« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mardi 10 juillet 2018
Dangers du concept
Chez les philosophes de profession, il y a des hallucinations des sens qui augmentent graduellement d'intensité. Souvent, dans cet empoisonnement lent par le concept, il y a aussi des sueurs, un grand affaiblissement des forces et des tremblements dans les membres. Lorsque le philosophe a déjà des hallucinations de la vue, de l'ouïe, de l'odorat et du toucher, il s'imagine les approches de la mort, et il n'est pas rare qu'il accouche alors d'un pondéreux traité sur la vanité de toute chose.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Refuge ultime
Qu'ils sont loin, les jours d'innocence du suicidé philosophique ! Il peut s'écrier comme le rêveur de la fiction de Jean-Paul (la Nuit du nouvel an) : « Jeunesse, belle jeunesse, reviens ! » Mais la pente du regret est glissante et mène loin. Au lieu de s'y abandonner, ne ferait-il pas mieux de se réfugier dans une atmosphère de paix et de sérénité, par exemple celle du taupicide ?
Le maître Champfleury lui-même ne l'a-t-il pas déclaré ? « Il n'y a pas d'autre poésie que celle d'où s'exhalent les parfums grossiers (sic) du taupicide. »
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
lundi 9 juillet 2018
Saoul comme un Kalmouk
Le « métier de vivre » est tellement assommant que tout est bon à l'homme pour échapper à l'ennui mortel qu'il suscite. À cet égard, on ne peut qu'admirer, après M. de Humboldt, l'ingéniosité des peuples nomades qui, dans l'absence de plantes céréales et bulbeuses, riches en amidon, et de fruits à jus sucré, au milieu des steppes de l'Asie, ont trouvé, par la distillation de liquides animaux sécrétés par les mamelles de leurs cavales, de quoi satisfaire leur passion pour les liqueurs enivrantes 1.
1. Le koumys ou tchighan, une fois passé à l'alambic, s'appelle araka.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Une initiative citoyenne pour que le soleil brille
« Toi & Toits : c'est le nom de l'association que viennent de créer des habitants de la communauté de communes Ambert Livradois-Forez en ce début 2018 à Marsac-en-Livradois.
Son objet : développer et produire des énergies renouvelables de façon citoyenne et collective notamment par l'installation de panneaux solaires photovoltaïques sur les toitures de bâtiments publics et/ou privés. C'est une manière concrète pour les habitants de participer à la démarche de territoire à énergie positive (TEPOS) par laquelle le Dasein s'efforce constamment d'être son propre fondement.
Cette action est soutenue par le Parc Livradois-Forez et par le collectif des suicidés philosophiques du Livradois-Forez qui réclame "plus de lumière". » (L'Écho du Parc Livradois-Forez, 2 février 2018)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Une terrible coïncidence
Le choc du drame passé, l'heure est aux interrogations pour l'ensemble des proches.
« Il a affirmé à plusieurs reprises qu'il allait mettre fin à ses jours, car il n'en pouvait plus de ce scepticisme existentiel qui le suffoquait. L'équipe médicale a-t-elle vraiment tout fait pour éviter une chose pareille ? S'est-elle donné la peine de lui faire lire du Gabriel Marcel ? », demande Claude, le père du défunt. « Son Dasein a-t-il été assez surveillé ? Des dysfonctionnements se sont-ils produits ? »
Des doutes entretenus par une terrible coïncidence : la semaine précédente, le lundi 20 mai, dans la même chambre, un autre patient, 46 ans également, se donnait la mort en s'étranglant avec un lacet. (Le Républicain lorrain, 8 juin 2013)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Alceste
Comment le type du misanthrope s'est-il présenté au génie de Molière ? D'après Gragerfis (Journal d'un cénobite mondain), cette pièce est « l'écho de l'indignation, du dédain, de l'amertume qui éclatent au sein d'une âme honnête et élevée devant le spectacle éternellement vomitif que lui présente le monde ».
Le suicidé philosophique éprouve la même indignation, le même dédain, la même amertume, mais il se tourne ordinairement vers le taupicide ou le colt Frontier pour signifier son exécration. N'est pas dramaturge qui veut !
