Toute
relation sentimentale se ramène à une tentative de « placement de
produit ». Il y a toujours tromperie sur la marchandise, mais on s'en
aperçoit trop tard, fasciné qu'on est par les « biberons Robert » et le
« boule ».
Le nihilique
est « l'homme qui dit non » : non à la réalité empirique, non au
vouloir-vivre, non au destin, non au cézannisme géométrique, non au Moi,
non à la vie et à l'instinct. Et cependant qu'il dit non, il dit aussi
l'alternative cruelle, à chaque instant, de la vie et de la mort,
rejoignant curieusement le Baudelaire d'Un mangeur d'opium.
Jeune, on
s'imagine que la femme est « du champagne pétillant de mystère ». Mais
quand on la connaît mieux, on voit qu'elle ne pétille pas du tout,
qu'elle n'est qu'une vulgaire pochetée, et la déception « fait alors
trembler la voix du sens, selon un grondement d'apocalypse qui semble
s'éteindre dans la clameur de sa propre fin ».
Le poëte
Ponge portait aux choses un intérêt si passionné qu'il lui suffisait
d'entendre le mot cageot pour tomber en proie à un « chaos de
paralysies, de trémulations et de spasmes ».
Le
pithécanthrope était sans doute aussi affreux que l'actuel monstre
bipède mais il faisait moins de simagrées. Il assumait son affreuseté et
ne cherchait pas à s'en faire accroire en niant son côté bestial.
Surtout, SURTOUT : il ne créait pas de concepts !
Soi aussi, on
veut déconstruire ! On veut fouquer comme Foucault, dérider comme
Derrida, faire du boucan comme Jacques Lacan et avoir une tête d'ahuri
comme Guattari !
Comme le
vulcanologue Haroun Tazieff, rejoindre l'équipe franco-belge du
physicien Max Cosyns qui explore le plateau calcaire du massif de la
Pierre-Saint-Martin (dans les Pyrénées). Faire des prélèvements.
Sauf à être
une pierre dure rotacée, un rutabaga ou un faldistoire falciforme, il
est impossible de « faire corps » avec quelque existence que ce soit.
Quand, par
politesse, vous leur demandez comment ils vont, neuf fois sur dix les
gens vous répondent qu'« ils vont bien, merci ». Évidemment, ils
mentent. Ce sont des sadistes. Ils veulent juste que vous vous sentiez
encore plus seul avec vos « soucis de santé ». Et le pis, c'est que ça
marche.
Il est sans
doute vrai, comme le soutient l'écrivain Jouhandeau, que « beaucoup de
suicides ne sont dus qu'à une minute de lucidité », mais et alors ? Ça
le gêne ? Il a un problème ? Il a un souci ? Il ne s'est même pas
suicidé, alors de quoi il cause ?
Si, comme le
prétend Husserl, la vie signifie une appartenance active au monde qui
n'est pas régie par les seules lois du monde mais enveloppe au contraire
une relation phénoménalisante aux étants du monde, alors le
nihilique n'est pas vivant. Pour lui, en effet, il n'est pas question
d'avoir la moindre relation phénoménalisante avec qui ou quoi que ce
soit, et surtout pas avec des « étants » (il est excessivement bourru).
Quand on
croit sa dernière heure venue, on fait venir un prêtre et il vous oint.
Mais parfois, c'est une fausse alerte, et alors on a été vainement oint
(c'est gênant).
Le gnostique
Bardesane affirme que le démiurge ne veut plus dormir chez des
gonzesses, tant il est dégoûté de leur pieu. Il y passe trop de paires
de fesses et le démiurge est délicat, nom de Dieu !
Le bonheur
étant chose relative, pour imaginer Sisyphe heureux, il suffit de se
dire que sa situation eût été bien pire si, en plus du rocher, il avait
été affligé d'une bonne femme. Elle l'aurait forcé à « visiter des
sites » et elle aurait changé chaque mois tous les meubles de place.
L'instinct de
conservation existe chez les moindres animaux. Cet instinct comprend
tout ce qui intéresse immédiatement la sauvegarde matérielle de
l'individu et se manifeste sous un grand nombre de formes. Chez le
négateur Émile Cioran, c'était le chapeau. Il ne trouvait jamais son
chapeau quand il voulait sortir au milieu de la nuit pour aller se jeter
dans la Seine.
Non, cher
monsieur : une messe n'est PAS possible. Car comme l'a noté Kierkegaard,
« du possible, ici-bas, il n'y en a pas plus que de beurre au prose ».
Par contre, vous avez le droit de croire aux forces de l'esprit. De
cela, Kierkegaard ne parle pas.
Héraclite
évoque le châtiment qui serait celui du soleil s'il violait les lois de
la nécessité. Mais il ne dit rien de celui, autrement plus terrible, qui
attend le quidam assez bête pour se mettre une bonne femme sur le dos.
En disant
« reginglette », on voulait faire s'écrouler la mastoque muraille de la
raison pure, mais c'est à peine si on a disjoint quelques blocs. Juste
assez pour créer quelque fente, une cassure ça et là — « dont profitent
le fraisier pendant et le dur pissenlit », comme dirait l'autre.
Si quelqu'un
vous dit qu'il est quelque chose, écrivain, rempailleur de chaises,
existentialiste chrétien, demandez-lui simplement : « Comment le
sais-tu, cher ami ? » Le type, il va se tortiller sur sa chaise.
Le philosophe
Wittgenstein pensait que si on écrivait un livre d'éthique qui fût
véritablement un livre d'éthique, il ferait exploser tous les autres
livres. Et vraiment, ce serait une chose à essayer, rien que pour voir
la tête des Albert Cohen, des Marguerite Urcelar et autres Christian
Bobin quand leurs livres se mettraient à faire « boum ».
Pour échapper
à l'opprobre de n'avoir rien lu de Maurice Nédoncelle, il suffirait de
lire l'un quelconque de ses livres. Mais on est lâche, on remet au
lendemain... Et après cinquante ans d'une vie de patachon, on n'a
toujours rien lu de Maurice Nédoncelle.
Quand il vit
où le destin l'avait jeté, le Dasein ne put retenir un frisson
d'horreur. L'endroit grouillait d'anthropopithèques en survêtement qui
l'accusaient à tout instant de les avoir « mal regardés ». Il décida
d'appeler ce pays la Terre de Désolation.
Comment,
après Kierkegaard, après Fernando Pessoa, après le « philosophe de
l'absurde » Albert Camus, se trouve-t-il encore des gens pour se lever
le matin ? Ils ne lisent pas ?
« Être à
l'eau d'angoisse et au pain de tribulation » est une locution ancienne
qui évoque la condition des moines que leurs supérieurs punissaient en
les jetant dans un cachot et en les mettant au pain et à l'eau.
Aujourd'hui, elle décrit assez bien la situation de celui qui ne prend
pas les vignettes, ne possède pas la carte du magasin, et qui va bientôt
devoir l'avouer car ça va être son tour.