« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
dimanche 14 octobre 2018
Acte découvrant
Il est plus important, si l'on veut commettre l'homicide de soi-même, de se procurer un revolver ou du poison, que de souscrire aux thèses particulières de la phénoménologie sur la hiérarchie des réductions ou la constitution des noèses transcendantales. C'est, semble-t-il, ce que confesse à demi-mot Heidegger quand il insiste sur l'acte découvrant qui incombe au Dasein, lequel a pour vocation de découvrir les choses — taupicide, corde de violoncelle, revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe — dans leur vérité.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Hypothèse
Peut-être, avant Plotin, l'homicide de soi-même est-il la seule doctrine qui, au contact de l'indianisme, ait entrevu la libération du sujet comme un anéantissement de l'esprit dans l'indéterminé.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Diététique du Père Ubu
Plutôt manger des choux-fleurs à la merdre que « concevoir une pensée ».
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Des moyens
« Dans le suicide aigu, tous les moyens, tous les genres de mort sont égaux ; les malades saisissent avec une ruse souvent infernale toutes les circonstances favorables à leur suicide : une fenêtre, un escalier, un couteau, des ciseaux, la strangulation, la rivière, un flacon de taupicide, n'importe, pourvu qu'ils mettent fin à leur vie. Il n'en est pas de même dans le suicide chronique : les malades adoptent le genre de mort qu'ils doivent se donner, et s'y arrêtent après de mûres réflexions ; ils n'en veulent pas d'autres ; et encore s'ils sont décidés à se noyer, par exemple, c'est arrangés de telle façon, et dans tel endroit de la rivière, à tel moment du jour ou de la nuit, que s'exécutera leur dessein : le moindre dérangement à leur plan bien arrêté, suffit pour le faire différer, ou même pour en empêcher tout à fait l'exécution. » (Scipion Pinel, Traité de pathologie cérébrale ou des maladies du cerveau, Rouvier, Paris, 1844)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Laboratoire d'idées
Dans l'homicide de soi-même, le suicidé philosophique se livre sans complaisance à l'analyse de ses faiblesses. Mais cet acte est aussi un extraordinaire laboratoire d'idées et de réflexions esthétiques !
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Décomposition
Non plus que Spinoza, je ne ris ni ne pleure. Je me décompose.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Haro sur l'haeccéité
Le suicidé philosophique, en détruisant son Moi, entend mettre à nu la plaie la plus hideuse de l'étant existant, la principale cause de tous les maux qui l'affligent et le déshonorent, et le conduit rapidement aux abîmes où se sont engloutis avant lui tous les philosophes, tous les mystiques et tous les poulpes de la mer Égée : l'haeccéité.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
samedi 13 octobre 2018
Synthèse quintuple
Schleiermacher prétend que chez Fichte, l'usage immodéré de la « synthèse quintuple » 1 avait entraîné une folie érotique dont les accès s'allumaient à la vue d'une sœur hospitalière, d'une fille de basse-cour, et même d'une image grossière de femme. Il affirme que Fichte mourut en se livrant sans frein, comme un insensé qui se déchire, à la manie solitaire la plus salace. « Voilà ou mène l'idéalisme transcendantal chez des individus n'ayant rien à perdre au monde, ni sous le rapport de la fortune ni sous celui de la réputation, bien moins encore de la pudeur », note Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain.
