samedi 18 février 2023

Jet phrastique

 

Ulysse est prisonnier sur l'île d'Ogygie où règne Calypso. Il passe ses journées sur le rivage à pleurer en regardant la mer et « toute la douceur de sa vie coule avec ses larmes ». — Comment ne pas être ému au suprême par ce jet phrastique d'Homère ? 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Une atroce villégiature

 

Séjourner dans la « réalité empirique » n'est guère plus enthousiasmant que de contempler le derrière grumeleux d'un canidé. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Indicible rémoulade

 

En 1926, constatant l'impossibilité de fonder les mathématiques sur la logique, et déprimé par l'échec de son Tractatus à tracer les « limites du sens », Ludwig Wittgenstein en vient à identifier la vie à une « indicible rémoulade » (eine unsägliche Remoulade). Il écrit à G.H. von Wright : « Je n'ai plus le moindre espoir pour le reste de ma vie. C'est comme si je n'avais plus devant moi qu'une longue étendue de mort vivante. Je ne peux pas imaginer de futur pour moi autre qu'épouvantable. Sans amis et sans joie. La vie est une indicible rémoulade. »
 
 (Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Portrait du négateur en brise-glace mésomorphe

 

Grâce au professeur Munteanu qui fréquentait assidûment le couple, on apprend que Simone Boué trouvait Émile Cioran « aussi attachant et polisson qu'un renard de Magellan ». Mais ce qu'elle appréciait par-dessus tout, c'était sa coriacité, et elle le décrivit un jour à Mircea Eliade comme « un intrépide petit cargo affrontant la mer de glace du Rien » (Eliade, qui n'avait rien compris, se contenta de répondre : « Da, da, sigur »). 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

vendredi 17 février 2023

Nous, les nihiliques

 

Dans le terrain vague, ténébreux de notre Moi, ne poussent nulles fleurs indigènes. Seuls prospèrent mousses et lichens, qui couvrent les petits cailloux de nos sentiers nocturnes et nous dénoncent comme les assassins scrogneugneu du genre humain. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Métaphore extravagante

 

On a bien sûr le droit, par une métaphore hardie, de rapprocher telle chose de telle autre — c'est ce que font sans se gêner les « poëtes » —, mais dire du Rien qu'il est un colossal voilier pourvu d'une brigantine cousue sur des lattes en bambou, c'est passer un peu les bornes ! 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Extase nihilique

 

On se livre à l'action élémentaire de beurrer une biscotte, et soudain, les amarres du réel sont rompues, brutalement s'ouvrent les portes d'un appentis cérébral gigoteux, le beurrier devient un pot de stupeur ontologique ! 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Prédicats du Rien

 

Du Rien, on peut dire tout ce qu'on veut, même qu'il est en forme d'ellipsoïde. C'est ça qui est plaisant avec le Rien — et que cette andouille de Parménide n'avait pas compris. Oui, en vérité nous le disons : le Rien est en forme d'ellipsoïde — et nous vivons à l'intérieur. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

jeudi 16 février 2023

Un promoteur infatigable

 

« Moderne Hégésias, Émile Cioran faisait en toute occasion la promotion du suicide. Selon lui, l'homicide de soi-même était souverain contre la constipation, le catarrhe tubaire et les hémorroïdes. Il y voyait une panacée, supérieure même au baume des Capucins de Jérusalem. » (Basile Munteanu, Mon ami le Grandiloque) 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Incurable traczir

 

Parce qu'il a entendu dire que cuisiner éloigne les peurs, le nihilique mitonne des côtelettes d'agneau persillées, accompagnées de cocos de Paimpol. Mais c'est un échec. Comme le désolant Rimbaud, les peurs y sont, elles y sont toujours. Il n'y a rien à faire. On peut cuisiner tant qu'on voudra, aussi longtemps qu'on sera en vie, on aura les chocottes. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Âcre potentat

 

On a beau jouer les esprits forts, il est pénible de se dire que la mort signifie l'annihilation complète. Il faut pourtant s'y résigner. Le Rien est un âcre potentat ! 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Cacophobie

 

S'il faut en croire le dictionnaire, le mot cacophobie désigne « la peur irrationnelle, excessive et injustifiée de la laideur », une peur qui peut concerner des personnes, des objets ou des concepts (par exemple celui d'Ereignis qui, chez Heidegger, signifie le déploiement originel de l'être, la donation originaire de la présence, qui est à la fois la vérité de l'être et la vérité du temps). On prend connaissance de ce terme, on referme le dictionnaire, on boit une gorgée d'un affreux pichtegorne et l'on soupire : « Dure, oh, bien dure est la vie du cacophobe !  »
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

mercredi 15 février 2023

Tell me I exist

 

Mis en face de son propre vide, le monstre bipède prend peur. Vite, des « amis » ! 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Poupée démantelée

 

Est-ce cela qui l'a poussée à se défenestrer ? Nul ne peut l'affirmer, mais il est certain que la « plasticienne » Unica Zürn, en plus d'être atteinte de schizophrénie et d'une grave dépression, souffrait d'un problème de cohabitation avec un Bellmer envahissant. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Pensée calcifiée

