« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
jeudi 20 septembre 2018
Aux grands maux...
Le suicidé philosophique, une fois résolu à faire taire son Moi, ne recule devant rien, pas même devant les pratiques les plus osées du phréno-mesmérisme 1. Mais rien n'y fait, le Moi y est, il y est toujours, et il faut faire appel au médiateur du Rien par excellence : le taupicide.
1. Cette doctrine prétend supprimer l'activité du cerveau frontal pour donner libre carrière à l'occiput.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Théologie de la libération
Seule une doctrine qui ne broncherait ni devant le concept — ce « muscle de l'esprit » — ni devant l'huile de ricin — ce « forceps du boyau culier » — pourrait avoir raison de l'angoisse qui paralyse le candidat à la défécation crispé sur son soliloque.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Presse-purée
Le temps, qui de la solennelle vacuité du Moi, extirpe le suc et l'essence.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Un velléitaire
« Le lendemain soir, il était sur son perchoir et dormait. Alors, une main s'empara de lui et fit le noir, fit le noir immense. »
Exaspéré par l'haeccéité, cette camisole qui l'étouffe et l'écorche jusqu'au sang, l'homme du nihil envie parfois le sort du coq évoqué par Knut Hamsun. Faute de main secourable, une fiole de taupicide fera très bien l'affaire, pense-t-il. Mais ce « noir immense » a tout de même quelque chose d'effrayant... Comme il est un peu lâche, il se recouche, gémit... et le matin suivant, il reste assis en robe de chambre, à la terrasse de la taverne, sur la place du Marché, à boire des verres de « casse-patte », à ruminer la temporalité du temps, la mortalité de l'être mortel... Et puis : « le soir tombe, on n'est plus très jeune ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Orthorhombique
Alors que nous étions prêts à nous mettre en route, voyant que le cabaliste n'était pas dans les parages, Velasquez reprit sa narration en ces termes :
« En minéralogie, on dit d'un cristal qu'il est orthorhombique s'il a la forme d'un prisme droit à base en losange. »
À cet endroit, il perdit le fil de son récit et sortit ses tablettes pour dissimuler son embarras. Nous attendîmes en vain la suite de son histoire.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Déchéance
Ainsi, un peu déshonoré de n'avoir pas mis à exécution ses menaces à l'endroit du Moi, le suicidé philosophique survécut-il, se jugeant méconnu et les hommes méchants. Il écrivait : « Je déteste la société, parce qu'on n'y croit pas à la bonté morale. » Et à la fin de sa vie : « Je ne vois plus, je n'entends plus, je ne me souviens plus ; je suis devenu complètement négatif. » Il perdit légèrement la tête, sur ses vieux jours, et disait à son valet de chambre : « Si le Grand Rien vient, vous lui direz que je n'y suis pas. »
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Causes multiples
On sait que, dans la réalité, l'acte défécatoire est rarement attribuable à une cause unique et simple. Il est surdéterminé. L'abus de coloquinte ou de rhubarbe, une émotion forte, une faiblesse du gros intestin, les circonstances « extérieures » et les dispositions « internes », le choix prémédité et les impulsions subites entrent si étroitement en composition qu'il est bien difficile, en général, de prétendre savoir pourquoi quelqu'un a « fait ».
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Métaphore canine
Le Moi du suicidé philosophique n'est jamais le fidèle compagnon, mais le molosse aux babines saignantes. Le Moi du vulgaire, au contraire, est une créature comparse, vide de sens.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Grosse baleine
« Le beau squelette de cétacé que l'on voit actuellement en cette ville, provient d'un individu trouvé mort en mer, à peu de distance du port d'Ostende, au mois de novembre 1827. On en a publié une lithographie, qu'on dit faite d'après nature, et qui prouve évidemment que cet animal appartient au genre Baleinoptère de Lacépède, et à son second sous-genre caractérisé par des plis longitudinaux sous la gorge et sous le ventre. » (P.-L. Van der Linden, Notice sur un squelette de baleinoptère exposé à Bruxelles en juin et juillet 1828, Voglet, Bruxelles, 1828)
L'écrivain et philosophe Albert Caraco a-t-il pu contempler ce squelette de cétacé ? Son œuvre, incroyablement nihiliste et pessimiste, où il compare souvent le Grand Tout à une « grosse baleine », le laisse supposer. Toujours est-il que le 7 septembre 1971, en son domicile du 34 rue Jean-Giraudoux, Caraco se suicide par pendaison quelques heures après la mort de son père, conformément à l'esprit morbide de ses écrits.