1. Rappelons que la synthèse quintuple fichtéenne vise à unifier en les égalisant les points de vue de l'être substantiel et du soi fini.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Dján kacháï
En Inde, à Kebberpour-Na-Djhil, on voit un immense canon qui a 213 pouces de long, 66 de circonférence à la culasse et 18 à la bouche. Cinq anneaux (il y en avait originairement six) placés à des distances égales servaient autrefois à le mouvoir. Chacun a 24 pouces de diamètre, sur huit d'épaisseur. Les gens du pays, comptant sans doute sur un afflux de suicidés philosophiques pour « faire marcher le commerce », appellent ce canon dján kacháï ou le destructeur de la vie.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Clairvoyance
Avec la bonne foi docile de celui qui veut trouver, l'homme du nihil reconnaît la vraie clarté là où des esprits casaniers ou rétifs ont peine à voir autre chose que bizarrerie : dans l'idée même, et suave, du Rien.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Volonté de puissance
L'homme, qui n'est d'abord qu'un germe informe, emploie toutes ses forces à créer et à perfectionner les instruments de cette puissance qui — croit-il — est appelée à dominer la parcelle de réalité empirique où il trémousse son Moi. Mais le moment de son apogée touche de près celui de sa décadence ; l'inanité de l'existence l'empoigne à la gorge, l'idéalisme allemand lui ôte toute espérance, et bientôt, une cuillerée de taupicide restitue sa dépouille à l'empire des lois de la nature inanimée.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Moustérien stérile
La nature corrosive de l'idée du Rien a été confirmée par de nombreuses autopsies de suicidés philosophiques, dont la pachyméninge évoquait, selon les médecins légistes qui les ont pratiquées, un « niveau moustérien stérile » ne laissant apparaître que quelques restes de capra, de cervidés et de tortues, mais aucun vestige de « vouloir vivre ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Décadence
Le monde avait, sous les Romains, l'apparence d'un pittoresque port de mer, et l'on y trouvait alors d'excellentes huîtres vertes. Aujourd'hui, il est devenu un marais pestilentiel, rempli de joncs très élevés, de ronces, d'immondices, et d'anthropopithèques en survêtement. — Ô civilisation de l'infâme, du crétin triomphateur !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Devoirs de l'homme du nihil
« L'homme du nihil, s'il veut être calme, il faut qu'il s'attache pleinement au Rien, qu'il y trouve toute sa suavité, toutes ses délectations et toutes ses joies. Si les divers fantômes de l'imagination, qui agite et qui amuse si souvent l'esprit, troublent sa sérénité ; si les occupations extérieures le divertissent quelque temps de la présence du Rien, il faut qu'il s'y remette avec ferveur et vitesse ; il faut qu'il rentre dans la lumière de la vérité qu'il sent au-dessus de son imagination, et qu'il élève aussitôt ses yeux vers l'astre noir du nihil, qui est la source de cette lumière et qui est son phare dans le ténébreux désert de Gobi de l'existence. » (Noël Courbon, Entretiens spirituels sur les principaux devoirs des personnes consacrées au Rien, Collombat, Paris, 1712)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Manifeste
Rompant avec le logicisme et l'associationnisme de son temps, le suicidé philosophique refuse de voir dans l'homicide de soi-même un déchet de la rationalité, non plus qu'un « embryon » ou une survivance. Il y voit au contraire une ouverture sur l'infini infundibuliforme, et une restauration de la grandeur de son destin.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Un puissant corroborant
Telle est la puissance de l'idée du Rien que le mot « nihil » prononcé sans conviction par des lèvres tremblantes peut armer l'âme contre le vertige du doute et l'angoisse de l'haeccéité.
(Johanne Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Œuf
Ce n'est que peu à peu et insensiblement que l'idée du Rien étend son empire sur le « conscient intérieur ». Au début, elle ressemble à un œuf nouvellement pondu. Son enveloppe molle, muqueuse et transparente contient une substance verdâtre, granuleuse, qu'on peut justement comparer à celle qui forme le cicatricule et le germe de tous les œufs, mais plus particulièrement de ceux du homard. Peu à peu, le germe se développe, l'idée du Rien envahit tout le champ de la conscience, et l'on reste seul sur son cheval-vélo à parcourir la route cahoteuse de l'existence, précédé d'un énorme camion bâché de bleu portant l'inscription Bulgaria. La fin est proche.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
vendredi 12 octobre 2018
Sur les cimes du désespoir
L'humeur sans espoir du suicidé philosophique perce dans cette note laissée par un étudiant japonais qui commit l'homicide de soi-même en ingérant du taupicide : « Depuis le 24 décembre, j'ai bu chaque jour. Quand je bois, une fois sur deux je suis ivre mort et ne me souviens de rien. Je ne pense à rien, je n'écris rien. Mes dettes ne cessent de s'accumuler. (8 janvier 1939) »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Dangers du moment dialectique
« Lorsque des circonstances favorables accompagnent l'intoxication par l'idéalisme allemand, l'organisme parvient souvent, soit à éliminer le venin de cette doctrine, soit à l'assimiler et à en neutraliser l'action destructive. Quelquefois cependant, le malade demeure hanté par la dissolution des concepts abstraits, traîne encore pendant quelques années une existence languissante, et finit par périr d'une hydropisie générale, qui marche rapidement. » (Johann Rengger, Sur les effets de l'idéalisme allemand, in Journal complémentaire des sciences médicales, vol. 37, Panckoucke, Paris, 1830)
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Horreur existentielle
Penser que le Dasein est irréductiblement pris par l'angoisse comme Grundstimmung de l'exister en propre, et par l'Unheimlichkeit, tout à la fois du soi et du monde, cela fait peur, cela inspire à l'étant existant des sentiments mélancoliques et même de l'horreur.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Fanfaronnade
Vieillir est un crucifiement que j'évite par une continuelle désagrégation du Moi. Éternellement jeune !...
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
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