« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
jeudi 21 juin 2018
Ban du zéro
Dans son Traité de l'âme, Jamblique affirme — mais peut-on croire tout ce qu'il dit — que dans les premiers temps de la chrétienté, les Pères de l'Église se montrèrent fort courroucés quand ils virent l'usage du zéro se répandre parmi le vulgum pecus. Selon eux, Dieu étant présent en toute chose, toute représentation du néant ne pouvait être que satanique. Ils décidèrent donc de bannir le zéro dans l'espoir de sauver l'humanité du Malin.
On voit que ces « Pères de l'Église » étaient, comme plus tard le mathématicien Georg Cantor, des êtres profondément antinihiliques !
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Bonheur
Quand l'homme du nihil voit l'étant existant se livrer à la comédie du bonheur et gambader comme un agneau né de la veille, il pense tout de suite au boucher qui bientôt lui tranchera la gorge... Mais l'étant existant ne le sait pas, il ne veut d'ailleurs rien savoir, il est « heureux ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Le crépuscule d'une idée
On attribuait à l'idée du Rien, chez les Grecs et les Romains, un grand nombre de vertus, dont Dioscoride et Pline nous ont laissé une longue énumération. Nous ne rappellerons que les principales de ces vertus, en disant que l'idée du Rien était recommandée contre la dysenterie, la diarrhée, les hémorroïdes, les hydropisies, les maladies de la vessie et de la tête en général, le poison des champignons vénéneux, etc.
Aujourd'hui, l'idée du Rien est dépouillée pour nous de toutes ces illusions riantes, qui, chez les Anciens, lui prêtaient un charme particulier ; elle est devenue inutile à nos usages modernes, et nous ne faisons même plus aucun cas des propriétés qu'elle possède réellement.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
mercredi 20 juin 2018
Les suicidés (Georges Simenon)
Juliette traversa la rue à pas précipités, comme elle le faisait chaque soir en quittant Bachelin, et déjà, avec des gestes que la peur rendait maladroits, elle fouillait son sac à main, atteignait le seuil, faisait cliqueter la clef contre la serrure.
La porte, en s'ouvrant, dessina un rectangle lumineux qui rétrécit ensuite jusqu'à disparaître, en même temps que la jeune fille.
La porte était verte. Un écriteau maintenu par des punaises annonçait : rez-de-chaussée à louer. Il tombait une pluie froide. Bachelin ruisselait et ses mains étaient mouillées dans ses poches.
La maison était la dernière de la rue Creuse. Ses deux fenêtres éclairées, au premier étage, mettaient, avec un bec de gaz, les seules lumières dans la perspective obscure où l'eau dévalait.
Juliette montait l'escalier, Bachelin le savait, mouillée elle aussi, les lèvres meurtries par ses baisers, son carton à musique à la main, et lui attendait, pour s'en aller, de la voir passer derrière l'écran jaune du store.
Mais la porte venait seulement de se refermer. Juliette n'en était qu'à la quatrième, à la cinquième marche. Et voilà que le store s'écartait, qu'une maigre silhouette d'homme se profilait qui, lentement, montrait un fusil de chasse.
L'ombre ne faisait pas mine de viser, ne gesticulait pas. Elle montrait l'arme comme un emblème et c'était si inattendu, si incongru aussi dans le cadre paisible de la fenêtre que Bachelin, pris de panique, fonça vers le carrefour éclairé. Quand il s'arrêta, calmé par l'animation d'une rue commerçante, il s'aperçut qu'il avait couru, et les joues brûlantes, les oreilles pourpres, il se remit en marche à grand pas. Il comprenait soudain pourquoi Heidegger voyait dans l'angoisse l'expérience fondatrice permettant au Dasein de mettre au jour les possibilités les plus intimes de son existence, et pourquoi Merleau-Ponty, dans La structure du comportement, considérait l'émotion non pas comme un phénomène psychique simple, mais comme une expérience totale, un comportement qui doit être envisagé dans son ensemble. Il avait eu peur !
