Langueur monotone de l'être

 

Il n'y a pas que les violons de l'automne qui blessent notre cœur d'une langueur monotone, il y a aussi... l'être ! N'est-il pas le cas que le fait d'exister nous laisse tout suffocants et blêmes quand sonne l'heure ? Et puis... on transpire faut voir comme. On pue des pieds.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Oblomovisme

 

Ne rien faire, c'est perdre son temps, il n'y a pas de doute là-dessus, et l'on sait que le temps est la denrée précieuse par excellence. Mais faire quelque chose est encore pis : on perd son temps et en plus on fait quelque chose ; on participe ! La gênance !

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Justice pour Adamov !

 

Le dramaturge Adamov est injustement oublié. Pourquoi joue-t-on Beckett et Ionesco mais pas Adamov ? C'est systémique ou quoi ?

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Stratégie risquée

 

Émile Cioran a joué gros jeu en appelant le démiurge un mauvais démiurge. S'il y a un au-delà, un jugement dernier, etc., le gars Mimile va entendre parler du pays. Et un autre qui risque de se faire appeler Arthur, c'est Adamov, avec son théâtre de l'absurde. Parce que ça nous étonnerait que le démiurge apprécie beaucoup qu'on tourne ainsi en ridicule sa création.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Réciper

 

L'expression « quadrige de Récipon » ne vient pas, comme on pourrait le penser, du verbe réciper (qui n'existe pas), mais de Georges Récipon, sculpteur. Ce sidi, un récipé est une ordonnance médicale.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Mouton à cinq pattes

 

Idéalement, un éditeur devrait être verni comme Françoise — car ce métier requiert de la chance — et paulant comme Jean — car il faut donner confiance aux auteurs. Une combinaison difficile à réaliser !

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Ultimatum nietzschéen

 

« Tu sais ce qu'a dit Nietzsche ? Connais ou meurs !

— T'en as de bonnes, toi. »

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Dédoublement superflu

 

Le « je » de Rimbaud était peut-être un autre, c'est possible, mais le problème est que les deux étaient tout aussi cons l'un que l'autre. 

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Laplacien

Ceux qui prétendent évaluer la concavité d'un champ scalaire en un point donné sans calculer la divergence du gradient en ce point — autrement dit le laplacien —, il faut leur pardonner car comme l'a très bien dit Jésus, ils ne savent pas ce qu'ils font.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Preuve par Bechet

 

On a longtemps cru que les personnes de couleur étaient insensibles au Bien et au Beau. Le poëte Jules Lemaître n'a-t-il pas écrit : « Chers primitifs, ô Bamboulas, benjamins de la terre antique, grands innocents qui n'avez pas de morale ni d'esthétique » ? Mais aujourdhui, on ne le croit plus ; tout simplement parce que trop d'indices contredisent ce postulat (à commencer par le clarinettiste Sidney Bechet).

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Inégibilité

 

Celui que la justice a privé du droit d'être égible, on dit qu'il est frappé d'inégibilité.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Un mécano hors pair

 

Si Jules Superbielle avait rencontré Marguerite Urcelar alors que celle-ci était victime d'une fuite d'huile moteur, il aurait pu lui changer son joint spi. La romancière eût ainsi économisé de deux cents à deux cent cinquante euros, ce qui n'est quand même pas mal.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Hommes qui marchent

 

Un jour que le sculpteur Giacometti coulait un bronze d'Homme qui marche — un de plus —, il fut pris d'un soudain dégoût pour les « Hommes qui marchent ». C'était devenu un vrai poncif. Ça ne voulait plus rien dire. Aux chiottes, les « Hommes qui marchent » ! Aux doubles-vécés ! Du balai ! — Mais il finit tout de même de couler son bronze car il fallait bien vivre...

