« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
samedi 13 octobre 2018
Moustérien stérile
La nature corrosive de l'idée du Rien a été confirmée par de nombreuses autopsies de suicidés philosophiques, dont la pachyméninge évoquait, selon les médecins légistes qui les ont pratiquées, un « niveau moustérien stérile » ne laissant apparaître que quelques restes de capra, de cervidés et de tortues, mais aucun vestige de « vouloir vivre ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Décadence
Le monde avait, sous les Romains, l'apparence d'un pittoresque port de mer, et l'on y trouvait alors d'excellentes huîtres vertes. Aujourd'hui, il est devenu un marais pestilentiel, rempli de joncs très élevés, de ronces, d'immondices, et d'anthropopithèques en survêtement. — Ô civilisation de l'infâme, du crétin triomphateur !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Devoirs de l'homme du nihil
« L'homme du nihil, s'il veut être calme, il faut qu'il s'attache pleinement au Rien, qu'il y trouve toute sa suavité, toutes ses délectations et toutes ses joies. Si les divers fantômes de l'imagination, qui agite et qui amuse si souvent l'esprit, troublent sa sérénité ; si les occupations extérieures le divertissent quelque temps de la présence du Rien, il faut qu'il s'y remette avec ferveur et vitesse ; il faut qu'il rentre dans la lumière de la vérité qu'il sent au-dessus de son imagination, et qu'il élève aussitôt ses yeux vers l'astre noir du nihil, qui est la source de cette lumière et qui est son phare dans le ténébreux désert de Gobi de l'existence. » (Noël Courbon, Entretiens spirituels sur les principaux devoirs des personnes consacrées au Rien, Collombat, Paris, 1712)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Manifeste
Rompant avec le logicisme et l'associationnisme de son temps, le suicidé philosophique refuse de voir dans l'homicide de soi-même un déchet de la rationalité, non plus qu'un « embryon » ou une survivance. Il y voit au contraire une ouverture sur l'infini infundibuliforme, et une restauration de la grandeur de son destin.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Un puissant corroborant
Telle est la puissance de l'idée du Rien que le mot « nihil » prononcé sans conviction par des lèvres tremblantes peut armer l'âme contre le vertige du doute et l'angoisse de l'haeccéité.
(Johanne Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Œuf
Ce n'est que peu à peu et insensiblement que l'idée du Rien étend son empire sur le « conscient intérieur ». Au début, elle ressemble à un œuf nouvellement pondu. Son enveloppe molle, muqueuse et transparente contient une substance verdâtre, granuleuse, qu'on peut justement comparer à celle qui forme le cicatricule et le germe de tous les œufs, mais plus particulièrement de ceux du homard. Peu à peu, le germe se développe, l'idée du Rien envahit tout le champ de la conscience, et l'on reste seul sur son cheval-vélo à parcourir la route cahoteuse de l'existence, précédé d'un énorme camion bâché de bleu portant l'inscription Bulgaria. La fin est proche.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
vendredi 12 octobre 2018
Sur les cimes du désespoir
L'humeur sans espoir du suicidé philosophique perce dans cette note laissée par un étudiant japonais qui commit l'homicide de soi-même en ingérant du taupicide : « Depuis le 24 décembre, j'ai bu chaque jour. Quand je bois, une fois sur deux je suis ivre mort et ne me souviens de rien. Je ne pense à rien, je n'écris rien. Mes dettes ne cessent de s'accumuler. (8 janvier 1939) »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Dangers du moment dialectique
« Lorsque des circonstances favorables accompagnent l'intoxication par l'idéalisme allemand, l'organisme parvient souvent, soit à éliminer le venin de cette doctrine, soit à l'assimiler et à en neutraliser l'action destructive. Quelquefois cependant, le malade demeure hanté par la dissolution des concepts abstraits, traîne encore pendant quelques années une existence languissante, et finit par périr d'une hydropisie générale, qui marche rapidement. » (Johann Rengger, Sur les effets de l'idéalisme allemand, in Journal complémentaire des sciences médicales, vol. 37, Panckoucke, Paris, 1830)
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Horreur existentielle
Penser que le Dasein est irréductiblement pris par l'angoisse comme Grundstimmung de l'exister en propre, et par l'Unheimlichkeit, tout à la fois du soi et du monde, cela fait peur, cela inspire à l'étant existant des sentiments mélancoliques et même de l'horreur.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Fanfaronnade
Vieillir est un crucifiement que j'évite par une continuelle désagrégation du Moi. Éternellement jeune !...
