Le
psychologue américain John Tussord a raison : seul le ridicule est
fécond. D'ailleurs, tout ce qui est vivant est ridicule (prenez le
philosophe Michel Serres). À l'opposé, la mort est l'événement non
ridicule par excellence (prenez le même Serres après qu'il a « dévissé
son billard »). Conclusion : le ridicule n'empêche pas de mourir, mais il
est un atout précieux pour révolutionner « l'histoire de la pensée ».
Pour,
du monde, anéantir les structures empaillées, le déconstructionnisme
derridien ne vaut pas tripette. Par contre, le taupicide... Voilà le
législateur véritablement angélique, jupitérien, impérissable et
incessible ! Voilà le véritable médiateur du Rien ! — Dix grammes, en
une seule prise.
En 1955,
au Congrès international de linguistique qui se tenait à Oslo, les
conférenciers, à l'issue du banquet, levèrent leur verre empli de
phonèmes (ba, be, bi, bo, bu) à la mémoire d'un nihil antique.
Tous
ceux qui ont étudié le dandysme ont sous-estimé voire complètement
ignoré l'importance du cervelet. C'est pourtant à son cervelet que le « monstre bipède » doit de pouvoir faire des ajustements posturaux
dynamiques, et diriger ses membres pour effectuer un mouvement
déterminé. Le cervelet n'est pas à l'origine du mouvement, certes, mais
il contribue à la coordination, à la synchronisation et à la précision
des gestes. Sans cervelet, point de dandy.
« Délicieux
Rebatet, on le voit, si différent de l'exotisme d'un pittosporum, et
pourtant si forcené dans sa passion des décombres. » (Helena Miklowska)
Que
la terre est bleue comme une orange, cela reste à prouver, mais ce qui
est incontestable, c'est que l'univers est silencieux comme une langue
de bœuf.
Quand on
pense que l'homme, cet être chétif, vil et plein de « boyaux combinards »
se mêle de philosophie et disserte sur les « fins ultimes », on a envie de
faire « Pouah » et de cracher de dégoût.
Tel
un monstre à deux têtes entreposé dans la réserve de quelque faculté de
médecine, le nihilique — mais n'est-ce pas le cas de tout homme ? —
baigne dans le formol inadéquat du temps.
Le
renoncement prend parfois la forme de médicales fougères (avec
lesquelles il est doux de caresser son âme), parfois celle d'âcres
tubercules (qu'il faut mâcher consciencieusement et qu'on avale en
faisant la grimace).
Pour
casser les idées premières qui font obstacle à la lumière du
pachynihil, il faut utiliser quelque chose de robuste, possédant une
forte charpente et des jointures solides. Le vocable est inadéquat, sa
granularité est trop grossière, ses enclaves trop décisives et son cœur
trop aride. Il faut quelque chose dans le genre d'un brise-glace mésomorphe. Mais où en trouver un ?
La vie
n'est pas une délicieuse mouclade. On ne sait pas très bien ce que
c'est. Un empyreume pour les sots ? En tout cas, ce n'est pas une
délicieuse mouclade.
Si
on était un Russe de la littérature, la vie serait de tout repos.
Frappé d'un coup du sort, on se réfugierait dans la bestialité, dans
l'inconscience ou dans l'hérésie. Mais quand on a le malheur d'être de
Bezons, on n'a d'autre recours que la contemplation dans la souffrance.
La
passion oblique du repli contemplatif vous détache du monde plus
sûrement que la lecture d'un ouvrage de Karl Jaspers. Mais après quelque
temps passé dans les caissons crémeux du nihil, vous aspirez à entendre
de nouveau les petits oiseaux. Le nihil, pas plus d'ailleurs que ce que
Jaspers appelle « l'Englobant » (das Umgreifendes), — cela ne gazouille
pas. Non, cela ne gazouille pas des masses...
Celui
que le « fétide et rébarbatif réel » fait s'embouquer en d'usuelles
asphyxies, comment s'intéresserait-il au bergsonisme ou à la philosophie
de Maritain ? Se moquer du monde — et de « l'être » en général — est
la seule occupation qu'il trouve encore quelque peu exaltante, c'est son
unique « raison de vivre ».
Le
vocable possède un point commun avec la trompe de l'éléphant et la
queue du pangolin : il est préhensile. Sa fonction première n'est pas la
préhension, mais il peut bel et bien servir à prendre, à saisir des
objets, ainsi que le montrent maints exemples de la vie quotidienne. Son
utilité ne s'arrête pas là : on peut aussi l'arc-bouter contre
l'encoignure du Tout pour étançonner ce dernier.
De
quelque façon qu'on s'arrange pour enjoliver les choses, vivre revient
toujours à mener l'existence d'un cafard suintant recroquevillé dans la
boue d'un marais.
Un
chenapan ayant introduit un caramel mou dans le réservoir de sa
Panhard, Françoise Sagan dut faire appel au rugueux vocable pour, de ce
réservoir, extirper d'un coup le sucre et l'essence (elle avait d'abord
essayé avec « l'impassible émotion du chaos » mais ça n'avait pas marché).
Les « lettres d'adieu » en témoignent : la proximité de la mort transfigure
le « conscient intérieur » et estompe sa dimension contingente de réelle
fioriture.
Certains
bouddhistes (ceux de l'école dite nihiliste) passent leur vie à
dissoudre la substance de l'univers. Ils cherchent sans répit la grande
illusion qui se déploie derrière la « réalité empirique ». Mais une fois
parvenus face au vide suprême, face à l'abîme du non-être... ils ont les
chocottes ! C'est du moins ce que prétend Mircea Eliade. Il parle de « rapt extatique » plutôt que de chocottes, mais n'est-ce pas plus ou
moins la même chose ?
Dans
certaines civilisations orientales, la condition de « mort vivant » est
reconnue. On peut l'acquérir en organisant une cérémonie funéraire
anticipée. Après ça, on vous laisse tranquille. Quoique continuant à
vaquer à vos occupations, vous êtes officiellement considéré comme « décédé ». N'est-ce pas formidable ? Plutôt que d'être un « mort vivant »
plus ou moins clandestin, comme l'est toujours le nihilique en nos
contrées ?
Après
plus de cinquante années d'existence, on en arrive à la conclusion que
tout, absolument tout dans la vie est infect. Heureusement il y a
l'oubli, où l'âme noble peut languissamment se putréfier.