« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mercredi 4 juillet 2018
Santé mentale (Tobias Wolff)
Il n'est guère facile d'aller de La Jolla à l'hôpital d'Alta Vista, à moins d'avoir une voiture ou une dépression nerveuse. Le père d'Avril avait une dépression nerveuse et il y avait été admis en un clin d'œil. Le voyage prit plus longtemps à Avril et à sa belle mère ; il leur avait fallu emprunter deux bus différents, monter à pied une route brûlante qui serpentait entre les bâtiments, puis, une fois la visite terminée, redescendre à pied jusqu'à l'arrêt de bus.
Quelques automobilistes étaient passés sur la route, sans qu'aucun ne s'arrête pour leur proposer de les conduire. Avril ne pouvait leur en tenir rigueur. Ils avaient dû se dire que Claire et elle étaient des malades en promenade. Ou peut-être ces automobilistes étaient-ils, comme la philosophie occidentale au dire de Levinas, incapables de penser l'Autre, de dépasser l'insurmontable allergie qu'inspire l'Autre... Oui, c'était sûrement ça : ils manquaient autrui comme tel, parce qu'ils le réduisaient au rang d'objet ou le subordonnaient à l'Être, malgré le transfert analogique opéré par Husserl dans la cinquième Méditation. Leur philosophie n'était rien d'autre qu'une « egologie », cette forme de pensée pervertie qui atteint son paroxysme dans la philosophie de Heidegger, qu'il s'agisse de la précellence de l'Être par rapport à l'étant, de l'ontologie par rapport à la métaphysique, ou de la définition de l'ipséité du Dasein comme mortel...
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
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