Les
ceusses qui cultivent le paradoxe, du genre Oscar Wilde, c'est peu dire
qu'ils sont fatigants. Si nous avions un conseil à leur donner, ce
serait de se carrer leurs paradoxes dans le fiak. Ça, ce serait
paradoxal.
Héritier
de Leopardi, le nihilique s'est enfermé dans la bibliothèque familiale
(au figuré) et en est ressorti dix ans plus tard malingre, déprimé et
atteint de spondylarthrite ankylosante (au figuré). Il est arrivé trop
tard pour que sa méditation métaphysique et lyrique sur le tragique de
l'existence fasse de lui un précurseur de Schopenhauer, de Nietzsche, de
Freud et de Cioran, mais à quelques années près c'était bon.
Dans
sa philosophie et dans sa vie, Schopenhauer accordait une grande
importance à la pitié, tandis que Nietzsche trouvait ce sentiment trop « gnangnan ». Mais en réalité, le « penseur paradoxal » faisait « jore ». Il
jouait les durs. Telle une pompe à révérence parler merde mal réglée, il « refoulait ». Car en 1889, à Turin, avec le bourrineau, c'est bien un
accès de pitié qui provoqua son effondrement, non ? Nous ne sommes quand
même pas fous !
Faire
l'intéressant, c'est toute la vie du monstre bipède. Il croit que ça va
lui permettre de « tomber les gonzesses ». Et le pis, c'est que ça
marche. Ça et le prognathisme.
À
son propre dire, le poëte suisse Francis Giauque était prisonnier d'un
atroce anneau de tristesse. Et non seulement ça, mais cet anneau
flambait autour de sa chair crispée. Finalement, arrivé au bout de son
rouleau, il se suicida.
D'après
les prospectus, la vie ne devait être qu'amour, ris et jeux, mais nous,
tout ce que nous avons trouvé, c'est incommunicabilité, solitude,
ennui, morosité et dégoût. Comment cela se fait-il ? Se serait-on trompé
d'adresse ? Ou s'est-on fait embobeliner ?
Si
l'on pouvait, par un coup de baguette magique, supprimer l'instinct dit
sexuel, on éliminerait du même coup les neuf dixièmes des maux qui
accablent le genre humain. Il ne resterait plus que les panaris et le
poëte René Char. Et « l'amour » en prendrait un drôle de coup.
Pendant
son agonie, devenu fou, Swift répétait : « Je suis celui que je suis »
— et tout le monde rigolait. Par contre, quand plus tard ce sale petit
frimeur de Rimbaud a prétendu qu'il était un autre, tout le monde s'est
extasié. Qui niera après cela que l'être humain est un pot de pisse ?
Pour
vous faire oublier les horreurs de l'existence et la vilenie du monstre
bipède, il n'y a rien de tel que la science mathématique. On calcule le
laplacien d'un champ vectoriel quelconque (le premier qui vous tombe
sous la main), et aussitôt on se sent mieux. Hélas, le soulagement n'est
que transitoire, et bientôt reviennent les idées noires, comme un
essaim de mouches dites « à merde » : mortalité de l'être mortel,
temporalité du temps, haeccéité...
Dans
le roman de Cervantes, Don Quichotte est tellement miraud qu'il croit
que Dulcinée est un prix de beauté alors qu'en fait c'est un trumeau,
autrement dit une grosse mocheté. Mais n'est-ce pas le cas de tout homme ? Qui pense et qui sent ? Être homme, n'est-ce pas s'éprendre de
grosses mochetés ? Oh, bon Dieu !
Même
quand on est seul — seul comme une pesse sous la pluie, seul comme
Franz Kafka —, on a quelques poteaux : Oblomov, Bartleby, Johan Nilsen
Nagel...
À
partir d'un certain âge, la femme est tellement décatie qu'elle
n'évoque plus une rose, un blanc flocon de neige ou du pain d'épice mais — c'est terrible à dire — la mort. Il faut alors fuir sa présence
si l'on ne veut pas tomber dans une grave dépression.
Est-il
vrai que l'univers réel — et non l'univers abstrait, générique —
forme un tout comportant des horloges, des bicyclettes et des écrivains
latino-américains ? C'est ce qu'a un jour affirmé Ernesto Sabato, mais
sans doute avait-il « tâté de la chopine ». Nous autres qui sommes sobres
savons qu'il n'y a rien.
Jeunes
ou vieux, ayant séjourné dans une cave pendant des années ou dans une
étable à vache, à peine sortis de l'imprimerie de
Saint-Sauveur-le-Vicomte où ils travaillent comme protes, peu importe :
les humains sont cons. Mais cons !...
Quand
on lit du Hugo — Les Misérables, Les Contemplations, n'importe —,
on ressent une certaine gêne à lire des phrases agencées par un satyre.
Et pareil avec Flaubert. La salacité notoire de ces auteurs donne à leur
œuvre quelque chose de répugnant. Surtout, cette salacité nous fait
voir en eux des êtres peussédiques et même « fucking peussédiques », comme
le sont les maniaques de tout poil.
Décider
de traduire l'Edda prosaïque de Snorri Sturluson — puis finalement
laisser tomber car rien ne sert à rien (all is of no avail) et que de
toute façon on ne comprend que dalle au vieil islandais.
Pour
éviter les mauvaises influences sur le « conscient intérieur » du sujet
pensant, une idée serait, dans les bibliothèques, de remplacer les
livres par des os de brebis.
Celui
qui a compris qu'il allait mourir, il lui est difficile, même en étant
de bonne composition, de s'intéresser aux cubes du Corbusier ou aux
incohérences du dadaïsme. La bonne composition, comme toute chose
ici-bas, a ses limites.
Le
nihilique se fait tellement chier dans cette existence de merde que
pour passer le temps, il écoute le bruit doux de la pluie. Par terre et
sur les toits. Au début ça va, c'est agréable, mais ensuite il y a comme
une langueur qui pénètre son cœur et c'est un peu « malaisant ».
C'est
après s'être cogné la tête contre un volet métallique que Jorge Luis
Borges entreprit d'écrire des contes fantastiques. Plus bizarre encore,
il se mit à tourner autour de soi-même telle une toupie démoniaque, au
grand désespoir de Virginia Ocampo, de sa sœur Silvina et du peintre Xul
Solar. D'après son ami Bioy Casares, « une balafre rancunière lui
sillonnait le cassis ».
Sadegh
Hedayat n'a pas fait que se suicider et chercher à se suicider, il a
aussi écrit plusieurs livres dont La Chouette aveugle qui raconte les
hallucinations d'un opiomane poursuivi par des images d'une vie
antérieure. S'il n'avait fait que se suicider, on ne parlerait plus de
lui. Idem pour le peintre Van Gogh, sauvé — si l'on peut dire — par
ses « tournesols » et ses « cyprès ».
Felice : Je sais pas, moi... Tu pourrais peut-être faire un roman teinté d'une
atmosphère cauchemardesque, où la bureaucratie aurait une prise de ouf
sur l'individu ? Qu'est-ce t'en penses ?
Malgré
ses dehors bourrus et son côté cynique, l'écrivain Charles Bukowski
était terriblement naïf : il croyait à la « poésie » ! Et plus
généralement au fait de « s'exprimer » ! Il « tapait à la machine » !