit aussi aux « forces de l'esprit » — et qu'une messe est possible.
Au
début de la pièce de Xavier Forneret, Bénita, veuve du baron de Rimbo,
fait de la broderie avec Guitta, sa fille adoptive. L'homme noir n'est
pas encore entré dans l'histoire. Il n'apparaîtra qu'au deuxième acte.
Voir
un charretier ou un cocher de fiacre flanquer une dégelée à son bigadin
mettait le « penseur paradoxal » Frédéric Nietzsche dans tous ses états.
Il ne se contenait qu'au prix d'un effort surhumain.
Le
philosophe David Hume était un vrai salop : il disait qu'il préférait
la destruction du monde entier à une égratignure de son doigt. Et il se
justifiait en disant qu'une telle préférence n'était pas contraire à la
raison, le fidgarce ! En plus, il ressemblait à une grosse baleine.
Aimer
quelqu'un : la gênance. Être aimé par quelqu'un : la gênance aussi.
Nourrir des illusions sur la nature humaine ; se croire quelqu'un : deux
façons de passer pour un couillon.
Un
autre garde-fou contre le suicide, plus efficace encore que le
misonéisme, est de posséder un animal (chien, chat, gerbille ou
ornithorynx) : on ne veut pas le laisser seul dans ce « monde de néant ».
La
Rochefoucauld le dit : à l'exception des monstres du type Attila ou
Bokassa Ier, toute personne possède de bons et de mauvais côtés. Et le
moraliste cite l'exemple de l'indépendantiste canaque Yeiwéné Yeiwéné
qui avait « une gueule de con mais un nom marrant ».
L'angoisse
kierkegaardienne se distingue de la peur zweigienne en ceci qu'elle n'a
pas d'objet bien défini (ce qui la rend quasi impossible à combattre).
Elle vous suffoque chaque matin au réveil, et comme Kierkegaard lui-même
l'a noté, c'est « malaisant ».
Le
gouvernement japonais considère qu'un individu devient un
hikikomori dès lors qu'il a passé plus de six mois enfermé seul dans sa
chambre à lire du Xavier de Maistre.
Comme
à tout un chacun, il arrivait à l'écrivain argentin Borges de produire
une matière immonde et pestilentielle, autrement dit de déféquer. Mais
sa dignité n'en était pas affectée, car il le faisait en invoquant les
mânes de Carlyle, d'Emerson et de Walt Whitman (parfois aussi de Henry
James) !
Dans
la tradition hébraïque, un hidouch est une interprétation innovante, un
enseignement inédit, une parole neuve et inouïe. Quand Gorgias dit que « rien n'est » et que « l'être ne saurait être pensé », c'est un hidouch. En
revanche, quand Boby Lapointe implore : « Dis, à m'aimer, consens, va »,
c'est un calembour — comme l'est aussi l'expression « un poêle
occulte ».
Lorsqu'il
a confié ses archives à l'Imec, le sociologue Marcel Gauchet a
cependant souhaité conserver ses lunettes, disant qu'il en avait besoin
pour voir, le temps qu'il lui restait à vivre. Voir quoi ?
Zorro,
le justicier masqué créé par Johnston McCulley, aurait pu s'appeler
Kouzou, d'après le kaballiste Joseph Gikatilla. Il s'en est fallu d'un
cheveu.
Le
nihilique a tellement marqué son époque, avec son infini
infundibuliforme, son pachynihil et sa devise « rien n'est », qu'il
mériterait d'être dans les Mythologies de Barthes, aux côtés de Minou
Drouet, du bifteck-frites et de l'abbé Pierre.
« À
quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque
disparition vibratoire, si c'est pour se faire larguer comme un
malpropre par sa gonzesse ? Et attention, hein : sans la gêne d'un
proche ou concret rappel.
Dans
son recueil Se hâter plus tôt, le poëte Tulio Herrera omet sciemment
des mots (par exemple celui labyrinthe). Dans son roman Que la fut, il
va encore plus loin et omet des scènes entières, dont l'absence rend
impossible de comprendre l'intrigue. On est d'abord irrité, puis on se
dit que c'est comme tout, et comme la vie même — où rien ne s'emboîte.
Anglophile
et contempteur de Jeanne d'Arc, le peintre Eugène Boudin semblait une
réplique moderne de Cauchon. Comme ce dernier, il s'en dédisait, ce qui
n'empêchait pas Charles Baudelaire de trouver ses tableaux « aux pommes ».
Pour
évoquer quelque mélancolique pèlerinage aux lieux jadis fréquentés avec
la femme infidèle, le poëte Santiago Ginsberg propose de dire
simplement jabuneh. C'est plus court et plus expressif.
Arthur
Rimbaud arrive à Aden en août 1880 après de nombreux vagabondages en
Allemagne, en Italie et en Autriche. Il a choisi Aden sur la foi d'un
conseil de Verlaine. Un jour, en effet, celui-ci avait soutenu qu'au
Yémen, il y avait tout ce qu'il fallait : Houthis (les fameux rebelles)
et matériaux (bois de construction, poutrelles métalliques, et cætera).
Quelle ne fut pas la déception du poëte des Illuminations !
Il
est amer et doux, pendant les nuits d'hiver, d'écouter, près du feu qui
palpite et qui fume, l'humoriste Fernand Berset raconter une histoire
de Ouin-Ouin (comme celle de Ouin-Ouin qui va chercher sa femme à la
gare de Neuchâtel).