« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
lundi 15 octobre 2018
Tétrarhynque
Aucun homme sensé ne saurait être de l'avis de M. Leblond touchant la détermination du petit animal à quatre trompes qu'il a trouvé dans un kyste situé sous le péritoine d'un congre. On peut accorder volontiers qu'il ne soit ni Floriceps ni Anthocéphale, puisque l'extrémité postérieure de son corps ne se termine pas par une vésicule, et que ce doit être un tétrarhynque ; mais ce n'est en aucun cas le Tetrarhynchus appendiculatus de Rudolphi. La plupart des vrais tétrarhynques qui ont pu être observés vivants avaient, à l'extrémité postérieure du corps, une sorte d'appendice qu'ils faisaient rentrer ou sortir suivant certains mouvements. Où est cet appendice, chez le tétrarhynque de M. Leblond ? — [Silence].
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
De l'inanité de l'être
Dans l'Apologie de Raimond Sebond, Montaigne, en proie à une crise de scepticisme, met en doute la véracité des sens et déclare impossible toute connaissance. Mieux encore, l'auteur affirme l'inanité de l'étant existant — le fameux Dasein des existentialistes — qui, selon lui, découle de cette impossibilité de connaître. Certains commentateurs ont vu dans ce texte une déclaration semblable à celle que profère, par son acte radical, le suicidé philosophique. D'autres ont établi un lien avec la formule de Sainte Catherine de Sienne : « Je suis celle qui n'est pas ». Mais tout cela n'est-il pas, finalement, « du pareil au même »?
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
dimanche 14 octobre 2018
Platonisme
Le platonisme est une théorie philosophique selon laquelle il existe des entités intelligibles en soi (crottin de Chavignol, gruère, picodon fermier, etc.), dont le contenu est indépendant de la contingence de l'expérience sensible. Cette théorie est une des réponses possibles, avec le nominalisme et le conceptualisme auxquels elle s'oppose, à la question du statut ontologique des spécialités fromagères.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Heautontimoroumenos
On ne pense jamais que contre soi-même. Cela est-il vrai ?
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Temporalité
En commettant l'homicide de soi-même, le suicidé philosophique évite l'erreur fondamentale de la pensée traditionnelle concernant la temporalité, qui est de traiter le temps conformément au modèle ontique. À cette approche objectivante et nivelante de la temporalité, il substitue une approche que l'on pourrait qualifier d'analogique, d'apophatique, ou encore de poliorcétique — quoiqu'elle n'implique pas nécessairement l'usage de lourdes machines de siège.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Devise du nihilique
« Tout ne puis, quelque chose ne daigne, rien suis » : telle est l'orgueilleuse devise, adaptée de celle des Rohan, de l'homme du nihil.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Acte découvrant
Il est plus important, si l'on veut commettre l'homicide de soi-même, de se procurer un revolver ou du poison, que de souscrire aux thèses particulières de la phénoménologie sur la hiérarchie des réductions ou la constitution des noèses transcendantales. C'est, semble-t-il, ce que confesse à demi-mot Heidegger quand il insiste sur l'acte découvrant qui incombe au Dasein, lequel a pour vocation de découvrir les choses — taupicide, corde de violoncelle, revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe — dans leur vérité.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Hypothèse
Peut-être, avant Plotin, l'homicide de soi-même est-il la seule doctrine qui, au contact de l'indianisme, ait entrevu la libération du sujet comme un anéantissement de l'esprit dans l'indéterminé.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Diététique du Père Ubu
Plutôt manger des choux-fleurs à la merdre que « concevoir une pensée ».
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Des moyens
« Dans le suicide aigu, tous les moyens, tous les genres de mort sont égaux ; les malades saisissent avec une ruse souvent infernale toutes les circonstances favorables à leur suicide : une fenêtre, un escalier, un couteau, des ciseaux, la strangulation, la rivière, un flacon de taupicide, n'importe, pourvu qu'ils mettent fin à leur vie. Il n'en est pas de même dans le suicide chronique : les malades adoptent le genre de mort qu'ils doivent se donner, et s'y arrêtent après de mûres réflexions ; ils n'en veulent pas d'autres ; et encore s'ils sont décidés à se noyer, par exemple, c'est arrangés de telle façon, et dans tel endroit de la rivière, à tel moment du jour ou de la nuit, que s'exécutera leur dessein : le moindre dérangement à leur plan bien arrêté, suffit pour le faire différer, ou même pour en empêcher tout à fait l'exécution. » (Scipion Pinel, Traité de pathologie cérébrale ou des maladies du cerveau, Rouvier, Paris, 1844)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Laboratoire d'idées
Dans l'homicide de soi-même, le suicidé philosophique se livre sans complaisance à l'analyse de ses faiblesses. Mais cet acte est aussi un extraordinaire laboratoire d'idées et de réflexions esthétiques !
