samedi 20 octobre 2018

La grande évasion


Encellulé depuis sa prime enfance dans le cachot fétide de la raison pure, l'homme n'a de cesse de s'en échapper, mais quand il y parvient enfin, c'est pour déboucher dans le marécage du néantisme, c'est-à-dire une des formes innombrables de ce scepticisme radical et final qui ne reconnaît pas de support, de plancher ni même de tasseau à l'univers !

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Médiumnité nihilique


Contrairement au pénible Hugo, le suicidé philosophique ne sacrifie pas au goût de son siècle en versifiant, entre deux grand élans de son génie, des sensibleries prudhommesques. Sa place est parmi les grands inspirés de tous les âges. Il les rejoint par sa perméabilité à la voix mystérieuse qui court et germine au fond des forêts obscures de l'esprit humain : celle du Rien.

(Marcel Banquine, Exerices de lypémanie)

Interlude

Jeune femme lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

De l'existant marcellien


Qu'est-ce donc qui peut être considéré comme existant ? À cette question, la philosophie marcellienne répond sans ambiguïté : « Rien ne peut être dit exister que ce qui peut entrer en relations de contact, en relations spatiales avec, révérence parler, mon corps. Il est illusoire que je m'oppose en tant que moi pensant, à la réalité spatiale dans laquelle je plonge et à ce moi étendu que je suis. »

— « Oui, eh bien, c'est ce qu'on va voir », rétorque le suicidé philosophique en empoignant son colt Frontier au canon de dix centimètres, à la merveilleuse précision.


(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Paranoïa ?


L'être est une cabale où trempent le réel et mon intérieur frit.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Lecture de Fichte


13 juillet. — Commencé la lecture des Méditations personnelles sur la philosophie élémentaire de Johann Gottlieb Fichte. Quel voyage assommant dans les couloirs méandreux de l'idéalisme allemand ! Il me rappelle celui qui me mena jadis de Montréal à Toronto, durant lequel, à part la vue d'une campagne d'apparence fertile, on ne voit sur tout le parcours que des villes peu importantes telles que Prescott, Brockville, Cornwall.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

vendredi 19 octobre 2018

Interlude

Jeune femme lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Crabe estropié


Selon Gragerfis, l'homme du nihil acharné à dilacérer son Moi « présente quelque similitude avec ces crabes dont on a brisé les pattes dans le milieu de quelques-unes de leurs parties, soit cuisse, jambe ou tarse, et qui se hâtent, par un mouvement brusque d'extension, de détacher le tronçon de la partie brisée et se mettent ainsi à l'abri de l'hémorragie qui les ferait périr. »

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Un amateur de racines


L'existence farouchement radicivore du solipsiste.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Sidération du Dasein


« Quand la douleur corporelle se trouve écrasée par les réalités bétonnées de l'objet, la douleur psychique se perd, elle, dans l'inconsistance du vide, courant d'un objet à l'autre, qu'elle s'obstine à solliciter comme vital et à rejeter comme détestable, et sachant, rappelons-le, que l'être peut aussi bien se tenir, pour les mêmes raisons, dans l'apparente sidération. » — Les « réalités bétonnées de l'objet » ! Comme cela est beau et nous émeut au suprême !

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune femme lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Esprit de contradiction


Le suicidé philosophique est comme ce prisonnier qui, voyant que l'on dresse un gibet dans la cour, croit que c'est à lui qu'on le destine, s'évade la nuit de son cachot, pénètre dans la cour et se fracasse la tête contre la muraille après s'être gargarisé, en guise de poison mortel, du vocable « reginglette ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Prodiges nihiliques


Au dire de Pline l'Ancien, l'idée du Rien, parmi une foule d'autres choses, « arrête l'action de la justice », « éteint les feux de l'amour » et « protège les femmes enceintes ». — Voilà qui est à peine croyable, et il faut toute l'autorité du célèbre naturaliste pour nous convaincre de la réalité de ces prodiges!

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Un parangon


Excellence ontologique du mollusque.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Beauté un peu vulgaire lisant le Monocle du colonel Sponsz

Vice de conformation


« Chez de nombreux suicidés philosophiques, le Moi est rétréci obliquement, c'est-à-dire dans la direction du diamètre qui croise celui qui, du point de vue de l'ankylose, s'étend à la cavité cotyloïde du côté opposé, tandis que ce dernier diamètre, au contraire, n'est point diminué et offre même, quand le vice de conformation est considérable, plus d'étendue que dans l'état normal. » (Franz Karl Naegele, Des vices de conformation du Moi, et spécialement du rétrécissement oblique, J.-B. Baillière, Paris, 1840)

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Un vrai pastis


Le réel mérite un grave reproche : quoique excellent dans le fond, il manque absolument d'ordre, et la distribution des matières y est on ne peut plus mauvaise, ce qui le rend très difficile à comprendre 1.

