mercredi 25 juillet 2018

Discontinuité


Sous les apparentes continuités de la pensée, sous les manifestations massives et fallacieusement homogènes de l'esprit, sous la course aveugle de ce tracteur-navette redoutable qu'on appelle la science, les « amis de la sagesse » cherchent désormais à détecter l'incidence des interruptions.

Pionnier en cet art, Gaston Bachelard — dont Gragerfis, dans son Journal, souligne à juste titre « l'effrayante pilosité » — a repéré des « seuils épistémologiques » qui rompent le cumul indéfini des connaissances ; le falot Martial Gueroult, dans une rare bouffée lyrique, a décrit des systèmes clos, des architectures conceptuelles fermées qui scandent l'espace du discours philosophique ; Georges Canguilhem, quant à lui, a analysé les mutations, les déplacements, les transformations dans le champ de la validité et les règles d'usage des concepts.

Mais le champion toute catégorie de la discontinuité, c'est indubitablement le suicidé philosophique qui, d'un coup bien ajusté de son colt Frontier, rompt la trame fastidieuse de ses jours, met fin aux irritantes facéties de son Moi, et brise la prison odieuse de l'haeccéité qui le tenait jusque-là étroitement serré. N'est-ce pas, d'ailleurs, le fatigant Michel Foucault qui notait que « la vie du suicidé philosophique est merveilleusement pleine de ces discontinuités qui foisonnent dans les récits de Jules Verne » ?


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

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