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Clin d'œil de Hergé à Otto Weininger
Madame Boullu est cette mégère, épouse de l'exaspérant marbrier des Bijoux de la Castafiore, qui, recevant les appels téléphoniques du capitaine Haddock, lui répond régulièrement que son mari est en déplacement alors qu'il se trouve en réalité à ses côtés.
Dans l'univers de Tintin, elle représente l'éternel féminin, avec son terrible cortège de duplicité, d'absence d'âme, et de sottise satisfaite d'elle-même.
Honte ! honte à toi, femme Boullu !
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Théorème de Richardson
En mathématiques, le théorème de Richardson, datant de 1968, porte sur la possibilité de simplifier les expressions. Ainsi, plutôt que de parler d'un « être particulier et paradoxal, que l'haeccéité désespère, obsédé par l'homicide de soi-même, percevant le Rien en toute chose, à qui vivre rappelle le mufle d'un veau, qui est tout à la fois enfermé dans sa solitude et embouqué dans d'usuelles asphyxies », Richardson préconise d'utiliser, après Doppelchor, l'expression « homme du nihil ».
Plus précisément, soit un ensemble E d'expressions représentant des fonctions d'une variable réelle, et E* l'ensemble des fonctions ainsi représentées, le problème consiste à établir la possibilité, partant d'une expression dans E, de déterminer si la fonction associée est la fonction constante nulle. Richardson montre que ce problème est indécidable sous certaines conditions.
Le théorème de Richardson a facilement été transposé à la scène, grâce au génie éminemment tragique de son auteur qui a fait de la passion sa spécialité.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Nominalisme
« Un homme a été mis en examen à Saint-Malo pour le meurtre de son épouse, dont il avait déclaré la disparition en 2006, et pour avoir fait disparaître ses restes dans son barbecue. En juillet 2006, la disparition de cette mère de sept enfants avait été jugée inquiétante, les enquêteurs ayant, dès le départ, trouvé que les différentes versions du mari étaient contradictoires. Placé en garde à vue le 10 juin, le mari a fini par avouer qu'il avait étranglé son épouse en juillet 2006, et que ne sachant quoi faire du corps, il l'avait enfoui dans le jardin.
Peu de temps auparavant, le mari avait découvert que son épouse, non contente d'entretenir une liaison avec un garagiste de La Bourboule, accordait aux "substances secondes" une existence ontologique réelle, quand lui ne voyait — et ne voit toujours — dans ces étants que des instruments qui nous permettent de parler commodément du réel.
Par la suite, il aurait déterré les restes de son épouse pour les brûler dans son barbecue. L'homme a été mis en examen le 12 juin pour "meurtre sur conjoint" et écroué. Il a demandé à son avocat de lui faire tenir les œuvres de Guillaume d'Ockham. » (Le Télégramme, 21 juin 2008)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Bel canto
Quoique le suicidé philosophique soit essentiellement un ténor, son médium est si plein, si corsé, qu'il lui permet d'aborder sans désavantage les rôles de baryton. Et, tandis qu'il commet son geste fatal, il lui arrive de donner le si bémol avec une puissance, un éclat, une rondeur qu'on ne rencontre aujourd'hui chez nul autre ténor, y compris ceux de l'Italie.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Alles muss verschwinden
Une des plus belles phrases de la langue française est, dans son laconisme véridique, celle qu'affichent régulièrement tels mercantis schopenhaueriens aux devantures de leurs magasins : « Tout doit disparaître ». Toute la doctrine nihilique y est resserrée avec une force et un bonheur d'expression suprêmes. Oui, en vérité, tout doit disparaître.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Un amer breuvage
J'ingurgite du temps qui passe, comme on le dit parfois d'un vin résiné ductile ou d'une pieuvre réfrigérée.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Individualisme
Depuis que l'Occident dans son ensemble — l'Occident comme civilisation — s'est engagé dans la voie du suicide, l'homme du nihil aurait presque envie de renoncer à l'homicide de soi-même, tant il exècre les voyages organisés et autres « activités de groupe ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
mardi 19 juin 2018
Temporation
« Martin, c'est à cette heure-là que tu rentres ? — Pardon, Mutti, je jouais avec les copains. Et puis tu sais, moi, le temps mécanique des horloges... J'ai décidé que désormais, seul compterait pour moi le temps phénoménologique. »
Heidegger avait en effet compris qu'« être-soi », pour le Dasein, implique d'être tout à la fois projet, en avant de soi, et son propre passé, ce qui ne peut se faire qu'en portant résolument, devant soi, son « être-jeté » et toutes les possibilités, vécues ou laissées de côté, que révèle l'extension de l'existence !