1. Heureusement, M. Choron en a donné une nouvelle édition mieux ordonnée et distribuée, à laquelle il a ajouté un traité du contrepoint simple.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Violon tzigane


Otto Weininger affirme que la musique tzigane « touche particulièrement les êtres sensibles et parfois déséquilibrés ». Il cite à l'appui de sa thèse l'un des héros du roman Anna Karénine, Nikolaï, frère de Konstantin Lévine, un ivrogne qui « adorait les Tziganes et les chansons russes ». Est-ce un abus de musique tzigane qui poussera le penseur viennois, le 4 octobre 1903, à mettre fin à ses jours, à l'âge de vingt-trois ans, dans la maison même où Beethoven rendit son dernier souffle ? Nous ne pouvons ici que poser la question.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

jeudi 18 octobre 2018

Interlude

Jeune femme lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Modèle de Kolmogorov


Un bon moyen de se familiariser avec le modèle probabiliste de Kolmogorov — qui trouve son fondement, faut-il le rappeler, dans la théorie mathématique de la mesure — est, en quelque sorte, de le construire soi-même, par exemple en s'enfonçant le crâne à la région frontale par une pierre lancée avec violence afin de vérifier statistiquement l'hypothèse d'un rapport intime entre la perte plus ou moins absolue de la parole et l'altération plus ou moins profonde des lobules antérieurs du cerveau.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Dangers de la procrastination


Pour de multiples raisons, il arrive que l'homme du nihil repousse le moment de se supprimer, préférant ignorer sa conscience qui lui commande de quitter sans rouspétance l'indigeste « banquet de la vie ». Différer l'homicide de soi-même est pourtant chose risquée. Bientôt la caducité commence ; la décrépitude la suit : le corps s'affaisse ; les forces des muscles ne sont plus proportionnées les unes aux autres ; la tête chancelle ; la main tremble et n'est plus capable de manier avec assez de précision le revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe... Il est trop tard : les jeux sont faits ; « rien ne va plus ».

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Invocation


Ô coruscant vocable ! Crématoire du Tout !

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Pente savonneuse


L'homme du nihil, qui souffre de naissance d'une « fêlure » à la Scott Fitzgerald, tente d'abord de se raccommoder en expérimentant le retrait jusqu'à l'extrême de la sécession. Après quelques années de vagabondage solitaire dans le désert de Gobi de l'existence, il se jette dans une union fichtéenne de l'humain et du divin, qui échoue à son tour. En désespoir de cause, il se tourne alors, soit vers le muscadet, les huîtres et les bigorneaux, soit vers le taupicide, selon que sa nature est épicurienne ou que son tempérament le porte à la mélancolie. Dans les deux cas, il passe aux yeux de l'omnitude pour un « homme perdu ».

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeunes filles lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Noirceur


Dans son poëme Obsession, Baudelaire confesse qu'il « cherche le vide, et le noir, et le nu ». Ceci, à certains égards, ne laisse pas d'être obscur, mais est assurément le sombre aveu d'une sombre tristesse et montre que le poëte partageait quelques penchants avec le suicidé philosophique !

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Dans le miroir


Une larve éruciforme.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Un être de cauchemar


« C'est dans les brumes de la froide et austère Allemagne, nous dit Cuvier, qu'on trouve l'idéaliste transcendantal, cet être tellement hideux que l'imagination a peine à concevoir que son image ne soit pas le résultat des divagations d'un fou bien plutôt que la scrupuleuse copie de la nature. On n'a guère de détails sur les habitudes de ce monstre. On sait seulement, par les débris qu'on a retrouvés dans son estomac, qu'il se nourrit de concepts, et qu'il professe — ironie suprême pour une créature qu'on croirait sortie de la célèbre Tentation de Callot — un amour immodéré du beau et du sublime. »

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune fille lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Kikajon


On trouve dans le Livre de Jonas la surprenante narration suivante : « L'Éternel Dieu apprêta un kikajon, et le fit monter au-dessus de Jonas, afin qu'il fût pour ombre sur sa tête, et qu'il le délivrât de son mal. Jonas se réjouit de grande joie à cause du kikajon. Puis Dieu prépara un ver, pour quand l'aube monteroit le lendemain : lequel frappa le kikajon, dont il se sécha.
Et ainsi quand le soleil fut levé, Dieu prépara un vent oriental, qu'on n'apercevoit point, et le soleil frappa sur la tête de Jonas : dont s'évanouissant, il requit pour son âme, qu'il peut mourir, et dit : Meilleure m'est la mort que la vie. Et Dieu dit à Jonas : Est-ce bien fait à toi, que tu te sois ainsi courroucé pour ce kikajon ? Et il répondit : C'est bien fait à moi, que je me sois ainsi courroucé, voire jusqu'à la mort. Et l'Éternel dit : Tu voudrois qu'on eût épargné le kikajon, pour lequel tu n'as point travaillé, ni ne l'as fait croître : car il est venu en une nuit, et en une nuit est péri. Et moi, n'épargnerois-je point Ninive cette grande ville, en laquelle il y a plus de six vingts mille créatures humaines, qui ne savent point ce qu'il y a à dire entre leur main droite et leur main gauche, et aussi plusieurs bêtes ? »


De nombreux érudits ont cherché à percer le mystère de ce kikajon et ont soupçonné tout à tour la coloquinte, la courge, et même le lierre. Mais selon Gragerfis, l'énigmatique kikajon ne serait rien autre chose que... le ricin ! Mais oui !

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)