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Différence notable
L'homicide de soi-même est un procédé qui, correctement appliqué, produit le ramolissement du Moi et, à terme, du patient dans son ensemble. Ceci le distingue de l'ostéomalacie, qui ne ramollit jamais que les seuls os.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Licence poétique
On sait que Luc Pulflop, non content de comparer le monde aux génitoires d'un âne, assimile volontiers l'existence à un éléphant. Sans entrer dans des détails scabreux, nous croyons que c'est uniquement la rotondité de la trompe, et les élévations frontales du puissant animal, qui ont pu prêter à ce poëte une comparaison aussi fantastique.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Nostalgie du minéral
En nous laissant envahir par l'idée du Rien qui nous transforme subito presto en une masse inerte, schisto-grauwackeuse, ne trahissons-nous pas notre secret désir de rallier le minéral ? En 1784, les Etudes de la Nature de Bernardin de Saint-Pierre insistaient déjà sur ce trait de l'homme, « seul être qui montre, jusque dans la misère, le caractère de l'infini et l'inquiétude de trouver l'immortalité, fût-ce sous la forme non-risible d'une pierre dure rotacée ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Frères humains
Selon Aristote, la « communauté » (Koinonia) témoigne de l'élan (hormé) des hommes à vivre ensemble « pour pratiquer des choses bonnes et belles ». Mais à coup sûr, le Stagirite n'eut jamais à parcourir les magasins Dufayel par un samedi après-midi d'octobre afin d'y faire l'achat d'un poêle.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
jeudi 11 octobre 2018
Une opération délicate
« Il faut bien se garder de suivre le conseil de ceux qui recommandent de se baigner les pieds dans de l'eau de savon et autres ingrédients, pour préluder à l'homicide de soi-même. Les bains de pieds, en ramollissant le Moi, rendent celui-ci plus sensible, moins cohérent, et il se prête plus difficilement à l'opération. » (Armand Havet, Le dictionnaire des ménages : ou recueil de recettes et d'instructions pour l'économie domestique, Blanchard, Paris, 1826, p. 154)
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Âmes tourmentées
Le critique Sainte-Beuve l'avait déjà remarqué : il y a des âmes qui apportent dans la vie comme un besoin de souffrances et une faculté singulière de sentir la peine. On pense bien sûr à Marceline Desbordes-Valmore et à ces accents déchirants que l'on trouve dans La jeune fille et le ramier :
Les rumeurs du jardin disent qu'il va pleuvoir
Tout tressaille, averti de la prochaine ondée
Et toi, qui ne lis plus, sur ton livre accoudée
Plains-tu l'absent aimé qui ne pourra te voir ?
mais il paraît que cette famille d'âmes tourmentées compte également en son sein le philosophe danois Søren Kierkegaard, resté célèbre par ce cri poignant : « Du possible ! Du possible, sinon j'étouffe ! »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Quand le viscère fait des siennes
Celui qui souffre de la goutte, de la gravelle, d'une névralgie du grand sympathique ou d'une inflammation du nerf crural, se soucie peu de savoir si « le schème harmonico-mélodique de la Rêverie de Schumann peut servir de support d'embrayage syntaxique à l'Humoresque de Dvořák ». Et que cette hypothétique « translation » consiste en un échange entre deux « formules sonores » incluant « une certaine charge sémantique » le laisse tout à fait de marbre.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Métaphore charcutière
« Le temps ? Comme la sensation qu'un large couteau de charcutier, m'abordant de côté, pénétrerait promptement en ma pachyméninge avec une régularité métronomique et en détacherait de minces tranches qui, en s'envolant, s'enrouleraient presque sur elles-mêmes, folâtres et pétulantes. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Parler pour ne rien dire
Selon Gragerfis, l'homicide de soi-même mettrait en relief, bien mieux que les jeux de langage chers à Wittgenstein, la nature phatique de l'homme.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Jugement contre les chenilles (1660)
« Nous, Pierre Granier, official diocésain de Clermont, marchant sur les traces de nos prédécesseurs, assis sur notre tribunal, les yeux élevés à Dieu, investi de toute autorité pour prononcer notre sentence dans le cas présent, au nom d'un seul Dieu tout-puissant, du Père et du Fils et du Saint-Esprit, de la bienheureuse Mère de Dieu, et des saints apôtres Pierre et Paul, je donne avis d'admonester les chenilles, et nous admonestons et supplions les chenilles et animaux susdits, sous peine d'excommunication, de malédiction et d'anathème, pour que, sous six jours, elles aient à se retirer des enclos, des vergers et des territoires de Fontgiève, Chamalières, Aulnat, Gerzat, Malintrat, Pralong, de St-Alyre, du Bas, de Cloval, et qu'elles aient à ne faire aucun mal là ni ailleurs dans ce diocèse ; si au jour fixé, notre admonition ne produit aucun effet, ces six jours écoulés, en vertu de l'autorité dont nous sommes revêtus, nous les anathématisons et en même temps nous les maudissons. »
— Les chenilles, fort bien, mais le Moi ? N'est-il pas une créature encore plus nuisible que ces larves de lépidoptères ?
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Simplicité
Le suicidé philosophique répugne aux grands éclats et aux fumées pythiques du langage. Il préfère la prose simple et directe d'un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe aux envolées pompeuses d'un Hugo ou d'un Leconte de Lisle.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
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