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Rationalisme éhonté de Bergamotte
Personnage assez mineur des Sept Boules de cristal, le professeur Bergamotte apparaît comme l'incarnation de l'« homme de la Nature et de la Vérité » dans toute sa sinistre et suffisante vacuité. Non content de profaner, avec ses grosses pattes de « savant », les tombeaux sacrés des fils du Soleil, il s'escrime à désagréger l'Un plotinien par l'« analyse ». Et sa tonitruante hilarité — HA - HA - HA - HA -HA ! —, déclenchée par la frayeur de Milou devant la momie de Rascar Capac, n'est certainement pas faite pour nous le rendre plus sympathique.
Cet homme, qui n'a pas été visité par l'idée du Rien, personnifie les structures empaillées de la raison pure.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Replant de chou
Vers la soixantaine, il n'est pas rare que l'étant existant soit hanté par l'inéluctabilité de la vieillesse, ne supporte plus l'asthme sévère de la mégère à qui il a malencontreusement lié son existence, et se considère moralement détruit par l'haeccéité. Il décide qu'il ne peut plus continuer à assister ainsi, les bras croisés, à sa propre agonie.
L'infatigable polygraphe autrichien Stefan Zweig connut ces tribulations et, pour essayer de remonter la pente, rendit visite à Georges Bernanos, installé à Barbacena, qui tenta en vain de le requinquer. Finalement, le 22 février 1942, après avoir fait ses adieux et mis ses affaires en ordre — il laisse un mot concernant son chien, qu'il confie à des amis —, Stefan Zweig se donne la mort en s'empoisonnant au véronal, en compagnie de sa némésis, Lotte.
Selon Gragerfis, au Brésil, l'écrivain se trouvait « comme un poisson jeté sur l'herbe et cherchant la rivière, ou comme un replant de chou dont les racines pendent, attendant un sol ferme et nourricier : le Rien. »
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Contrepet
Les personnages de roman sont parfois les doubles de leur auteur, mais ce n'est pas une règle absolue. Ainsi, Hugo avait l'entrain de Javert, tandis que Flaubert n'a jamais été sosie d'Homais.
(Théasar du Jin, Journal ontologique critique)
Succédané
« Un fébrifuge !... répondit l'ingénieur. Nous n'avons ni quinquina, ni sulfate de quinine ! — Non, dit Gédéon Spilett, mais il y a des saules sur le bord du lac, et l'écorce de saule peut quelquefois remplacer la quinine [...] L'écorce de saule, en effet, a été justement considérée comme un succédané du quinquina. » (Jules Verne, L'île mystérieuse, 1874, p. 507)
De même, selon Dioscoride, l'idée du Rien serait un excellent succédané de... tout ce que vous voulez, à vrai dire.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Sangle rembourrée
Le calculeux dont la vessie hypertendue se refuse à recevoir du liquide, et à qui tout mouvement risque d'être funeste, n'envisage la lithotomie qu'avec une indicible horreur et ne saurait partager la sécurité de M. Heurteloup et la confiance entière qu'il a dans la sangle rembourrée.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
dimanche 8 juillet 2018
Immobilisme
« Même le cycéon se décompose s'il n'est pas remué », affirme Héraclite dans l'un des fragments de son ouvrage Sur la nature.
Semblable en cela au cycéon, le Moi paraît se rabougrir et se décomposer dans l'inaction tandis que le mouvement lui fait « reprendre du poil de la bête ». Ceci explique la prédilection qu'a de tout temps montré l'homme du nihil pour l'inertie.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
La peau du personnage (Raymond Carver)
Tout en roulant, il regardait les passants aux bras chargés de paquets qui se hâtaient le long des trottoirs. Il leva les yeux vers le ciel gris plein de flocons tourbillonnants. Sur les façades des buildings, la neige s'était amoncelée au creux des alvéoles et au bord des fenêtres. Il parvint à la hauteur de chez Voyles. C'était un petit bar qui occupait un angle de rue, à côté d'une chemiserie. Il se gara dans l'allée de derrière et pénétra dans la salle. Il s'installa d'abord au comptoir, ensuite il prit son verre et alla s'asseoir à une petite table près de la porte.
