Le
cytoplasme, les mitochondries, la membrane plasmique, les villosités,
l'appareil de Golgi... Peut-être vaut-il mieux ignorer ce qui déambule
sous l'os. On risquerait, comme le Grandiloque, d'y perdre le sommeil et
de devenir à son tour un « négateur universel ».
Contrairement
à l'idée du Rien qui a besoin, pour se développer, d'un climat mental
adéquat, les prolégomènes de la raison pure sont capables de
s'acclimater dans les cervelles les plus obtuses. C'est pourquoi ils
prospèrent en tout point du globe (ils sont orbicoles).
L'esprit
en proie à la nostalgie du non-être ressemble à un glacier qui croule :
il entraîne avec lui une cohorte de moraines ridées et de briques
tristes, des mots tels que zingibéracé, bouillabaisse ou cyclomoteur.
Chaque
jour, on se regarde décliner un peu plus. On fait des fautes d'omission
(on saute des mots) ou des fautes tout bonnement, qui révèlent un
dérangement profond dans ce système de transmission qu'est le cerveau.
Cette déchéance graduelle est encore plus pénible que... mettons de voir
la gueule du « philosophe » Michel Serres dans le poste de télévision.
S'il faut mourir, autant y aller carrément — le taupicide ! —, et
non par cette « lente reptation de mégacéros de facto ».
D'après Wang Chong, « l'esprit vital quittant le corps d'un défunt
peut être comparé à une cigale sortant de la
chrysalide, quand ce n'est pas à une tête de chien couché. »
Frédéric
Nietzsche a raison de dire que la plus grande humanité se manifeste
dans le geste d'éviter la honte à quelqu'un. Car le souvenir d'une
humiliation est comme conservé dans un régosol non tamisable, il est
voracement indélébile.
Jeune,
on envisage le monde avec anxiété, on s'imagine que la « réalité
empirique » est faite de rocs retors ; mais en vieillissant, on
s'aperçoit qu'elle n'est composée que de strates gélatineuses,
auxquelles il ne sert à rien de se heurter — sauf à vouloir attraper
un douloureux « tour de rein ».
C'est
dans les couloirs méandreux de la conscience que « le tangible se meut ».
Et où d'autre pourrait-il se mouvoir, vu qu'il est enserré tout entier
dans la pachyméninge comme dans un fromage de Hollande ?
Le
nihilique n'est pas à proprement parler un « esprit errant », mais il
n'est pas non plus un « incarné ». Il se sent entre les deux — il a,
pourrait-on dire, le prose entre deux chaises. Alors ? Le « périsprit »
sert-il chez lui de lien entre l'esprit et la matière, ou constitue-t-il
le « corps fluidique » de l'esprit ? Ou n'est-il qu'un burlesque « perlimpinpin prismatique » ?
« Rien
n'est » est un âcre constat qui n'est pas sans parenté avec la
laccolite, cette masse lenticulaire de roches magmatiques mises au jour
par l'érosion (ici, non de l'écorce terrestre, mais du « vouloir-vivre »
schopenhauerien).
Comme
les troglobies qui peuplent certaines grottes de Transylvanie, les
nihiliques sont des êtres cavernicoles possédant la singulière propriété
de n'être pas fossilisables. La lumière, l'air, la terre les
décomposent.
Celui
qui ne se sent à l'aise ni avec son époque ni avec « l'être », il peut
toujours s'enfermer dans une austère chambre palléale et se rendre saoul
à en crever.
Grâce
aux tâcherons de la modernité et du progrès, il n'y a plus aujourd'hui
de civilisation, il n'y a qu'un tourniquet décervelant. Les énantioses
profectives des maîtres de jadis, leurs chapelets panoramiques, ont été
recouverts par un déluge de rémoulade. — Une rémoulade onctueuse et
goûteuse en apparence, en réalité puissamment vomitive.
« Parcourir
les eaux du tangible à la manière d'une laimargue, ce requin carnivore
du Groenland dont les dents de la mâchoire inférieure sont plus grosses
et plus larges que celles de la mâchoire supérieure, avec des cuspides
très obliques ; vivre ordinairement entre cent quatre-vingt mètres et
sept cent trente mètres de profondeur ; être un prédateur du flétan, de
l'omble et du hareng... Ah, quel délice ! » (Les trente-trois délices de
Louis Ribémont, Trad. de Simon Leys)
La
coque du monde — la peu reluisante « réalité empirique » — est-elle
digne de pardon ? Si oui, elle est rémissible. Sinon, il ne reste qu'à
la broyer comme une pelote de laine épaisse.
Qui
sont ces « pâles rapaces » dont parle le poëte, ces terrifiants volucres
qui « percent nos cervelles endormies pour en détruire le suc nourricier » ? Des magistes noirs ? Des théosophes ? Des électriciens ? Ou plus
simplement... « les autres » ? (le fameux « autrui » lévinassien).
Au
dire de Basile Munteanu, Émile Cioran voyait en la femme « un amas
spongieux, plein de ces follicules palingénésiques par lesquels le
calvaire de l'humanité perdure et ne s'use point ». Mais, toujours
d'après Munteanu, il n'osa jamais confier cette pensée à Simone Boué,
car celle-ci « avait la tête près du bonnet » et le penseur des Carpates « était obligé de filer doux ».
Quand
on le laisse faire, le réel produit des déchets contingents qui
s'accumulent en grumeaux et finissent par boucher nos « portes de la
perception » !
Bien
que pulvérin et néocore soient deux substantifs — le premier
désignant une poudre très fine dont on se servait pour l'amorçage des
armes à feu, le second une ville que les Romains consacraient à une
divinité —, il est admissible de parler de « l'acide labeur des
pulvérins néocores qui s'emploient à éteindre le feu de l'âme ». Certes,
cela ne veut pas dire grand chose, mais ça sonne bien.
« J'apprends
avec stupéfaction que dans certains milieux, se jaccardiser est
devenu synonyme de commettre l'homicide de soi-même. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)
Pour
accéder à l'infini infundibuliforme, il faut d'abord ouvrir les valves
de l'invisible, ce qui n'est pas une mince affaire. On peut y arriver
par exemple en criblant lesdites valves de ces particules dénégatrices
dont est chargée l'idée du Rien (un peu comme on utilise un canon à
positrons pour simuler les jets d'antimatière des trous noirs).
S'il
faut en croire Buffon, le bec du pélican — et particulièrement celui
de l'espèce dite gloméruleuse — serait capable d'exciser les « membranes laborieuses du temps ». Mais les savants d'aujourd'hui
estiment plutôt que cette prouesse est à la seule portée des gibbons
(bien que ces derniers soient dépourvus de bec).