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Saleté philosophique
Il suffit de feuilleter une Histoire de la philosophie pour constater que depuis Spinoza, l'esprit des « amis de la sagesse » est très sombre, toujours humide et plein de boue. Au contraire, celui des philosophes présocratiques est sec et sans boue, ou du moins, on n'y trouve pas tant d'immondices.
La raison de ce phénomène est à peu près celle que donnent les physiciens pour expliquer la prompte dessication d'un linge humide, exposé en plein air ou au soleil, tandis que, dans une cour étroite et encaissée, cet effet n'a pas lieu.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Vents nihiliques
L'homme du nihil, quand il souffre de ballonnements consécutifs à l'ingurgitation d'aliments tels que brocolis, hareng fumé, salsifis, fromages fermentés, etc., a une méthode d'accompagner qui relève infiniment le prix de sa philosophie nihilique ; c'est l'art de l'augmentation ou de la diminution du son, que l'on pourrait appeler l'art des nuances ou du clair obscur et qui se pratique soit par degrés, soit tout à coup. Outre le fort et le doux, le très fort et le très doux, il pratique encore un mezzo piano et un mezzo forte plus ou moins appuyé.
Et alors, comme le dit M. Tilliette à propos de Fichte, « le problème du fondement du savoir se retourne en celui du savoir du fondement » 1.
1. Xavier Tilliette, Fichte. La Science de la liberté, Paris, Vrin, 2003.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
lundi 18 juin 2018
À la conquête du pôle
Le cadavre d'une femme de 41 ans a été retrouvé, dimanche 1er juin, au fond d'un congélateur dans la maison de ses parents, à Yutz (Moselle), par son mari qui s'inquiétait de son absence. Le parquet de Thionville privilégie la thèse du suicide.
La mère de famille s'était rendue chez ses parents samedi soir. Dimanche, sans nouvelles de sa part, son mari était à son tour allé chez ses beaux-parents, où il n'avait trouvé personne.
« Il a découvert une lettre de suicide et tous les aliments congelés sur la table. Il a alors ouvert le congélateur et y a découvert le cadavre de son épouse », a expliqué le substitut du procureur.
La victime, décrite comme fragile et de santé chancelante, portait un bonnet et des gants, comme si elle se préparait à une expédition dans la Nouvelle-Zemble. Une autopsie réalisée mardi à l'institut médico-légal de Nancy « n'a pas permis de mettre en évidence l'intervention d'un tiers dans la mort », ce qui a définitivement accrédité la thèse du suicide, éliminant par là même celle d'une expédition arctique qui aurait mal tourné. (France Info, 4 juin 2014)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Sur les traces de Timon de Phlionte
Un suicidé philosophique faisant profession de scepticisme dira : « Que le colt Frontier soit un revolver à platine simple action et canon de dix centimètres, je ne l'affirme pas, mais qu'il paraisse tel, j'en conviens. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Théorème de plongement de Nash
Le théorème de plongement de Nash, dû au mathématicien John Forbes Nash, affirme que toute variété riemannienne d'étant existant — le fameux « Dasein » des existentialistes — peut être plongée de manière isométrique et jusqu'à ce que mort s'ensuive dans un un bain d'acide sulfurique concentré.
Il est assez intuitif et se démontre facilement, mais est quelque peu risqué à mettre en œuvre.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Au banquet de la vie...