Auteur prolifique, Caraco demeure ignoré du grand public, ce que Gragerfis explique par « l'intransigeance de sa littérature, son côté pince-sans-rire et ses déclarations propres à scandaliser le vulgum pecus ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
mercredi 19 septembre 2018
Histoire de Ouin-Ouin
Après le dîner du lendemain, Velasquez s'offrit de lui-même à reprendre son récit, ce qu'il fit en ces termes :
« C'est Ouin-Ouin qui va chercher sa femme à la gare de Neuchâtel... »
Mais voyant que le cabaliste lui lançait un regard noir, il préféra ne pas aller plus loin.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Sans trève ni repos
Charles Péguy, qui allait trouver la mort au front de Villeroy le 5 septembre 1914, semble déjà hanté par le spectre de la rétention, comme le montre cette confidence faite en septembre 1913 à son ami Joseph Lotte : « Il faut que je produise jusqu'à ce que je meure. Je n'ai pas le droit de m'arrêter. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Un infatigable polygraphe
Comme le Khlestakov du Revizor, le Grand Tout « écrit aussi des vaudevilles ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Impuissance du Dasein
L'étant existant — le fameux Dasein des existentialistes — ne veut pas mourir, ni monter là-haut, ni descendre en bas, ni passer au laminoir, ni qu'on le jette dans le feu, ni qu'on le martyrise avec des couteaux empoisonnés, ni que le Rien le regarde avec ses yeux. — Mais ce que veut et ce que ne veut pas l'étant existant, la « nécessité » chère aux idéalistes allemands s'en « tamponne le coquillard ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Accipitres
Comme Rébecca demandait à Velasquez de nous exposer la genèse de son système, il commença ses explications en ces termes :
« Les rapaces sont aussi appelés accipitres. »
L'heure étant venue de faire halte et de dresser les tentes, Velasquez dut remettre à plus tard la suite de son exposé.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Ineffable
Non seulement l'excrément unit la chair et l'esprit, mais il rassemble encore le dicible et l'indicible. Il est cet accord avec l'ineffable sur quoi repose toute profération. Mais l'écoute de l'ineffable exige une lenteur à laquelle est peu enclin l'homme saisi par un besoin pressant.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Oscillation douloureuse
Je me transporte, par une hyppalage hardie, de l'être au non-être, et retour.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Une dignité sans égale
La physionomie des Maures est sévère, rembrunie, bilieuse, comme celle du suicidé philosophique mais sans l'austère dignité qui distingue ce dernier.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Défaut de portance
La « fin de vie », qu'elle prenne la forme du marasme sénile, de la maladie, ou des deux à la fois, est l'occasion privilégiée de faire ou d'approfondir l'expérience de la solitude.
Le psychologue suisse Quinodoz désigne sous le nom de portance (terme d'aéronautique désignant la force qui permet à un aéronef de se maintenir en altitude) l'aptitude acquise dès le plus jeune âge à supporter la solitude grâce à la présence intériorisée de la mère. Que vienne à manquer la santé, que le médecin reconnaisse son impuissance à nous regonfler, et nous voilà seuls. Quelque chose de notre portance est menacé ; nous avons, en quelque sorte, du plomb dans l'aile.
C'est ce qui arriva au philosophe — ou, comme il préférait se faire appeler, au « créateur de concepts » — Gilles Deleuze. Victime de sa trop grande imagination conceptuelle, et désireux d'échapper aux tourments d'une grave maladie respiratoire, il profita de son défaut de portance pour se détruire le 4 novembre 1995 en se défenestrant de son appartement parisien.
« Ce sont les organismes qui meurent, pas la vie. » avait-il déclaré — assez platement, à l'estime de Gragerfis — peu avant, dans un entretien.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Phosphore
Le lendemain matin, nous nous mîmes en route dès le lever du jour. Le Juif errant ayant fait sa réapparition, le cabaliste lui ordonna de reprendre son récit, ce qu'il fit en ces termes :
« Le phosphore existe dans la nature à l'état de phosphate ; on en trouve également dans les os, le système nerveux, l'urine et dans la laitance des poissons. Il fond à 44°. Soluble dans le sulfure de carbone, il se transforme, lorsqu'on le chauffe dans le vide ou dans l'azote à 240°, en un produit dit phosphore rouge. Ce phosphore n'est pas vénéneux, tandis que le premier est un poison violent. Le phosphore est employé à la fabrication des allumettes chimiques. »
Courroucé par ces propos, le cabaliste le renvoya aussitôt vers les sommets de l'Atlas.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
mardi 18 septembre 2018
Entre-deux
L'excrément est simultanément dans le temps et hors du temps, engagé dans ce monde mais dans un autre monde : contradiction essentielle dont le sujet déféquant ne peut sortir que par un coup de force, un effort presque désespéré de ses muscles abdominaux.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Les adieux à Gand
Avant de commettre l'homicide de soi-même, le poète flamand Jacob van Zevecote (1604‒1646) coucha sur le papier ce déchirant poème d'adieu : « En avant, il faut partir : adieu, douce patrie, qui si souvent éveillais ma veine. Adieu, champs d'Oostacker ; quand les soins et les peines me tourmentaient, votre herbe vive, votre inépuisable verdure dissipaient mes angoisses. Gand, je ne te verrai plus ! Ma nacelle ne me portera plus jusqu'à Tronchiennes, le long des vertes prairies où s'engraissent et pâturent les bœufs que le Danemark nous envoie. Adieu, adieu ! il faut partir ; je dois escalader l'étroit sentier des rochers dont la tête hardie, toujours couverte de neige, défie les hauteurs des cieux. » — On ne fait pas plus poignant.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
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