Cumulard

 

Il existe, d'après Pinel, quatre espèces particulières d'égarement, indiquées d'une manière générique par le terme d'aliénation mentale ou folie. Savoir : la manie, la mélancolie, la démence et l'idiotie. Trois sur quatre, ce n'est pas si mal... Mais la démence... non, il ne faut pas pousser.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Un roi de la litote

 

Quand le plasticien Christo n'aimait pas trop quelque chose, il disait que cette chose ne l'enthousiasmait pas.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Erreur sur le pruneau

 

Dioscoride ne chie pas la honte. Il prétend que le pruneau — la « prune de Damas desséchée » — constipe, alors qu'il est notoirement laxatif. La gênance, le gusse ! De se tromper comme ça !

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Sagesse des Anciens

 

Les Anciens pensaient que le dix-septième jour de la lune était très heureux pour planter la vigne et pour dompter les bœufs. Peut-être pas tous les Anciens, mais quelques Anciens.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Origines et usage philosophique du bélier

 

Vitruve affirme que le bélier fut imaginé par les Carthaginois au siège de Gades. Il fut, par la suite, perfectionné par Cétras de Chalcédoine ; enfin, au siège de Byzance, par Polyde le Thessalien, qui servait sous les ordres de Philippe, roi de Macédoine et père d'Alexandre. Chez les Grecs, les péripatéticiens se servaient couramment d'un bélier à rouleaux pour ébranler les concepts de leurs adversaires.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Joie de savoir

Le plus rusé des mollusques, selon Aristote, est la seiche. Pourquoi ? Parce qu'en jetant son encre, elle se rend invisible et en profite pour saisir de gros poissons (et même des muges). Elle est mille fois plus ficelle que le polype et le calmar, qui ne crachent leur encre que quand ils ont peur. Savoir de telles choses embellit la vie. On se féliciterait presque d'exister.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Crise de solipsisme

 

L'historien latin Végèce dit que le flux et le reflux sont une sorte de respiration de la mer. Ce n'est pas mal trouvé, mais a-t-il seulement existé, cet historien Végèce ? Ne venons-nous pas de l'inventer, lui et tout le saint-frusquin ? 

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Gros genoux des hédonistes

 

Antisthène le cynique proclamait qu'il préférait perdre la raison plutôt que de ressentir un plaisir. « Le plaisir, c'est pour les caves », ajoutait-il. Et il faut avouer que les « hédonistes » sont particulièrement énervants, avec leurs gros genoux.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Glorieuse incertitude du sport de vivre

 

On ne sait même pas si Gélase de Cyzique était de Cyzique ou de Césarée, alors savoir ce qu'on va faire dans un quart d'heure...

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Vin tragique

 

Gorgias prétend qu'Eschyle faisait ses tragédies tout à fait ivre. Pour certaines pièces particulièrement difficiles, il aurait même descendu plusieurs « cubis ». Il avait, selon Gorgias, « le vin tragique ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Désert de Gobi de l'existence

 

À une personne « nihilique », la vie paraît une steppe inhospitalière parsemée de rocs retors et de piquants. S'il y avait, en plus, des chameaux de Bactriane et des yaks, cela ressemblerait tout à fait au désert de Gobi, cet espace désespérant dont Shelley déjà disait l'oppressante mélancolie.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Naufrage léopardien

 

Parlant de l'infini de l'espace et du temps, Leopardi confesse que dans tant d'immensité sa pensée sombre, et que s'abîmer lui est doux en cette mer. Comme de toute façon il n'avait pas de « bombard », il était bien obligé de faire contre mauvaise fortune bon cœur.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Osiris et Jean-René

 

Les Égyptiens, qui voyaient le bien et le mal régner également dans le monde, et qui ne pouvaient concevoir qu'un être essentiellement bon eût pu permettre le mal, encore moins en être l'auteur, furent les premiers qui inventèrent deux principes, l'un bon, et l'autre mauvais. Ils désignèrent le bon principe sous le nom d'Osiris, et le mauvais sous le nom de Jean-René.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Technique de Spinoza

 

Quand des témoins de Jéhovah ou des vendeurs d'aspirateurs venaient frapper chez lui, Spinoza, pour s'en débarrasser, leur disait que l'intelligence et la volonté de Dieu ressemblent aussi peu à l'intelligence et à la volonté de l'homme que la constellation du Chien au chien, animal aboyant. En général, ça marchait. Les fâcheux déguerpissaient en marmonnant : « Il est trop con, ce mec-là. »

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Diététique de Maximin

 

Capitolin raconte que l'empereur Maximin buvait souvent dans une journée une amphore de vin tenant à peu près vingt-huit pintes. Il ajoute qu'ensuite, Maximin était « saoul comme un cochon » et faisait « un barouf à tout casser ». Et ce n'est pas tout, il trouvait encore de la place pour quarante livres de viande, au besoin pour soixante. Par contre, il dédaignait les légumes.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Charomancie

