Si
tous les gars du monde voulaient bien arrêter de se faire chier
mutuellement, le bonheur serait sinon pour demain du moins pour la
semaine prochaine. Mais le mieux serait encore que tous les gars du
monde disparaissent. Du balai ! Aux chiottes, les gars du monde ! Aux
doubles-vécés !
Les
ceusses qui acceptent de bonne grâce la maladie, la vieillesse, la
mort, et d'être traités comme des paillassons par les personnes du sexe,
ces ceusses doivent être des lecteurs de Hegel ou de Nietzsche, ce
n'est pas possible autrement (en tout cas, chapeau).
Le
sens de l'existence est aussi introuvable que le dentier de Jeander
Cader (qu'il a perdu dans un accident de scooter au rond-point de
Perros). Son dentier lui a littéralement sauté de la mâchoire. Il a été
impossible de le retrouver, ce qui fait que maintenant, le pauvre
Jeander ne peut manger que de la purée. Eh bien, pour le sens de
l'existence, c'est pareil (nous nous comprenons et nous savons ce que
nous savons).
Quand
on pense que Thomas Bernhard est mort, et à seulement cinquante-huit
ans, on se dit que c'est horrible, que la mort pourrait au moins
épargner les négateurs. Mais tout au contraire, elle semble s'acharner
sur eux. Elle veut les faire taire, la garce ! Ils savent trop de quoi
il retourne ! Saloperie, va ! Grosse vache !
Les
idéalistes allemands, Kant, Hegel, Fichte, et cætera, ont reconnu le
caractère hallucinatoire de la « réalité empirique ». C'est ce qu'on
appelle un bel exploit intellectuel, ou nous ne nous y connaissons pas.
Les
Beckett, Ionesco, Adamov et consorts ont voulu épater le bourgeois avec
leur absurde, mais c'est un absurde de pacotille, entièrement théâtral.
Le véritable absurde est beaucoup plus sournois. Il se niche au cœur
d'un carré de romsteak, parfois même dans une simple assiette de
pilchards.
On
peut s'habituer à une douleur, à condition qu'elle ne soit pas trop
aiguë. On peut même s'y attacher. Une deuxième douleur se présente, on
se dit : « Après tout, pourquoi pas. » Mais à la troisième (les
côtelettes), on trouve que ça commence à faire.
De
cette vie globalement répugnante, la seule partie à sauver est
l'enfance. Enfant, on n'a pas encore découvert que « rien n'est », ce qui
fait qu'on peut s'émerveiller de ceci et de cela. On prend le réel pour
argent comptant. Et c'est aussi un temps rêvé pour faire le « golmon »
(comme Maurice Blanchot). Le prix à payer est que plus tard, on devient
un octogénaire qui pisse l'eau de partout, quand ce n'est pas un
aubergiste ou un criminel de guerre.
Pour
dompter l'angoisse d'exister, le philosophe Edmond Chassagnol (Théorie
du trop-plein) recommande de penser à un point mathématique. Hélas, ça
ne marche pas, ou peu.
Il
est difficile de se représenter que, pour certaines personnes, quelque
chose puisse paraître nouveau. Et même — après tout, pourquoi ne pas le
dire — excitant.
Le
savant astronome vous présente ses cartes, ses chiffres et ses
diagrammes, mais vous, tout cela vous dégoûte, tout ce que vous voulez
c'est vous barrer et plus vite que ça. Ah ! Qu'il ferait bon, plutôt que
d'écouter ce couillon d'astronome, s'éloigner seul dans l'air du soir
humide et mystique, et de temps en temps, dans un silence parfait,
regarder les étoiles !
L'enfer,
le vrai, ne comporte ni excréments, ni broches, ni feu, ni tenailles.
Il tient en un mot : jamais plus (deux mots en fait — comme dans
xéranthème xénotropique).
L'homme,
s'appelât-il Charles Rigoulot, est un être chétif et débile. Un
battement d'aile de papillon, un engorgement dans ses tubulures
internes, et il s'écroule. Pourtant, aussi incroyable que cela paraisse,
il fait des projets ! Il parle d'aller acheter une boule de campagne à
la boulange ! Il est fou, il n'y a pas d'autre explication.
Vu
sa conception de l'existence, il serait curieux de savoir comment
Beckett a réagi quand on lui a annoncé qu'il allait devoir être très
courageux (maladie de Parkinson). S'est-il livré à une rapide « décomposition du Moi », comme dans Malone meurt ? S'est-il réfugié dans
la « choseté » et le « non-mot », comme dans Molloy ? A-t-il exprimé sa
terreur d'être martyrisé avec des couteaux empoisonnés ?
Leopoldo
Lugones, homme austère et malheureux, sorte de « lunaire sentimental »,
disait que Baudelaire ne valait rien. Mais n'est-ce pas le cas de tout
homme ? Qui pense et qui sent ? Être homme, n'est-ce pas ne rien valoir ?
Alors pourquoi s'en prendre spécialement à Baudelaire ?
Le
nihilique réussit l'exploit d'être à la fois un damné de la terre et — métaphysiquement — un forçat de la faim. Par contre, il a du mal à
croire que s'il se lève, le monde va changer de base et qu'après avoir
été rien, il sera tout. Il est trop modeste pour ça, et de toute façon
ça ne l'intéresse pas. Il a des raisons de penser qu'être tout serait « malaisant ».
Un
jour, le « papiège » a déclaré qu'il ne fallait pas avoir peur. Plus
facile à dire qu'à faire ! Quand on balise pour tout et pour rien depuis
sa tendre enfance ! On aimerait le voir, le « papiège », se débrouiller
avec l'être. Car c'est l'être, qui nous fout dedans. C'est angoissant,
merde ! D'exister !
On
était déjà condamné à vivre isolé dans un univers de menace et de
désolation sans autre perspective que la mort, mais il faut croire que
ça ne suffisait pas, il faut maintenant qu'on nous foute les jetons avec
des taux de monocytes, de cholestérol, de triglycérides, de
transaminases, etc. On va mal, on le sait, on n'a pas besoin de détails.
Vos mesures, vos taux, vous pouvez vous les carrer dans le fiak.
Sadistes !
On
aurait aimé, tel Achille, être remis tout jeune à la tutelle sylvestre
du centaure Chiron. Mais au lieu de ça, ce qu'on a eu, ce sont des
instituteurs bornés qui ont sottement tenté de nous persuader qu'il y
avait de l'être (personnifié notamment par le fameux « évêque Rémi »).
L'amas
de viscères et de ligaments qu'on nomme « corps », où rien ne marche que
par à-coups, illustre bien ce « désordre asiatique du monde réel » dont
parle Borges.
Le
cerveau est envahi de mots (zingibéracé, lagéniforme, strapontin,
etc.). Ils n'ont pourtant rien à y faire. C'est une propriété privée.
Alors raouste ! Schnell !
Quand
on vient de Figeac et qu'on veut rejoindre Montcuq, il faut, sur
l'autoroute A20, prendre la sortie 58 vers Villefranche-de-Rouergue,
sous peine de passer aux yeux du vulgum pecus pour un « handicapé de la
vie ».