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Décomposition
Non plus que Spinoza, je ne ris ni ne pleure. Je me décompose.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Haro sur l'haeccéité
Le suicidé philosophique, en détruisant son Moi, entend mettre à nu la plaie la plus hideuse de l'étant existant, la principale cause de tous les maux qui l'affligent et le déshonorent, et le conduit rapidement aux abîmes où se sont engloutis avant lui tous les philosophes, tous les mystiques et tous les poulpes de la mer Égée : l'haeccéité.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
samedi 13 octobre 2018
Synthèse quintuple
Schleiermacher prétend que chez Fichte, l'usage immodéré de la « synthèse quintuple » 1 avait entraîné une folie érotique dont les accès s'allumaient à la vue d'une sœur hospitalière, d'une fille de basse-cour, et même d'une image grossière de femme. Il affirme que Fichte mourut en se livrant sans frein, comme un insensé qui se déchire, à la manie solitaire la plus salace. « Voilà ou mène l'idéalisme transcendantal chez des individus n'ayant rien à perdre au monde, ni sous le rapport de la fortune ni sous celui de la réputation, bien moins encore de la pudeur », note Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain.
1. Rappelons que la synthèse quintuple fichtéenne vise à unifier en les égalisant les points de vue de l'être substantiel et du soi fini.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Dján kacháï
En Inde, à Kebberpour-Na-Djhil, on voit un immense canon qui a 213 pouces de long, 66 de circonférence à la culasse et 18 à la bouche. Cinq anneaux (il y en avait originairement six) placés à des distances égales servaient autrefois à le mouvoir. Chacun a 24 pouces de diamètre, sur huit d'épaisseur. Les gens du pays, comptant sans doute sur un afflux de suicidés philosophiques pour « faire marcher le commerce », appellent ce canon dján kacháï ou le destructeur de la vie.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Clairvoyance
Avec la bonne foi docile de celui qui veut trouver, l'homme du nihil reconnaît la vraie clarté là où des esprits casaniers ou rétifs ont peine à voir autre chose que bizarrerie : dans l'idée même, et suave, du Rien.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Volonté de puissance
L'homme, qui n'est d'abord qu'un germe informe, emploie toutes ses forces à créer et à perfectionner les instruments de cette puissance qui — croit-il — est appelée à dominer la parcelle de réalité empirique où il trémousse son Moi. Mais le moment de son apogée touche de près celui de sa décadence ; l'inanité de l'existence l'empoigne à la gorge, l'idéalisme allemand lui ôte toute espérance, et bientôt, une cuillerée de taupicide restitue sa dépouille à l'empire des lois de la nature inanimée.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Moustérien stérile
La nature corrosive de l'idée du Rien a été confirmée par de nombreuses autopsies de suicidés philosophiques, dont la pachyméninge évoquait, selon les médecins légistes qui les ont pratiquées, un « niveau moustérien stérile » ne laissant apparaître que quelques restes de capra, de cervidés et de tortues, mais aucun vestige de « vouloir vivre ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Décadence
Le monde avait, sous les Romains, l'apparence d'un pittoresque port de mer, et l'on y trouvait alors d'excellentes huîtres vertes. Aujourd'hui, il est devenu un marais pestilentiel, rempli de joncs très élevés, de ronces, d'immondices, et d'anthropopithèques en survêtement. — Ô civilisation de l'infâme, du crétin triomphateur !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Devoirs de l'homme du nihil
« L'homme du nihil, s'il veut être calme, il faut qu'il s'attache pleinement au Rien, qu'il y trouve toute sa suavité, toutes ses délectations et toutes ses joies. Si les divers fantômes de l'imagination, qui agite et qui amuse si souvent l'esprit, troublent sa sérénité ; si les occupations extérieures le divertissent quelque temps de la présence du Rien, il faut qu'il s'y remette avec ferveur et vitesse ; il faut qu'il rentre dans la lumière de la vérité qu'il sent au-dessus de son imagination, et qu'il élève aussitôt ses yeux vers l'astre noir du nihil, qui est la source de cette lumière et qui est son phare dans le ténébreux désert de Gobi de l'existence. » (Noël Courbon, Entretiens spirituels sur les principaux devoirs des personnes consacrées au Rien, Collombat, Paris, 1712)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Manifeste
Rompant avec le logicisme et l'associationnisme de son temps, le suicidé philosophique refuse de voir dans l'homicide de soi-même un déchet de la rationalité, non plus qu'un « embryon » ou une survivance. Il y voit au contraire une ouverture sur l'infini infundibuliforme, et une restauration de la grandeur de son destin.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
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