Quand
il regardait une nature morte de Matisse, le philosophe David Hume
était incapable de reconnaître où était le pichet, où le fauteuil et où
les citrons. Il ne voyait que des « formes », disait-il. Il ne faisait
aucun effort abstractif !
S'il
existe un seul bouddhiste sincère — le Talé-Lama ? le
Pandchan-Remboutchi ? le Guison-Tamba ? —, nous serions curieux de
savoir comment il arrive à rester « zen » — et même simplement à vivre — tout en étant certain que « rien n'est ». Quant à nous, nous n'y
arrivons pas.
Si
George Berkeley a raison, si être, c'est être perçu ou percevoir, alors
le nihilique est dans de beaux draps. C'est à peine s'il est perçu par
la caissière du City Market de Bezons, et quant à percevoir... il ne
perçoit pas bézef vu qu'il est pas mal bigleux. L'immatérialisme
berkeleyien, quelle poisse.
Saint
François d'Assise, dans un de ses prêches aux oiseaux, rappela aux
petits volucres que c'était le Seigneur qui leur avait donné « vêtement
double et triple et liberté d'aller de tous côtés ». Il leur dit qu'ils
allaient devoir montrer un peu de reconnaissance, sinon ça allait « mal
se mettre », ça allait « bombarder mais dur ».
Parcourir
le monde en clamant partout qu'on est un écrivain, quelle ignominie !
Ceux qui le font mériteraient d'être fessés. Il y a quand même d'autres
moyens de se rendre intéressant. Ils n'ont qu'à dire qu'ils jouent du
piccolo, par exemple. « Je suis piccoliste de formation classique. » Ça
leur écorcherait la gueule, de dire ça ?
Les
ceusses qui disent « les couverts » pour parler des fourchettes, des
cuillères et des couteaux, on peut parier que ce sont des spinozistes,
ou tout au moins des individus qui, comme Spinoza, ont un bâton de
police dans le fiak. Ce sont d'ailleurs souvent des gens qui mangent des « fruits de mer » et prennent des « bains ».
« Edmond
et Léonard ont posé leurs cartables, deux sacs de faux cuir jaune,
tachés d'encre, et qui laissent voir le diplomate Marcel Carton aux
coutures. » (Maurice Genevoix)
Dans
le Bouddhacarita, poëme épique attribué à un certain Asvaghosha qui
vécut au premier siècle de l'ère chrétienne, il est dit que « rappelé par
son père, le Bouddha retourna à Kapilavastu accompagné de vingt mille
disciples ». On n'a pas envie d'en savoir davantage. Les histoires avec
des noms comme Kapilavastu, merci bien.
Le
bouddhisme, ça irait encore s'il n'y avait pas les bouddhistes. Ils
disent que « rien n'est » mais ils ont une doctrine, les couillons (le
bouddhisme, justement). Et ce n'est pas tout, ils ont aussi un « grand
véhicule de pompier ». Ils font honte aux véritables nihiliques, avec
leur « grand véhicule de pompier ».
Pourquoi
les personnes du sexe sont-elles couvertes d'ulcères, ont-elles un
filet de salive qui leur coule de la bouche, les cheveux en désordre, et
une gueule en charpie comme si elles avaient été piétinées par des
éléphants ? Voici ce que dit le Bouddha à ce propos : « Les femmes sont
ainsi, impures et monstrueuses dans le monde des mortels ; mais l'homme,
trompé par leurs atours, les trouve désirables. »
Le
rossignol de Keats est un drôle de coriace. Keats lui-même est décédé,
de même que Leopardi, Georg Cantor, René Panhard et tant d'autres. Mais
le bon diousse de rossignol gazouille toujours. Il est aussi increvable
qu'un archétype platonicien !
Les
pas que fait un homme, du jour de sa naissance à celui de sa mort,
dessinent dans le temps une figure inconcevable. Tellement inconcevable
que seule une intelligence divine pourrait — et encore, en se
concentrant — y reconnaître une tête de chien couché.
On
allume la télévision et ça commence. Marcel Fontaine, tant de jours.
Marcel Carton, tant de jours. Marcel Marceau, c'est autre chose, il fait
le mime mais le résultat est le même. Marcel Fontaine, Marcel Carton,
Marcel Marceau, que des Marcel. Ça suffit ! Assez de Marcel ! Du
possible ! Du possible, sinon nous étouffons !
Avec
le temps qu'arbre défeuille, quand il ne reste en branche feuille qui
n'aille à terre, on a vite fait d'avoir des idées noires. Surtout quand
vos amis ont été trop clairsemés ou que vous n'en avez jamais eu. C'est
déjà dur d'être seul quand il fait beau, mais là... La pluie, le vent,
la fatigue d'exister... Tout ça est tellement désagréable qu'on cherche
de tout son corps quoi que ce soit de solide où se pendre. Ô sombre
dimanche !
D'après
l'égyptologue Hans Goedicke, la reine Hatchepsout, quand son mari le
pharaon lui disait des mots doux, se sentait toute môsis (d'où le
tient-il, c'est une autre question).
Au
lieu de dire la mer, les poëtes saxons, sans doute pour épater le
bourgeois, disaient le chemin des baleines. Autrement dit, ils
faisaient « jore ». Les poëtes modernes n'ont rien inventé !
D'après
le Sefer Yetsirah, c'est au moyen de la lettre kaf que Jéhovah a créé
la narine droite de l'homme. Pour l'oreille gauche, il s'est servi de la
lettre tav. Par contre, pour le sacrum, mystère.
Le
roi Béhanzin, en plus d'avoir un nom burlesque, pratiquait les
sacrifices humains. En novembre 1892, quand les troupes du général Dodds
pénétrèrent dans son palais d'Abomey, elles découvrirent que l'édifice
était décoré de crânes humains. Ce fut l'horreur et la stupéfaction
parmi les braves pioupious.
Dans
son De re rustica, Columelle dit qu'avant de rentrer les foins, on doit
s'assurer que ceux-ci sont secs. C'est vrai, mais ça ne l'est pas que
pour les foins. Ça l'est aussi pour l'être — l'être !
Lou
Andreas-Salomé jugeait l'œuvre de Rée mineure (comparée à celles de
Nietzsche et de Rilke). Son Origine des sentiments moraux ne l'avait pas
impressionnée.
Les
amateurs de tennis de table se souviennent de Jacques Secrétin, au
sourire si doux. Champion d'Europe en 1976. Champion du monde du double
mixte avec Claude Bergeret en 1977. Il était parfois suivi d'un housard
qu'il aimait entre tous.
Quand
on traverse la rue Racine, on n'est pas obligé de penser à la tombe de
Celan. On peut penser au matelas-tombeau de Heinrich Heine. Ou à un
point mathématique. Tout n'est-il pas louable, en un sens ?
Le
22 octobre 1970, avant de briser les piliers du temple, le pianiste
Samson François s'écria : « Que je meure avec les philistins ! » Et c'est
ce qui arriva.
Il
n'est nul besoin d'être scandinave pour se rendre compte de la
dimension pathétique des traits circonstanciels. On peut s'en rendre
compte même en étant de Bezons.
Le
bandonéon a un son plus mélancolique que l'accordéon, c'est pourquoi
les spleenétiques le préfèrent. Mais pour les personnes vraiment « nihiliques », dont on sait que la prédilection va au sépulcral et au
caverneux, rien ne saurait surpasser la plainte mugissante et voilée du
basson.