Toute sa vie,
on poursuit un idéal sans savoir exactement ce qu'il est, et quand,
après mille péripéties, on l'atteint enfin, on découvre stupéfait qu'il
ne s'agit pas du tout d'un idéal mais de l'Hindou qu'on pensait avoir
tué au premier chapitre !
Lire de
l'Émile Cioran permet à la longue de devenir un « jivan-mukti », un
délivré-vivant. On a exsufflé les agrégats d'existence qui entraînent
une personne non éveillée de renaissance en renaissance, mais on est
encore en vie. Un hindouiste dirait qu'on a atteint l'état de moksha.
Le Maggid de
Mezeritch enseigne que le mot « je » ne peut être prononcé que par Dieu.
Si Dieu n'existe pas, il ne peut l'être par personne. Hélas ! Force est
de constater que le Maggid de Mezeritch, c'est comme Maritain : tout le
monde s'en fout.
Les auteurs
japonais de haïkus semblent nourrir une fascination morbide pour le
prunier. Un exemple entre mille, ce poëme de Buson : « En tombant dans
l'eau, les pétaux disparaissent : prunier sur la rive. » — L'étrangeté
de cela et du monde en général.
Au lieu de
manger des truffes chez le forgeron Chunda, le Bouddha aurait dû écouter
Claudel et opter pour un saucisson à l'ail. Non seulement il serait
resté en vie, mais il se serait senti moins seul.
Le philosophe
Diodore Cronos nie qu'un mur puisse être démoli. En effet, quand les
briques sont jointes, le mur est debout, quand elles ne le sont plus, le
mur n'existe pas. Il admet cependant qu'avec un puissant bulldozer,
c'est peut-être faisable, mais à condition de « drôlement y aller ».
Si votre
douleur refuse d'être sage et de se tenir plus tranquille, menacez-la de
la transférer dans un « centre éducatif fermé », où elle sera encadrée
par d'anciens militaires très à cheval sur la discipline. Ça devrait lui
donner à réfléchir.
Un jour qu'il
se sentait d'humeur poétique, le moine japonais Sôgi écrivit : « Plus
fugace que l'éclat d'une feuille emportée par le vent, cette chose, la
vie. » Quelques instants plus tard, il passait sous un autobus.
Un soir,
alors qu'il était un peu pompette, Arthur Rimbaud a assis la beauté sur
ses genoux, mais — pas de chance pour le poëte — elle n'a pas voulu
« faire risette à papa négro ».
Guidé par
Virgile, le Dante arrive à la neuvième bolge du huitième cercle, où sont
envoyés les garagistes de La Bourboule. « Un sang pauvre coulait et
rayait leur visage, et tout mêlé de pleurs tombait, hideux breuvage, à
leurs pieds recueilli par des vers dégoûtants. »
Il n'y a rien
de pire que de mourir avant d'avoir dit tout le mal qu'on pensait de la
vie. Heureusement, nous sommes tranquille de ce côté-là. Nous pouvons
partir serein pour Calaoutça.
Tragique
destinée que celle du Mômo ! Un jardinier l'a trouvé un matin, assis sur
son lit, un soulier à la main. Mort ! Comme avant lui Giacomo Leopardi,
René Panhard, Georg Cantor et tant d'autres... La mort, la mort,
toujours la mort !...
Felice :
Je sais pas, moi... Tu pourrais peut-être faire un roman teinté d'une
atmosphère cauchemardesque, où la bureaucratie aurait une emprise
monstre sur l'individu ? Qu'est-ce t'en penses ?
Chez
Dostoïevski, le starets Zosime nous bassine. Quant à ce béjaune
d'Aliocha, n'en parlons pas, il est d'une mièvrerie insupportable. En
littérature, ce que nous voulons, c'est des méchants. Des méchants, vous
entendez ?
Selon
Lucrèce, la peur de la mort gâche la vie. Mais selon d'autres penseurs —
dont Floutier Jean-Guy —, la vie fait déjà si peur qu'elle suffit à se
gâcher elle-même.
Tout ce qu'on
est ou presque vient des livres. Alors comme on n'aime pas ce qu'on
est, on blâme les livres et ceux qui les ont écrits — surtout Christian
Bobin et Marguerite Urcelar, bien qu'on n'ait jamais rien lu d'eux.
Tout le monde
n'attrape pas un panaris, mais il y a deux choses auxquelles l'homme
n'échappe pas, ce sont le ridicule et la mort. En un sens, la plus
bénigne est la dernière, car elle n'arrive qu'une fois, tandis que le
ridicule... c'est tout le temps.
Kafka force
le trait. Dans la vraie vie, ce n'est pas tout d'un coup, comme ça, un
matin, qu'on s'éveille transformé dans son lit en une véritable vermine.
Ça prend plus de temps. C'est plus graduel. Mais ça finit par
arriver... Et à tout le monde, pas seulement à Grégoire Samsa.
S'il faut en
croire José-Maria de Heredia, on trouve à Palos de Moguer (en
Andalousie) beaucoup de restaurants de routiers. Le poëte prévient qu'il
faut redoubler de prudence sur la route car lesdits routiers sont
souvent ivres (d'un rêve héroïque et brutal).
Au dire de
son ami Bioy Casares, quand Borges devait s'acquitter de la « grosse
commission », il le faisait en invoquant les mânes de Carlyle, d'Emerson
et de Walt Whitman (parfois aussi de Henry James).
Tout jeune
déjà, Sartre clamait à qui voulait l'entendre que « l'en-soi n'a pas à
être sa propre potentialité sur le mode du pas-encore ». Ses parents en
étaient gênés et lui disaient qu'il était un « serin ».
Le pauvre
Gérard de Nerval se décrivait lui-même comme « le ténébreux, le veuf,
l'inconsolé ». De fait, il ne lui arrivait que des déboires : on
abolissait sa tour, sa seule étoile mourait inopinément, et pour
couronner le tout, son luth constellé portait le soleil noir de la
mélancolie.
Le
gouvernement japonais considère qu'un individu devient un hikikomori dès
lors qu'il a passé plus de six mois enfermé seul dans sa chambre à lire
du Xavier de Maistre.
Chez les
bouddhistes, les deux véhicules de pompier (le grand et le petit) ont en
commun les trois caractéristiques de l'être (impermanence ; souffrance ;
irréalité du Moi), les quatre nobles vérités, la transmigration, le
karma et la voie moyenne. Le plus grand des deux véhicules se distingue
par son idéalisme absolu (derrière les apparences, il n'y a rien ;
l'univers est une illusion ; vivre est la même chose que rêver) et par
son klaxon à cinq trompes qui joue La Cucaracha.