 

Au dire de Spartien, l'empereur Hadrien augurait quelquefois de l'avenir par le premier vers qu'il rencontrait à l'ouverture des poésies de Virgile. Un jour, pour changer, il essaya avec du René Char et il tomba sur : « Vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir. » Il ne put dire que : « Merde alors ! Il n'est pas clair, ce gars-là. Achever un souvenir ? Comment ça, achever un souvenir ? »

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Un exemple à ne pas suivre : le papion

 

Le philosophe néerlandais Cornélius de Pauw dit que les orangs-outans savent se tenir et qu'ils ne copient jamais « la détestable lubricité du papion ». Alors que chez les humains, en revanche, c'est terrible à dire, la femme copie souvent « la détestable lubricité du papion ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Panacée

 

Si l'on en croit certaines personnes, l'ail est une « panacée universelle », qui prévient ou guérit tous les maux. Il faudrait voir ce que ça donne contre la poésie de René Char. Si ça ne marche pas, c'est de la blague.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Résolution

 

C'est décidé : nous allons traverser notre siècle en marginal et en solitaire, exactement comme l'a fait Varèse (selon le mot de Pierre Boulez). Et advienne que pourra.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Du sérieux

 

Quand on souffre d'une douleur thoracique d'origine inconnue, on n'a pas tellement envie de donner dans le genre poétique et de s'exclamer « Ô superbe sauvagerie de l'incurable hypocondrie ! » — parce que cette fois, ça a tout l'air d'être du sérieux.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Prose métrique et homicide de soi-même

 

Théodore le Syncelle emploie avec prédilection la clausule didactylique, cette combinaison fixe de longues et de brèves qu'on rencontre aussi en abondance chez d'autres auteurs byzantins tels que Théophylacte Simocatès ou Jean l'Aumônier. Et après tout, pourquoi pas : tout n'est-il pas louable, en un sens ? Mais pour un désespéré, la clausule didactylique n'est d'aucune utilité. Tandis que le taupicide !

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Exister, pour qui, pour quoi

 

Les personnes qui vous prêtent — on se demande pourquoi — une existence ne sont que des épiphénomènes transitoires. Eux-mêmes, d'existence, ils n'en ont guère. Ils sont des squelettes en devenir. Alors ce prêt ressemble à une sinistre plaisanterie. Il vaut mieux n'avoir d'existence pour personne, si c'est comme ça.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Fatalitas

 

Dès l'instant où l'homme réalise ce qu'est la vie, il est poursuivi par la pensée de se détruire. Avec cette pensée constamment à ses trousses, il se sent tel Chéri-Bibi traqué par l'inspecteur Costaud.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Comme tout

 

C'est, selon Hermogène, dans la matière qu'on trouve la cause de tous les maux. Toutes les sensations qui nous affligent, les passions qui nous tyrannisent, ont, dit-il, leur source dans la matière. Et il est de fait que la matière est du genre pénible. Elle joue un rôle central dans les panaris et dans une foultitude de phénomènes malplaisants tels que la fiente d'oiseau qui vous tombe à l'improviste sur le crâne ou sur la casquette. Mais que peut-on y faire ? On ne peut rien y faire. C'est comme tout. Oui, c'est comme tout...

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Une, deux

 

Nous nous dirigeons vers la mort à petites foulées. Heidegger ne dit pas « à petites foulées » quand il parle de son Dasein qui « poulope vers la mort », mais l'idée générale est la même.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Où sont les bêtes d'antan ?

Où sont les éléphants qui, au dire de Solin, abondaient dans la Mauritanie Tingitane ? Où, les hippopotames de la Basse-Égypte, les boas de la Calabre, les lions, les aurochs, les ours de la Macédoine, les castors, etc. ? Ils ont disparu sans laisser de trace. Un moment ils sont là, le moment d'après ils n'y sont plus. C'est plus fort que de jouer au bouchon !

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

De la certitude

 

Démocrite fait de la terre un large disque creusé dans son milieu. Ses amis lui disaient qu'il « yoyotait de la cafetière » mais il affirmait en être sûr à quatre-vingt-dix-neuf pour cent.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Ricimer dépassé

 

La femme, on ne saurait trop s'en méfier. À première vue, elle paraît touchante et innocente, avec ses « biberons Robert » et son « fondement de l'historialité du Dasein » ; mais attendez un peu et vous verrez qu'elle dépasse en perfidie Ricimer lui-même (ce Ricimer qui fit déposer et massacrer Majorien en 461).

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Embrouillamini

 

La vie est une histoire pleine de bruit et de fureur, tellement sans queue ni tête qu'on la dirait contée par un carabe — un carabe « embrouillé ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)