 

À force d'élaguer, de décanter, de quintessencier sa pensée, on obtient quelque chose qui ressemble à un os de seiche. Un os qui resplendit non dans la cage d'un serin mais dans le silence rutilant du vide. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Self-taught philosophy

 

On voudrait savoir comment vivre, alors on cherche chez Platon, chez Leibniz, chez Schopenhauer, chez Maritain, chez André Comte-Sponville, tout ça pour finalement découvrir — par soi-même ! — que la meilleure façon de vivre, c'est allongé sur un canapé en laine, la casquette rabattue sur le nez. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

mardi 14 février 2023

Gambades nihiliques

 

Dès qu'on l'orientait sur le Rien, la conversation d'Émile Cioran gambadait « tel un veau marin apprivoisé » (au dire du professeur Basile Munteanu). 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Prosit

 

Chamfort conseillait à celui qui va dans le monde d'avaler un crapaud tous les matins, afin de n'être plus dégoûté par rien. Le problème est que ces petits batraciens ne courent pas les rues. Faute de crapaud, le nihilique a trouvé une solution de rechange : il boit chaque matin un jéroboam de « Grand Tout ». 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Monologue du Grandiloque

 

« Qu'est-ce que Simone nous apporte ? Une vue plus exacte de nous-mêmes ? Ah non, ça c'est la défaite... Oh, mais c'est une délicieuse tarte aux poireaux, ma parole ! »
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Lire Cioran

 

Pour augmenter son « capital santé », la solution n'est pas de faire du sport ni de manger des légumes mais de lire chaque jour du Grandiloque. On baigne dans « l'irréparable », on se laisse doucement irradier par le Rien... On voit enfin « la vie en beau » ! 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

lundi 13 février 2023

An experiment with time

 

Être un Quasimodo... Par sa seule apparence, faire peur aux petits enfants... On s'était souvent demandé ce que cela faisait. Maintenant qu'on est un « vieux jeton », on le sait. La vie, il n'y a pas à dire... Il suffit d'attendre et on fait toutes les expériences possibles et imaginables. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Croquignoles du désespoir

 

Quand il était tenaillé par l'insomnie, le « négateur universel » Émile Cioran tirait de son placard une boîte de croquignoles confiturées qui lui tenait compagnie jusqu'à l'aube. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Questions et réponses

 

À la question : « Qui songe à moi dans la nuit noire ? », on fera en sorte de pouvoir répondre : « Personne ». Et à celle plus embarrassante : « Qui suis-je ? », on répondra : « Un monolithe hurluberlu bercé par de grands vents sans mémoire ». — Si l'on est d'humeur lyrique, c'est-à-dire. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Les « petits chevaux » du désastre

 

Un jour, Georges Bataille jouait aux « petits chevaux » avec Maurice Blanchot. Mais comme ils appartenaient à la même école littéraire — celle de la « vacuité prétentieuse » — et qu'ils étaient dans la vie comme ils sont dans leurs livres — vides et prétentieux, donc —, ils furent incapables de se comprendre et de régler les différends que ne manque pas de faire naître une partie de « petits chevaux ». 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

dimanche 12 février 2023

Exutoires

 

Le philosophe Jean-Paul Sartre n'avait pas le droit de faire des miettes, et quand il oubliait de mettre les patins, ça bardait pour son matricule. Dans son intérieur, il était presque aussi brimé que le « Grandiloque des Carpates ». Les Simone, « comme même »... c'est quelque chose ! Heureusement, il y avait l'existentialisme (pour l'un) et la négation universelle (pour l'autre). Sinon... 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Moments de la légende

 

Cioran achetant une cuillère en bois dans un grand magasin ; Cioran à la recherche de deux robinets « vieux modèle, hélas » sur le boulevard Richard-Lenoir ; Cioran se disputant avec un commerçant à propos d'une bouteille de butane ; Cioran se coinçant le pouce dans une portière de voiture ; Cioran mangeant une portion de tarte aux poireaux et demandant du « rabe » à Simone Boué : ce sont là des moments cruciaux de la légende, et chacun restera à jamais gravé dans les mémoires. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Accès de découragement

 

« Si ça continue, je vais faire comme Leopoldo Lugones, je vais sentir au plus profond de moi que la réalité n'est pas verbale, qu'elle peut être incommunicable et atroce, et je vais m'en aller, taciturne et seul, chercher la mort dans le crépuscule d'une île.
— Déconne pas, vieux ! »
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

Bric-à-brac

 

Dans le ciel des idées platoniciennes, il y a le modèle de tous les objets possibles et imaginables, jusqu'aux plus loufoques. C'est une vraie caverne d'Ali Baba. Il paraît qu'on y trouve même le prototype des fameux « biberons Robert ». 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

samedi 11 février 2023

Méditation merleau-pontienne

 

Possédons-nous un corps ou sommes-nous notre corps ? C'est sans doute la deuxième réponse qui est la bonne, mais si c'est comme ça, autant se pendre tout de suite. D'un autre côté, si l'être humain est avant tout une âme, c'est aussi un coup à se pendre. Se pendre, toujours se pendre, ce n'est pas une vie... 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)