« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mercredi 25 mars 2020
Mensonge universel
Pour l'homme du nihil, le monde entier « avec les étoiles et les éléments » n'est qu'un « immense fleuve excrémentitiel ». Pour lui, la terre, les pierres et les métaux, la mer, le ciel, les astres et le soleil, tout est néant, « balmuche », « peau de balle », et en outre « tout pue ». Tout dans l'univers n'est que « mensonge et escroquerie », et les prétendus « êtres vivants », dans leur pseudo-vie, n'expriment en fait que la mort et la toute-puissance de l'« absolu ténébreux ».
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
mardi 24 mars 2020
Critère
Si un discours est clair, sans équivoque, prédicatif ou cataphatique d'une manière ou d'une autre, il est patent qu'il ne porte pas sur le Rien.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
lundi 23 mars 2020
Une expérience banale
Dans les Actes des Apôtres, on peut lire que « Paul se releva de terre et, les yeux ouverts, il vit le néant ». — Voir le néant, c'est aussi l'expérience que fait quotidiennement l'homme du nihil, par exemple en allant aux commissions — Ô ces pousseurs de chariot ! Ces gueules ! — mais il y a longtemps qu'il n'en fait plus une affaire. Et surtout, il n'en tire pas la conclusion que « Dieu est un être qui a en lui la totalité de l'être ».
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
dimanche 22 mars 2020
Heimlich
D'après Edmond Jaloux qui l'a beaucoup fréquenté, l'homme du nihil aimait à citer l'existentialiste puydômois Edmond Chassagnol qui, dans sa Théorie du trop-plein, compare l'existence à un « glaçon mal avalé ».
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
samedi 21 mars 2020
Cagastrum
Dans le langage de Paracelse, cagastrum signifie l'image de quelque chose du ciel ou une chose qui n'est telle qu'en apparence. C'est le contraire d'yliastrum. Paracelse dit que cagastrum est ce que le sel de nitre est à la materia prima. Après la chute, la chair d'Adam devint cagastrique. Il y a deux sortes de vie, l'une est yliastrique, ou celle de l'esprit, et l'autre cagastrique, de la partie animale. L'homme du nihil juge la sienne simplement caguante.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
vendredi 20 mars 2020
Tout est possible
L'homme du nihil n'est nullement un visionnaire ni un déséquilibré ; bien au contraire, il est remarquablement sobre et sain d'esprit. Certes, il est superstitieux ; il croit aux apparitions ; il croit qu'il est possible de faire un voyage en enfer ; il croit que l'âme réside un certain temps après la mort auprès des choses qu'elle a aimées pendant la vie (encore faut-il qu'il y en ait !) ; il croit que le vocable reginglette éloigne les mauvais esprits. Mais, ne l'oublions pas : si pour l'homme du nihil tout est possible, c'est parce qu'en réalité rien n'est.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
Illumination
Il arrive, mais cela est fort rare, que la lumière du Rien, invisible en elle-même, se révèle dans sa splendeur et son éclat en se heurtant à la surface polie, opaque et joviale d'un vase d'étain.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
jeudi 19 mars 2020
Remède non-conceptuel
À la philosophie, ce « stérile pays hérissé de frimas », l'homme du nihil a toujours préféré le muscadet, moyen selon lui sans égal pour « couver doucement la mort » et « faire tomber en flaque le Moi ».
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
mercredi 18 mars 2020
Antagonisme résolu
De même que l'éclair physique résulte du choc de deux courants électriques — positif et négatif —, l'« éclair ontogénique » que produit l'homicide de soi-même marque la solution brutale d'un conflit métaphysique. Dans ce conflit, l'élément qui aspire à se libérer épuise l'élément qui lui fait obstacle et le résorbe, tout en se résorbant lui-même dans le Rien. Tout suicide réussi peut donc être vu comme la résolution d'un antagonisme.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
mardi 17 mars 2020
Torture par le vocable
Ressentant violemment l'agression du « monstre bipède » et de la « réalité empirique », persuadé, alors que sa vie est parfaitement pure, qu'il commet sans cesse le péché de « création de concept » et qu'il se souille, l'homme du nihil perd du terrain, recule, assailli en une mêlée insoutenable par les vocables (reginglette, gloméruleux, etc.) qu'il rumine maladivement. Il le confie dans son journal : « Ce sont eux [ces vocables] qui, en un dernier effort, se retournent contre toi, épuisant leurs poisons, multipliant, par artifice satanique, les illusions de tes sens déréglés, s'acharnant à extirper de toi ce prodigieux espoir d'une vie paisible dans le Rien. Qu'espérais-tu, Samuel ? Il ne te sera pas laissé de répit dans l'humiliation, la détresse et l'outrage que tu ne sois mort, parfaitement mort... » — Dès lors, la nécessité de l'homicide de soi-même ne se discute plus, seul moyen de se délivrer de cette exaspérante prison.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
lundi 16 mars 2020
dimanche 15 mars 2020
Équilibre instable
Selon Gragerfis — qui l'a sans doute lu dans Jamblique —, « toute vie garde en elle la potentialité de la mort, comme la lumière conserve en puissance l'ombre ». Cela est vrai, sans contredit. Et de même que l'éclair est la limite fugitive entre l'ombre et la lumière, de même la vie reste-t-elle un état intermédiaire, instable, périlleux, une zone sans cesse disputée entre l'être et le non-être. Qu'une carence en fibres, solubles ou insolubles, plonge l'homme dans le cauchemar de la constipation, que l'idée du Rien s'insinue dans sa pachyméninge, l'équilibre est rompu, et c'est le drame.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
samedi 14 mars 2020
Communion mystique
