Le « négateur universel » Émile Cioran était impressionné par le silence du
corps de Guido Ceronetti. Même quand ce dernier n'avait pas mangé, il
n'avait pas de grenouilles. Et quand il larguait, c'étaient toujours des
vesses.
Hamlet,
ça lui allait de clamecer, mais à la condition sine qua non de ne pas
rêver. Il avait peur de faire des cauchemars. Ce n'est pas tout, il
avait aussi une trouille bleue du vocable strapontin.
Si
Nietzsche, au lieu de faire parler Zarathoustra, avait fait parler le
radical de gauche Roger-Gérard Schwartzenberg, il lui aurait fait dire
qu'il allait falloir être très courageux.
Le « patineur matineux » dont parle le poëte Francis Vielé-Griffin dans son
poëme Matinée d'hiver n'est autre que le négateur Émile Cioran. Chaque
jour, dès potron-minet, ce dernier se rendait à la patinoire de la rue
de l'Odéon pour y exécuter des axels, des lutz, des flips, des salchows,
parfois même des triples boucles piquées. Après ça, il était gonflé à
bloc et pouvait dire du mal de l'être pour le restant de la journée. Il
affirmait que c'était le secret de sa longévité dans la négation.
La
philosophie de Schopenhauer, non seulement est nutritive, mais elle
guérit les blessures de l'âme. C'est un « alicament ». Quant à
Schopenhauer lui-même, c'était un « rurbain » puisqu'il habitait un « très
techouai yonvipa » (en fait une clinique psychiatrique, celle de Herisau
dans le canton d'Appenzell).
« Dis donc, Maurice. Toi qu'as travaillé là-dessus. Est-ce qu'on doit dire “J'ai un corps” ou “Je suis mon corps” ?
— Ni l'un ni l'autre. Si tu veux vraiment dire quelque chose, tu peux
dire “Je crois qu'il est possible qu'il pleuve plus tard”. Mais le mieux — et ce n'est pas moi qui le dis, c'est Wittgenstein —, ce serait
que tu fermes ta gueule. »
C'est
le soir. Dans la taverne enfumée, Blanchot joue à la bataille avec
Klossowski, tandis que Bataille joue aux petits chevaux avec Louis-René
des Forêts, Michel Leiris et Gaëtan Picon. On dirait du Le Nain.
Si
vous voulez être un paria, dites du mal de René Char. Traitez-le de
baudruche, évoquez sa ressemblance intellectuelle avec un pot de pisse,
et vous ne pourrez plus acheter une boule de campagne au Fournil du
Léguer ou dans tout autre boulangerie sans vous faire mal regarder. Tant
l'homme est un loup pour l'homme. Tant les fausses valeurs ont la vie
dure.
Gérard
de Nerval fut trouvé pendu, le 26 janvier 1855, rue de la
Vieille-Lanterne à Paris. Fragilité psychologique ? Problème de
cohabitation avec une belle-mère envahissante ? Fatigue d'entendre citer
à la télévision la phrase « Il faut que tout change pour que rien ne
change » ? Peut-on jamais savoir avec certitude ce qui pousse un homme à
se pendre aux barreaux d'une grille d'égout ?
Martin
Heidegger cherchait le sens de l'être comme Thiéry de Ménonville la
cochenille (avec autant de zèle et d'acharnement — et aussi peu de
réussite).
Ils
renoncèrent à l'estourbir après qu'il leur eut dit : « Je suis
solipsiste, alors attention : cela aurait pour vous des conséquences
fâcheuses, mes amis. »
Puisque
la « réalité empirique » ressemble au cauchemar d'un fou, dire qu'on est
solipsiste revient à dire qu'on est tordu. Heureusement, on ne le dit
qu'à soi-même (ce qui fait qu'il y a moins de gênance).
« Dadaïste,
ami de Drieu la Rochelle, je me suis suicidé d'une balle dans le cœur
le 6 novembre 1929 dans la maison du docteur Le Savoureux à
Châtenay-Malabry. Je suis ?... Je suis ?...
— La mer Noire ?
— Eh non. La bonne réponse était Jacques Rigaut. »
Ce
qui serait peut-être pas mal, ce serait d'être immortel, mais de
pouvoir quand même mettre fin à ses jours à tout moment en appuyant sur
un bitoniau.
Chaque
fois qu'il voyage en autocar, le nihilique appréhende de voir les
autres voyageurs se mettre à chanter Un régiment de fromages blancs.
Bien qu'il se flatte d'être stoïque, ce chant le plonge toujours dans
une profonde mélancolie, car il lui rappelle qu'il est seul ; seul dans
un monde de gros débiles.
Si
c'est pour avoir les jetons et être horrifié, ce n'est pas la peine
d'aller voir Freddy les griffes de la nuit, il n'y a qu'à ouvrir un
livre d'histoire. Car il en a fait de belles, le monstre bipède.
Question d'être un fidgarce, il se pose là.
Ce
n'est qu'une fois qu'ils sont morts qu'on peut prendre les gens au
sérieux. Ils n'ont plus de ridicules ni de manies horripilantes. La
bêtise les a quittés. Si ça se trouve, on pourrait enfin se dire les
choses et peut-être s'entendre, mais...
En
général, les vivants essaient de ne pas trop puer et cachent tant bien
que mal leur squelette, mais les morts n'ont plus cet élémentaire
respect humain. Ils se lâchent. Bien sûr, ce n'est pas ragoûtant, mais
qui pourrait leur en vouloir ? La puanteur, le squelette, c'est la
vérité de l'être, comme dirait Heidegger.
Dostoïevski
n'était peut-être pas très « fute-fute », mais il a compris une chose qui
a complètement échappé à Kant et à Hegel : la Raison n'est pas « fun ».
Quand
on se trouve entraîné à discuter de littérature, on s'aperçoit vite que
chacun croit avoir lu le fin du fin en fait d'auteurs. Pourtant, en
creusant un peu, on constate qu'en réalité, neuf fois sur dix, les gens
n'ont lu que des auteurs de révérence parler merde. Et l'on se prend de
tendresse pour les bougres qui avouent ne lire que l'almanach, « pour
savoir quand il y a de la lune et quand il n'y en a pas ».
Si
une femme vous attire, pas de panique. Imaginez-la aussitôt piquant une
crise et vous engueulant comme du poisson pourri. Ça y est, vous pouvez
poursuivre sans trouble votre existence de solitaire. C'est une
solution JEUNE.
La
plupart de ceux qu'on appelle aujourd'hui des écrivains se sont montrés
assez malins pour faire croire au vulgum pecus qu'ils l'étaient, mais
ça s'arrête là.
On
dit que les mourants voient défiler devant leurs yeux leur vie entière.
Dans le cas du nihilique, ça risque d'être ennuyeux et répétitif, sauf
s'ils ne projettent que les épisodes méritant le nom d'événement (auquel
cas ça va aller très vite).