mercredi 1 juin 2022

Un flop du Grandiloque

 

Le dimanche 17 janvier 1971, comme il se promenait du côté de Mortefontaine, le « négateur universel » Émile Cioran passa près d'une scierie et l'odeur du bois coupé lui plut infiniment. Il dit à Simone Boué qui l'accompagnait : « Dis donc, Momone. Si le cercueil sent aussi bon, on ne doit pas y être si mal. » Mais Simone rétorqua : « Tu déconnes, Mimile. Avec la mort, on perd l'odorat. » Le « négateur universel » dut admettre que son astuce ne valait rien mais décida néanmoins de la consigner le soir même dans le cahier où il notait toutes ses « pensées ». — That's all, pretty much !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Théorie du « jore »

 

Pour passer inaperçu et ne pas se faire enfermer chez les fous, il ne faut donner aucun signe qu'on trouve le « réel » bizarre. Il faut faire « jore » que tout nous paraît normal. Pourtant, et cela crève les yeux, tout, absolument tout dans le « réel » est bizarre, extrêmement bizarre — et même inquiétant.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 31 mai 2022

Alexandrin encore

 

« Vous vient à l'esprit la tombe de Celan » est le plus bel alexandrin de la langue française. Du moins s'il faut en croire Gragerfis (Journal d'un cénobite mondain).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un fugace résidu

 

Un quidam que tout excède, que reste-t-il de lui après qu'il a dévissé son billard (une fois qu'il est, comme on dit, « décédé ») ? Presque rien. Quelques paroles saugrenues, qui ne tardent pas à s'évaporer. Et un quidam que rien n'excède ? Moins encore.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Horripilantes abréviations

 

Pressé de toute part, l'homme du nihil a finalement accepté de participer à une négo avec la fédé (à condition qu'elle ne se tienne pas à Mada en présence d'expats).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Le facile et le difficile

 

Quand on lit du Rimbaud ou qu'on écoute du Mozart, on ne peut s'empêcher de penser : « Je t'en fais autant ». Mais pas quand on lit du Luc Pulflop ou qu'on écoute du Bach !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 30 mai 2022

Une vie d'esthète

 

La cathédrale de Chartres ; la calligraphie de Mi Fu ; la musique de Bach ; et pour finir, le revolver de Smith et de Wesson (chambré pour le .44 russe).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Bric-à-brac

 

L'homme du nihil a deux grands bœufs dans son étable. Deux grands bœufs blancs marqués de roux. Il possède de surcroît une charrue en bois d'érable et un aiguillon en branche de houx. À quoi tout cela lui sert-il ? Mystère.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Vaines traces

 

Si l'on considère la masse des humains ayant foulé la terre depuis cinq mille ans, quelle peut être la proportion de ceux ayant laissé une trace, même infime ? Un sur dix millions ? Moins peut-être ? Les autres, c'est exactement comme s'ils n'avaient jamais existé. Il est donc loisible de voir l'au-delà comme un lieu où l'on croise les gens qui réussissent (ceux « à trace ») et les gens qui ne sont rien (les autres). Mais cette distinction est en réalité spécieuse car le pachynihil les a tous absorbés !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Libre arbitre

 

Quelqu'un qui soutient que le libre arbitre existe, il y a fort à parier qu'il y est contraint par une force extérieure dont il n'est pas conscient. Idem pour celui qui soutient le contraire, d'ailleurs. Moralité : ça ne sert à rien de discuter du libre arbitre (surtout avec des crétins). Plus généralement, ça ne sert à rien de discuter de quoi que ce soit. Mais ça ne sert à rien non plus de ne pas discuter. Rien ne sert à rien. Oh, bon Dieu ! Nous y revoilà !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Alexandrin

 

On peut le dire aussi bien de la mort : « Ce train est omnibus pour Massy-Palaiseau ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Simples

 

La verveine soigne les pustules, tandis que l'achillée millefeuille passe pour vulnéraire et cicatrisante. Quant à l'armoise, elle soulage les pieds fatigués des voyageurs. Mais à ce qu'il paraît, il n'existe pas de simples contre la mort.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 29 mai 2022

Pensée réfrigérante

 

Vous vous promenez de-ci de-là, vous baguenaudez dans l'être, et tout à coup, en traversant la rue Racine, vous vient à l'esprit la tombe de Celan.
 