L'instant où se dévoile le pachynihil est comparable à la haute jubilation de Mozart, au cri de délivrance et de joie qui éclate, fugitivement, dans les dernières méditations de Schubert ou de Nerval. L'essence du monde est tragique. Tout destin penche vers la mort. L'unique délivrance est cette seconde de grâce où le Dasein prend conscience que rien n'est. L'élu a été convié à la plus haute joie : à une communion mystique avec le Rien, avec le principe impérissable des êtres.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
vendredi 13 mars 2020
Mort de la réalité empirique
« La réalité empirique est morte du sectarisme imbécile de ses adeptes. Ce qu'il en reste est une sorte d'amas hybride sur lequel l'homme de la Nature et de la Vérité lui-même est incapable de mettre un nom. » (Lettre de l'homme du nihil à Roger Gilbert-Lecomte datée du 15 septembre 1937)
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
mercredi 11 mars 2020
mardi 10 mars 2020
Descente aux enfers
Très tôt survient, chez l'homme du nihil, la conscience de l'insigne précarité du réel et de l'inquiétante incertitude du vocable. Cette lucidité pessimiste ruinera la santé du poëte et le conduira à l'enfer du renoncement ; elle nourrira la mémoire mélancolique qui le fait soupirer après la douceur de « l'infini infundibuliforme » ; elle sera l'aiguillon qui le dresse contre lui-même et le pousse à dilacérer l'« odieux Moi » ; elle ira jusqu'à noircir et déformer l'« autrui » du philosophe Levinas, sarcastiquement rebaptisé « monstre bipède ». Daumier et Goya ! Elle poussera l'homme du nihil en lui-même, d'étape en étape, toujours plus douloureusement, jusqu'à ce jour de septembre 1948 où, se découvrant « fait de viscères », il décide que « trop c'est trop » et se supprime en avalant du taupicide. Ainsi finit, logiquement, cette vie « spectrale », effarée de se découvrir matérielle alors qu'elle s'était toujours cru consubstantielle au Rien !
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
lundi 9 mars 2020
Machine à broyer
S'il ne se retenait — mais prudence est mère de sûreté ! — l'homme du nihil dirait de l'existence ce que l'écrivain Thomas Bernhard dit de la justice autrichienne, à savoir qu'elle est « une machine catholico-nationale-socialiste à broyer les hommes ».
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
dimanche 8 mars 2020
Sièges
Qu'il soit assis sur la banquette de la salle Bordone ou sur un affreux et inconfortable tabouret de Loos ou encore dans un affreux fauteuil ottowagnérien, l'homme du nihil ne peut échapper à cette vérité qu'il est seul, que tout est vide, et que lui-même est complètement vide.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
samedi 7 mars 2020
Définition
Après un nombre effarant de « petits verres » de muscadet, cette magnifique définition de sa destinée surgit sous la plume de l'homme du nihil : « Traqué de toute part, subissant le joug de l'haeccéité, tu souffres persécution, en ta nature exténuée par la formidable pression du Rien. »
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
jeudi 5 mars 2020
Haut et bas
Le « système du monde » de l'homme du nihil est une cosmogonie irréductible du haut et du bas : au ciel — assimilé au Grand Indéfini d'Anaximandre — règne un démiurge baroque, le « pachynihil » ; dans les enfers — identifiés à la réalité empirique —, sévit le fameux « autrui » du philosophe Levinas. Entre les deux, le Dasein erre à la dérive, rongé, chahuté, ruminant la fatidique question « pourquoi y a-t-il en général de l'étant et non pas plutôt rien ? » Mais personne ne répond.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
mercredi 4 mars 2020
Indémodable
« L'homicide de soi-même ! Quelle œuvre merveilleusement dense, qui triomphe avec sûreté du temps et des modes ! Et le suicidé philosophique ! Quel extraordinaire modèle il offrirait au romancier d'une destinée solitaire, crispée sur ses alarmes et ses élans ! » (Edmond Chassagnol, Théorie du trop-plein)
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
mardi 3 mars 2020
lundi 2 mars 2020
Au fou !
À l'étrangeté maximale de l'homme du nihil, répond une distance également maximale — de terreur, d'admiration et de répulsion. Quand l'homme du nihil dit que rien n'est, l'homme de la Nature et de la Vérité évoque aussitôt le drame de la folie et feint de ne pas comprendre, ou bien il confie l'éclaircissement de cette « parole folle » à des experts en psychiatrie. — Mais qui dans cette affaire est le fou ?
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
dimanche 1 mars 2020
Dépossession
L'homme du nihil, ainsi que l'affirme Georges Charbonnier, est bien « retranché » et ne peut que constater ce retranchement. La dépossession dont il souffre ne concerne pas le seul langage (ou plutôt, elle le concerne aussi, comme en témoigne son usage fantasque du vocable reginglette, mais secondairement), elle est d'abord dépossession du monde et de soi : « Quand j'essaie de fixer ma pensée sur un objet, va te faire fiche, tout ce que j'arrive à capter, c'est de l'absence, de l'impensable et de l'indicible. Si ce n'est pas à devenir maboul ! »
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
vendredi 28 février 2020
Le silence du taupicide
Grand lecteur des poëtes maudits, l'homme du nihil se reconnaît frère de Crevel, Essénine, Nerval. Mais celui qu'il chérit entre tous, c'est le légendaire « Mômo », dont l'énergie agressive et blasphématoire, la créativité proliférante lui donnent « des frissons presque partout ». Son œuvre, par contraste, est d'une concision qui équivaut à un refus, à une fin de non-recevoir : « Se taire, se figer, s'emmurer, se momifier dans le silence du taupicide ». Son unique poëme, composé de cette seule phrase, est aussi sa lettre d'adieu.
(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)
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