Paula, en entrant, lui souhaita un joyeux Noël. Il se leva, l'embrassa sur la joue et tira une chaise pour la faire asseoir.
— Scotch ? questionna-t-il.
— Scotch, répondit Paula et, se tournant vers la serveuse qui s'approchait pour prendre sa commande, elle précisa : un scotch, avec des glaçons.
Sur quoi, elle s'empara du verre de Myers et le vida.
— Vous m'en donnerez un autre aussi, dit Myers à la serveuse, et quand elle se fut éloignée, il ajouta : je n'aime pas cet endroit.
— Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il a ? dit Paula. On y vient tout le temps.
— Je ne l'aime pas, c'est tout. Il fait partie de la réalité empirique, et comme tel, ne se conçoit pas phénoménalement ou comme le corrélat d'une intuition. Il n'a aucun caractère spécifique d'immanence à la conscience mais, si tu veux mon avis, constitue plutôt une forme d'en soi. Or je suis convaincu que l'ordre des contenus de conscience dans l'espace et dans le temps est le moyen par lequel nous apprenons à déterminer l'ordre transcendant des choses qui se trouvent au-delà de la conscience. Buvons nos scotchs et changeons de crèmerie.
— Comme tu voudras, dit Paula.
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Imitation de Gilles Garnier
Laisser croître sa barbe et ses ongles, courir les campagnes pendant la nuit en poussant des hurlements, franchir les fossés à quatre pattes, étrangler des séries de jeunes filles et les dévorer à belles dents... Ah quel délice ! (Les trente-trois délices de Robert Férillet, Traduction de Simon Leys)
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Réduction phénoménologique
« Il s'agit d'un jeune homme de dix-huit ans, adonné à des pratiques excessives de masturbation. Après des fatigues somatiques excessives, se trouvant plus particulièrement déprimé, et sentant en lui une impulsion à faire quelque chose, il ouvre un volume de Husserl et y lit ces mots : "La réduction phénoménologique est la méthode universelle et radicale par laquelle je me saisis comme Moi pur, avec la vie de conscience pure qui m'est propre, vie dans et par laquelle le monde objectif tout entier existe pour moi, tel justement qu'il existe pour moi." Sur-le-champ il se tranche la verge à la racine et s'occupe d'arrêter le sang. L'hémorragie n'eut pas de suite. » (Adam James, The Journal of Mental Science, juillet 1883)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Lapins de Fibonacci
Dans son ouvrage Liber abaci publié en 1202, le mathématicien Leonardo Fibonacci pose une devinette concernant la croissance d'une population de lapins : « Un homme met un couple de lapins dans un lieu isolé de tous les côtés par un mur. Combien de couples obtient-on en un an si chaque couple engendre tous les mois un nouveau couple à compter du troisième mois de son existence ? »
Un très grand nombre, à l'évidence. Il est aisé de s'imaginer la puanteur qui se dégage d'un tel conglomérat, « où pullule une vermine que la ferveur bouddhique des Kalmouks ne leur permet point d'exterminer ». Il est tout aussi aisé de se figurer l'horreur qu'en conçoit l'homme du nihil pour qui la « tyrannie de la face humaine » n'est pas un vain mot — et lapin ou homme, pour lui, c'est tout un.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Envoûté
Atteint de léthargie existentielle après avoir été frappé par l'idée du Rien, l'homme du nihil n'est pas sans rappeler ces savants de l'expédition Sanders-Hardmuth sur lesquels s'est abattue l'épouvantable malédiction de Rascar Capac.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Cour d'assises (Georges Simenon)
Pour les autres, pour tous ceux qui étaient là, hormis Petit Louis, il n'y avait rien d'exceptionnel au ciel ou sur la terre, rien qu'une heure enluminée comme elles le sont le soir au Lavandou, avec le calme qui tombe soudain du ciel refroidi, figeant les objets et les sons, un souvenir assez pittoresque, en somme, à conserver parmi les cartes postales et les coquillages.