(Fernand Delaunay, Glomérules)

Nostalgie de l'incréé

 

L'homme du nihil, c'est bien simple : plus il connaît la vie, plus il est sûr que sa vraie place est « au royaume muet des os en décomposition ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Portrait du nihilique

 

Après sa rencontre avec l'homme du nihil, André Frossard le caractérisa ainsi : « De profil, il fait penser à une bête du désert morte de dégoût. Son crâne, qui rappelle celui de l'hyène, est pourvu d'une large mâchoire qui semble idéalement adaptée à l'usage qu'il en fait, à savoir mordre le fondement de l'historialité du Dasein. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

L'unique vérité

 

L'unique vérité se trouve dans le silence — et surtout dans celui, infrangible, que procure le taupicide.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Être supérieur

 

En supposant même que Marie-France Ionesco fût réellement un être supérieur, quel besoin de le dire ? Est-ce que ça allège d'un centigramme notre misère existentielle, à nous autres, êtres inférieurs ? Oh, Cioran ! Ce que tu peux être horripilant, quand tu t'y mets !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aux chiottes Darwin

 

Dans le Livre de la Genèse, remplacez Adam et Ève par des amibes ou des paramécies, et toute l'intrigue s'écroule (ces organismes unicellulaires n'auraient jamais été capables de distinguer l'arbre de la science du Bien et du Mal — sans parler du reste, la pomme, etc.). Et ainsi modifiée, la parabole peine grandement à expliquer pourquoi c'est le monstre bipède — et non l'amibe ou la paramécie, justement — qui est une créature maudite.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Humour noir

 

Appeler vie une succession de plaisanteries cruelles et de mauvais goût est en soi une plaisanterie cruelle et de mauvais goût.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 27 mai 2022

Air de famille

 

La vie, par sa brutalité et l'effroi qu'elle inspire, n'est pas sans évoquer l'odieux Garofoli, le sinistre « padrone de la rue de Lourcine ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Ascétisme bien tempéré

On peut vivre comme un ascète sans pour autant rechercher Dieu, la pureté ou ce genre de chose. Ça peut se faire juste comme ça, par dégoût. Mais attention de s'accorder quand même quelques « petits verres », hein ? Sinon on risque, par ennui, de se mettre à rechercher Dieu, la pureté, etc., et là ça pourrait devenir franchement « malaisant ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Littérature et homicide de soi-même

 

Il n'est pas aisé d'exprimer quelque chose de profond avec des mots. Par contre, avec un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe... Exemple : Jacques Rigaut.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aux chiottes la conscience

 

Quelle que soit l'idée qu'on se fait de la vie, elle se termine de la même façon. Alors à quoi bon se faire une « idée de la vie » ? Autant vaudrait manger de la révérence parler merde.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Fraternisation

 

Comment les gens font-ils pour « fraterniser » ? Mais peut-être qu'ils ne « fraternisent » pas réellement ? Peut-être qu'ils font seulement « jore » ?... C'est ça ! Ils font « jore » ! Ah, les salops !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Anti-phrase

 

Les choses importantes, on n'en parle que de manière indirecte. Quand on a du tact, c'est-à-dire. Quand on n'est pas un « Grandiloque des Carpates ». Mais à vrai dire, quand on habite « sur les cimes du désespoir », le mieux est encore de se taire.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Only the lonely...

 

« Quoi ? Know how I feel ?
— Oui. C'est ça. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Ressource du solitaire

 

Il y a des gens, ils ont beau faire, la solitude leur colle à la peau. Ce n'est pas tellement qu'ils l'aiment. C'est plutôt elle qui les aime (la garce). Heureusement, il leur reste la ressource de lire du Henri Michaux (ou du Luc Pulflop, ou tout autre auteur de cet acabit) pour oublier que, comme le pauvre « Rémi Sans Famille », ils n'ont pas d'amis.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 26 mai 2022

To do list

 

Ne se manifester en aucune manière, se comporter comme si l'on n'était pas vivant, adopter l'apparence d'une roche sédimentaire détritique, etc., etc.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Mots, maux

 

Le linguiste Chomsky pense que si tout à coup le mot panaris n'existait plus, il y aurait peut-être encore, ici ou là, des gens souffrant d'un panaris, mais ils n'y feraient pas attention ou à peine.

(Fernand Delaunay, Glomérules)