Que de coupes amères j'ai bues avec ce désastreux camarade qu'est le Rien !
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. dégoût)
Ruches
« Un apiculteur de Mont-Tremblant se dit scandalisé. On lui a, au début de la semaine, volé quatorze ruches habitées. Le propriétaire du Petit rucher du Nord, Félix Lapierre, est prêt à offrir une récompense à quiconque l'aidera à récupérer son bien. » (L'information du Nord, 25 septembre 2015)
Une mésaventure contrariante, certes, mais qui n'est rien comparée à celle du Dasein condamné à regarder, impuissant, le temps — ce diabolique diadoque — saccager avec vigueur « le beau rucher de ses tremblants viscères ».
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Un kierkegaardien
« Homme, 26 ans, célibataire, ouvrier. Arrêté chez un marchand d'eau-de-vie, il est conduit à l'hospice.
Agitation excessive. Il crie au meurtre ! à l'assassin ! Il refuse toute espèce d'aliment. Il a voulu se tuer, et il montre son corps tout couvert de contusions, comme la preuve de sa résolution. Il entend et croit voir le philosophe Jean Grenier, pourtant mort depuis des années.
Dix jours après l'invasion de la maladie, il est amené à l'asile. Agitation excessive, loquacité, incohérence, cris, égarement de la physionomie. Critique féroce de la philosophie hégélienne. Le malade soutient notamment, contre la spéculation abstraite, qu'il ne peut y avoir de "système de l'existence". Il clame que que "la subjectivité est vérité" et que "la vérité est subjectivité".
Un érysipèle du cuir chevelu se développe avec mouvement fébrile. Gonflement énorme de la face et de la tête. Accablement, stupeur ; le malade ne peut plus parler. Pouls fréquent, soif ardente, langue sèche, dents fuligineuses, dyspnée. Le malade essaie de montrer sa langue. Il meurt. » (Maximilien Parchappe, Traité théorique et pratique de la folie, Paris, Béchet, 1841)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Cravate solidaire
« Se présenter à un entretien d'embauche lorsqu'on a perdu confiance en soi, répondre avec justesse alors qu'on connaît mal certains codes de l'entreprise, être habillé convenablement alors qu'on a peu d'argent pour investir dans une tenue... C'est pour accompagner les personnes en butte à ces difficultés que la Cravate solidaire a été créée à Paris en 2012. Depuis trois ans, cette association est également présente au Mans.
Pour aider les personnes en insertion ou en réinsertion et leur éviter les discriminations liées à l'apparence, la boutique de la Cravate solidaire offre des tenues adaptées (costumes, chaussures, etc.) et des conseils de spécialistes des ressources humaines.
Les bénéficiaires, qui sont de tous les âges et de tous les profils, parviennent la plupart du temps à décrocher un emploi. Ceux qui échouent, s'ils éprouvent en outre la pénible sensation de vivre isolés dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort, sont orientés vers une association partenaire, le Taupicide solidaire. » (France Info, 3 janvier 2018)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Déchéance
Nous trahissons tous notre jeunesse, cela est une triste évidence, mais le champion dans ce domaine est sans conteste l'homme du nihil.
Qu'y a-t-il de commun, en effet, entre le véhément pourfendeur de l'haeccéité qui lançait des éclairs terrifiants quand, tout juste sorti de l'adolescence, il brandissait son colt Frontier au canon de dix centimètres, et le petit personnage fumant sa pipe au coin du feu face à une mégère au faciès d'hippopotame ? Comment l'un a-t-il pu engendrer l'autre ?
Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
dimanche 17 juin 2018
Influence morbide de l'humidité
Nicolas Léonicène, voulant prouver que l'homicide de soi-même était le symptôme d'une maladie causée par un excès d'humidité, rapporte un passage d'Hippocrate qui dit qu'à la suite d'une année pluviale, il survenait des tubercules, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur du Moi, et qu'on appelait ces tubercules des fics : Tubercula intrinsecus et extrinsecus, quœ ficus appellantur.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
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