Tout le monde
n'attrape pas un panaris, mais il y a deux choses auxquelles l'homme
n'échappe pas, ce sont le ridicule et la mort. En un sens, la plus
bénigne est la dernière, car elle n'arrive qu'une fois, tandis que le
ridicule... c'est tout le temps.
Kafka force
le trait. Dans la vraie vie, ce n'est pas tout d'un coup, comme ça, un
matin, qu'on s'éveille transformé dans son lit en une véritable vermine.
Ça prend plus de temps. C'est plus graduel. Mais ça finit par
arriver... Et à tout le monde, pas seulement à Grégoire Samsa.
S'il faut en
croire José-Maria de Heredia, on trouve à Palos de Moguer (en
Andalousie) beaucoup de restaurants de routiers. Le poëte prévient qu'il
faut redoubler de prudence sur la route car lesdits routiers sont
souvent ivres (d'un rêve héroïque et brutal).
Au dire de
son ami Bioy Casares, quand Borges devait s'acquitter de la « grosse
commission », il le faisait en invoquant les mânes de Carlyle, d'Emerson
et de Walt Whitman (parfois aussi de Henry James).
Tout jeune
déjà, Sartre clamait à qui voulait l'entendre que « l'en-soi n'a pas à
être sa propre potentialité sur le mode du pas-encore ». Ses parents en
étaient gênés et lui disaient qu'il était un « serin ».
Le pauvre
Gérard de Nerval se décrivait lui-même comme « le ténébreux, le veuf,
l'inconsolé ». De fait, il ne lui arrivait que des déboires : on
abolissait sa tour, sa seule étoile mourait inopinément, et pour
couronner le tout, son luth constellé portait le soleil noir de la
mélancolie.
Le
gouvernement japonais considère qu'un individu devient un hikikomori dès
lors qu'il a passé plus de six mois enfermé seul dans sa chambre à lire
du Xavier de Maistre.
Chez les
bouddhistes, les deux véhicules de pompier (le grand et le petit) ont en
commun les trois caractéristiques de l'être (impermanence ; souffrance ;
irréalité du Moi), les quatre nobles vérités, la transmigration, le
karma et la voie moyenne. Le plus grand des deux véhicules se distingue
par son idéalisme absolu (derrière les apparences, il n'y a rien ;
l'univers est une illusion ; vivre est la même chose que rêver) et par
son klaxon à cinq trompes qui joue La Cucaracha.
Le philosophe
Bergson souffrait de la solitude et aurait bien aimé rencontrer une
« milf ». Il lui aurait montré son « élan vital », sa « durée » et son
« évolution créatrice ». Mais il ne savait pas où chercher. Son cousin
par alliance Marcel Proust lui conseilla de s'inscrire à un atelier
d'écriture ou à un club de cinéphiles, mais Bergson avait l'intuition
que ça ne donnerait rien.
Aimer
quelqu'un : la gênance. Se laisser aimer par quelqu'un : la gênance.
Nourrir des illusions sur la nature humaine ; se croire quelqu'un : deux
façons d'être un jobard.
Au début de
la pièce de Xavier Forneret, Bénita, veuve du baron de Rimbo, fait de la
broderie avec Guitta, sa fille adoptive. L'homme noir n'est pas encore
entré dans l'histoire. Il n'apparaîtra qu'au deuxième acte.
« Monsieur
Pessoa, la source de tous vos problèmes, c'est que vous êtes
intranquille », avait dit son médecin à Fernando Pessoa. Sur le coup, il
y avait prêté peu d'attention, mais... son intranquillité, combinée à
une mauvaise circulation, avait fini par lui valoir des varices. « Ô
roues, ô engrenages, r-r-r-r-r-r-r éternel ! Violent spasme retenu des
mécanismes en furie ! », s'était-il alors exclamé.
Lovecraft dit
que si l'être humain, à de certains moments, se précipite aux
ouataires, c'est pour répondre à un impérieux « appel de Cthulhu » ; et
qu'il se livre, derrière les murs de l'édicule, à un « rituel hideux ».
Les
gnostiques et les kabbalistes croient que l'univers est l'œuvre d'un
dieu déficient, dont la fraction de divinité est proche de zéro. C'est
ainsi qu'ils justifient l'existence du mal et des garagistes de La
Bourboule.
Plus radical
que le Tancrède du Guépard, nous voulons que rien ne change pour que
rien ne change. Ce n'est pas que aimions tellement le réel comme il est,
mais nous y sommes habitué et nous abhorrons la nouveauté.
Supposons
qu'un disciple du Bouddha vous dise : « Succès et échec, vie et mort,
plaisir physique et douleur physique ; je ne suis ni ami ni ennemi de
ces fictions. » Demandez-lui alors : « T'as déjà eu un panaris ? »
Quand on
vient de Figeac et qu'on veut rejoindre Montcuq, il faut, sur
l'autoroute A20, prendre la sortie 57 vers Villeneuve-sur-Lot, sous
peine de se retrouver à Montauban.
L'homme, ce
n'est pas très original que de le dire, est un être chétif et débile.
Une piqûre de guêpe, un engorgement dans ses tubulures internes et il
s'écroule. Pourtant, aussi fou que cela paraisse, il forme des projets !
Il parle d'aller acheter une boule de campagne au Fournil du Léguer !
Quand on est
jeune, on croit que la douleur d'exister est quelque chose de
métaphysique, mais en vieillissant, on constate qu'elle ne se manifeste
pas seulement dans l'âme mais aussi dans les genoux, les côtes, le
péritoine, et cætera.
Il n'y a pas
de métier plus pénible que celui dont parle Pavese, à savoir celui de
vivre. Le métier de ne pas vivre nous aurait mieux convenu mais on a été
mal orienté.
D'après
l'égyptologue Hans Goedicke, la reine Hatchepsout, quand son mari le
pharaon lui disait des mots doux, se sentait toute môsis (d'où il le
tient, c'est une autre question).
Le
bouddhisme, ça pourrait encore aller s'il n'y avait pas les bouddhistes.
Ils professent que « rien n'est » et se proclament détachés de tout
mais ils s'accrochent à une doctrine — le bouddhisme, justement. Et ce
n'est pas tout, ils ont aussi un « grand véhicule de pompier ». Ils
font honte aux véritables nihiliques, avec leur « grand véhicule de
pompier ».
On allume la
télévision et la litanie commence : Marcel Fontaine, tant de jours.
Marcel Carton, tant de jours... — Marcel Fontaine, Marcel Carton, que
des Marcel. Ça suffit ! Assez de Marcel ! Un acte !