Ce qu'il faisait bon vivre !
Au bas de la rue en pente, devant le port, la place ombragée avait gardé sa décoration du 14 juillet et les palmes, dans le soleil couchant, étaient d'un vert somptueux, les drapeaux pendaient, comme peints sur une toile de fond.
Personne ne se doutait que cette heure-là, avec le rouge qui avait déjà gagné la moitié du ciel, le bleu qui tournait au vert, les reflets qui devenaient de plus en plus larges sur l'eau de la baie, avec les sons qui éclataient soudain et se mouraient encore plus vite, surpris de leur incongruité, personne ne se doutait que cette heure quelconque qui paraissait être à tout le monde, était l'heure de Petit Louis et que le reste, autour de lui, n'était que figuration.
Sur la plage, autour du casino et du plongeoir, des retardataires restaient allongés sur la sable et des mamans s'en revenaient sans se presser, les seins laiteux, les cuisses veinées de bleu, en tiraillant des enfants en maillot rouge ou vert.
Parfois, une auto descendait la rue et c'était un brusque fracas de portière, puis des silhouettes blanches qui allaient rejoindre d'autres silhouettes blanches groupées autour des tables de la Potinière.
Les yeux de Petit Louis riaient, rien que les yeux, comme il arrive aux moments heureux de l'existence, alors qu'on peut tout tenter avec la certitude de réussir. Après bientôt vingt ans d'efforts acharnés, pendant lesquels il avait ingurgité des concepts quasi quotidiennement, Petit Louis venait de dépasser à la fois la métaphysique de la subjectivité et le dernier moment spéculatif hégélien d'identification du réel avec le rationnel. Il était comblé, mais se sentait complètement lessivé.
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Réaction ambivalente
Un sentiment très particulier s'empare de l'homme du nihil lorsqu'il se trouve en présence du « monstre bipède » — le fameux « autrui » du philosophe Levinas — et qu'il le surprend — ce qui n'est pas très difficile — en flagrant délit de sauvagerie.
C'est un sentiment d'horreur, sans doute, ou plutôt de dégoût, car la bestialité primitive, vue de près, est d'une prosaïque laideur ; c'est en même temps une inquiétude sourde : ces sauvages brutaux et féroces, ne sont-ils pas des cousins éloignés de son propre Moi ? Et il rougit d'une parenté, même lointaine, avec ces êtres vils et mal dégrossis.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Un vil insecte
Le Moi possède avec la mouche scatophage du fumier plusieurs points communs : le bourdonnement, l'indiscrétion, l'omniprésence, la saleté morale, pour n'en citer que quelques-uns.
Par surcroît, ces mouches paraissent avoir, comme le Moi, une relation plus ou moins privilégiée avec les excréments. Certaines s'en nourrissent, comme celles de la famille des Scathophagidæ, mais la plupart se contentent d'y naître, et dans ce cas ce sont les larves qui s'en nourrissent.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
samedi 7 juillet 2018
Congélation du Moi
Un drame insolite s'est produit à Sigean dans la soirée du 7 août : un livreur de Perpignan s'est suicidé en s'enfermant dans un congélateur. Selon les premiers éléments, sa femme voulait se tuer avec lui et est entrée également dans l'appareil, avant de changer d'avis et d'en sortir pour prévenir les secours.
À l'arrivée de ces derniers, l'homme, âgé d'une quarantaine d'années, était déjà mort, violemment réfrigéré par l'idée du Rien qui soufflait dans son « conscient intérieur » depuis qu'il avait pris la décision de se détruire. Le congélateur ne fonctionnait même pas ! (La Semaine du Roussillon, 10 août 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Poulet et homicide de soi-même
Lorsqu'on lui demande s'il préfère le chicken biryani, le chicken tikka ou le chicken vindaloo, le suicidé philosophique ne comprend pas très bien ce qu'on lui veut, car aucun de ces mets à base de poulet n'est, à sa connaissance, susceptible de mettre fin aux douleurs engendrées par l'haeccéité (contrairement, par exemple, à un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe).
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
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