Depuis
que cette babache d'Adam a goûté au fruit de l'arbre de la
connaissance, la déchéance de l'homme n'a fait qu'empirer. La déroute du « monstre bipède » est si complète, elle est d'une ampleur si majestueuse
qu'on peine à se la figurer. D'après certains analystes, elle s'étend
au moins jusqu'à Lancaster (Minnesota).
Comme
l'a expérimenté à son corps défendant le « Grandiloque des Carpates », la
démence sénile a quand même ceci de bon qu'elle transmue en un
somptueux désert d'impassibilité l'écœurement d'avoir été.
Le
nihilique n'a pas la benoîte berlue de prendre le néant pour l'être ni,
comme font Maritain et d'autres amis de la sagesse, de confondre les
steppes velues du Grand Tout avec « le réel ».
Dans
le rassis de son agonie, le nihilique acquiert une prestance pierreuse.
Il possède depuis longtemps le chimisme d'un caillou et n'aspire plus
désormais qu'à se fondre dans un conglomérat de sable et de gravillons.
« Et
maintenant, dit Meaulnes soudain, je vais préparer mon bagage.
Apprends-le, Seurel : j'ai écrit à ma mère jeudi dernier, pour lui
demander de finir mes études à Paris. C'est aujourd'hui que je pars. » — En dépit des apparences, ceci n'est pas une briquette de chondrite
carbonée mais un extrait du Grand Meaulnes d'Alain-Fournier.
Fuyant
l'irrespect des vils, le nihilique se retranche dans une solitude
quadrillée de muretins. Loin des regards de la foule qui trépigne et
jacasse, il s'essaie à l'hédonisme en savourant une biscotte ennoblie
par une vertueuse compote de cognasse. Mais c'est un échec : la biscotte
ne passe pas. Ou peut-être est-ce la compote de cognasse ? En tout cas,
quelque chose ne passe pas.
Certains
esprits simples, sans doute abusés par sa ressemblance avec un rapace,
pensent que le pachynihil est un émouchet mollasson. Mais pas du tout :
c'est un locus consecratus !
Il
y a des gens qui exècrent la vie quand d'autres — par exemple le « philosophe » Michel Serres — l'adorent à l'égal de la croûte en
cothurne et n'hésitent pas à l'appeler une « hypostase de la liesse ».
Selon Robert Férillet, seuls les premiers sont fréquentables.
Si
vous avez un pépin, ne comptez pas sur le Grand Tout pour vous venir en
aide. Il ne lèvera pas le petit doigt. Dire qu'il est cossard est un
euphémisme. C'est « Toto la rame au soleil ».
Se
prend-il pour le scribe Khououiou ? Le nihilique a été vu, à l'angle
des rues de Sèvres et Vaneau, tracer sur les murs forcenés de l'âme
humaine les hiéroglyphes enchantés du renoncement !
Inopinément
on se met à vieillir, et alors, soit on fréquente d'autres « vieux
jetons » — mais on est vite dégoûté de leurs gueules de momies —,
soit on s'entoure de gens plus jeunes — mais alors on a honte d'avoir
une gueule de momie. Heureusement, il y a une troisième possibilité : se
réfugier dans la silencieuse immobilité des aubépines.
Quand
on en a soupé du Rien, étudier la logique mathématique, la philosophie,
les arts, la marine marchande, s'avère relaxant comme une purée de
pommes de terre.
L'unique
façon d'échapper à la férule fastidieuse du désespoir est de se
soumettre à la discipline quasi sidérurgique du Rien. Cet axiome,
paradoxal en apparence, le nihilique peut témoigner de sa véracité.
Contrairement
à ce que pensait Pascal, les espaces infinis ne sont pas absolument
silencieux. Il faut tendre l'oreille pour le distinguer, mais ils
poussent parfois de petits « ouaf » étouffés. Il est donc permis de parler
du « silence aboyant de l'univers ».
Voir
la vie comme un processus visqueux gravitaire — un genre de « coulée
de boue » — est peut-être la seule façon de comprendre cette sensation
commune à tous les hommes d'être pris dans un « écoulement turbide ».
Prenez
un tube à vide modulant une tension à haute fréquence ; mettez-le dans
un état intermédiaire entre le solide et le liquide ; vous avez un
mésomorphe phasitron.
Pour
endiguer ce qu'il appelle « l'adénopathie du Moi », c'est-à-dire pour
empêcher le Moi de gonfler à la manière d'un ganglion lymphatique,
Foukizarian propose de faire appel au vocable — qu'il compare à une
bouillie de maïs ou de châtaigne. Il dit aussi que le mot est une « grappe orbiculaire ». Mais il ne nous apprend rien de plus, et semble
oublier que c'est justement chez les littérateurs que le Moi est le plus
hypertrophié.