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Camping sauvage aux Tuileries

 

« Comme nous n'avions pas trouvé d'endroit à Paris où planter légalement notre tente, c'est dans le Jardin des Tuileries, non loin de la grande roue de la Concorde, que moi et Marcel campions. » (G. Bruno, Le Tour de la France par deux enfants, Belin, 1877)

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Couper court

 

Si quelqu'un vous demande : « Alors, Martin ? Toujours les valises ? », le plus simple est de répondre : « Oui, toujours. »

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Étant existant à la bolognaise

 

Un jour, Elfriede, l'épouse de Heidegger, sans doute préoccupée par quelque souci domestique, confondit le Dasein avec les lasagnes — et le philosophe en fut fort dépité car il n'aimait pas tellement la cuisine italienne.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Fais le Bororo, Claude

 

À la fin de chaque banquet de la Société française d'ethnologie, André Leroi-Gourhan demandait à Claude Lévi-Strauss de « faire le Bororo » pour divertir les convives. Lévi-Strauss, qui était bonne pâte malgré ses airs pincés, s'exécutait sans se faire prier.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Traversée de l'existence

 

On passe sa vie à trimballer des valoches de cochon de la rue Poliveau à la rue Lepic pour s'apercevoir à la fin que le cochon, c'est soi-même.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Désespoir

 

Entre le cri de Jésus « Eli, Eli, lama sabachthani » et celui de Grandgil « Marchandot, Marchandot, debout là-dedans », il y a une différence de degré mais non de nature.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Compensation

 

Si quelqu'un a morflé dans l'existence, c'est bien le penseur paradoxal Frédéric Nietzsche. À trente-cinq ans, les carottes étaient déjà pratiquement cuites pour lui. Il a assez morflé pour avoir le droit de nous faire chier avec son Surhomme, son Éternel retour et surtout son Zarathoustra.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Un piège diabolique

 

En vous attirant dans le conjungo au moyen de sa « mijole », de ses « biberons Robert » et de son « fondement de l'historialité du Dasein », la femme n'a qu'un seul but : vous détruire.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Controverse de Davos

 

Le 27 mars 1929, à Davos, Martin Heidegger rejoint Ernst Cassirer au Steak & Egg Kitchen où ils tiennent leur « breakfast of infamy ». Cassirer n'aime pas ses œufs et profère des gros mots. Heidegger comprend alors que le schématisme kantien, à l'œuvre dans la construction cassirérienne du sujet, s'apparente à un système fermé sur lui-même, dont la clôture signe la finitude.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Logique inductive

 

Dans la controverse entre Mill et Whewell sur la connaissance scientifique, nous prenons le parti de Mill. En effet, Whewell donne par trop l'impression d'être un « goddam rascal » (un pot de pisse certifié) avec ses arguments « à la mords-nous le chose ».

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Eye of the beholder

 

Il y a de fortes chances pour que le Brahmapoutre soit dans l'oeil de l'observateur, si ce dernier se trouve à Sivasagar, dans le nord-est de l'Inde. En tout cas, s'il a un fleuve dans son champ de vision, ça ne peut être ni le Tigre ni l'Euphrate.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Déclin du courage et de tout

 

Dans le temps, ce n'était pas pareil. Dans le temps, il fallait qu'un bâton de chaise fût bien fait. Tandis que maintenant... Faut voir ça... Tout est cochonné !

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Écossage yvelinois

 

Penser, on peut dire ce qu'on veut, ce n'est pas une occupation. Alors qu'écosser des petits pois à Poissy (ou dans une autre localité des Yvelines), ça l'est. Ou même dans le Val-de-Marne, à Boissy-Saint-Léger par exemple.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Changement d'aiguillage

 

Jules Superbielle, avant d'embrasser une carrière de poëte, avait suivi une formation en mécanique auto. Il pensait s'établir comme garagiste à Montevideo. Le succès pharamineux de son poëme Plein ciel lui fit changer d'avis.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Conseil aux ossements

 

Écoutez, ossements arides, écoutez la voix du Seigneur ! Suivez le conseil d'Ézéchiel ! Vous allez voir, ça va vous faire du bien ! To nie jest żart !

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Un auteur pas lassant

 

Amoureux comme Barrès de la terre et des morts, Péguy s'était acheté un petit lopin du côté du Vésinet. Mais il n'eut pas le temps d'en profiter car il fut tué lors des premiers jours de la guerre. Il nous a laissé une œuvre magistrale qui nous aide à penser le monde moderne. En plus, ce qui est choucard quand on lit du Péguy, c'est que ce n'est pas lassant.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)