Anxiété de Gégère

 

Dans son ouvrage Des Atomes et des hommes, Louis Leprince-Ringuet raconte que l'inventeur du compteur Gégère, Hans Gégère, « craignait les radicelles gamosépales de son humble mucron nodal ». Cette crainte le rendait mélancolique et faisait qu'il « n'irradiait pas toujours la bonne humeur ».

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Scène du fiacre

 

Dans Madame Bovary, le pharmacien Homais est subjugué par le gros fiacre d'Emma au point d'en perdre le boire et le manger (voir la scène de la fin du premier chapitre de la troisième partie). Ce fiacre est, nous dit Flaubert, « une lourde machine » — ce qui peut expliquer l'émoi du pharmacien.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Chimères

Espérer s'entendre avec une personne du sexe est à peu près aussi réaliste que de vouloir, comme le Mientus de Ferdydurke, fraterniser avec un valet de ferme.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Oblomovisme

 

Rester au lit n'est pas une attitude responsable. On le fait pourtant, mais quand on se réveille, on se dit que ça y est : à être aussi peu productif, on va encore perdre des « points de pibe ».

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Â-ification du réel

 

Mâcon ne se prononce pas Macon mais Mâcon. Aller à Mâcon. Boire du vin de Mâcon. 

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Insoutenable légèreté

 

Il est dans la nature de l'homme de penser, même dans les circonstances les plus tragiques, à des calembours stupides tels que Rudol Fesse ou encore le trou (de mémoire) de Baldur von Schirach. Cette immaturité gombrowiczienne ne plaide pas en sa faveur.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Climax spinozien

 

La légende raconte que chaque fois qu'il atteignait à l'extase conceptuelle, Baruch Spinoza s'écriait : « Surrender, Dorothy ! »

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Aut Cæsar

 

Si l'on ne peut être le créateur du ciel et de la terre, autant n'être rien. Et justement... comme ça se trouve !

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Salut par le concept

 

Spinoza et après lui Gilles Deleuze enseignent aux hommes comment il faut vivre au milieu de cette réalité cauchemardesque dont on ne peut se réveiller : le « truc » est de créer des concepts. Plus on crée de concepts, mieux c'est.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

De l'enthalpie et de sa mesure

 

L'enthalpie est un potentiel thermodynamique qui synthétise en une seule fonction l'énergie interne d'un système et le travail des forces de pression qui s'exercent à sa surface. L'unité de mesure de l'enthalpie est le joule. Si l'on veut évaluer l'enthalpie d'un système, il faut d'abord s'attirer ses bonnes grâces en lui offrant un petit morceau de camembert ; sinon, à cause du principe d'incertitude de Heisenberg et de la dualité onde-corpuscule de la matière, on est sûr de faire chou blanc.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Mehr Transparenz !

L'ontologie se propose de mettre un peu de transparence dans ce margouillis exophtalmique qu'est l'être et, en l'étayant par un appareil compliqué de concepts, espère l'empêcher de se corrompre. Elle poursuit les mêmes objectifs que la loi Sapin deux.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Localisation du Quichotte

 

Cette bourgade de la Manche dont Cervantes ne veut pas se rappeler le nom, il ne fait guère de doute que c'est la ville de Saint-Lô. Où entend-on des expressions telles que « tu parles d'or, ami Sancho » si ce n'est à Saint-Lô (ou dans sa vicinité) ?

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Thermodynamique du Moi

 

Sans se prendre pour un gaz parfait — qui n'a pas ses défauts ? —, on en a le comportement. On obéit aux lois de Boyle-Mariotte, de Gay-Lussac et de Clapeyron. On est constitué de particules qui n'ont entre elles d'autre relation que des chocs parfaitement élastiques. Le réel est notre enceinte adiabatique.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Chez Dufayel

 

« Nous avons plusieurs sortes d'enveloppements. Ceux-là sont humides, comme dans le Brave soldat Chvéïk, mais ceux-ci sont secs ou à l'ail.

— Très bien. J'en voulais justement qui fussent à l'ail. Mettez-m'en une grosse. »

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Zéro

 

Quand on est un zéro absolu, on mesure sa nullité en kelvins et en toute circonstance.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Was man sagen kann

 

Quand Dieu demanda à Ludwig Wittgenstein où il avait planqué l'oseille, le philosophe répondit d'abord qu'il ne pouvait pas le dire, que c'était contre ses principes. Mais devant l'insistance du démiurge, il avoua finalement qu'il avait confié le pacson au « Rouquemoute ».

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Libre arbitre

 

Sans le clinamen d'Épicure, nous serions tous des automates de Vaucanson ; de purs mécanismes : ba, be, bi, bo, bu... Alors qu'avec le clinamen... on fait ce qu'on veut. C'est « aux pommes », comme la peinture d'Eugène Boudin.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Ergo sum

 

Toute philosophie est catastrophique dans la mesure même où elle nourrit l'illusion d'exister. Même chose pour le jardinage.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Spontanéité foucaldienne

 

Michel Foucault était foucaldien comme André Malraux était malrucien : avec aisance, presque sans y penser. La folie, les prisons, la « mort de l'homme »... tout lui venait naturellement. On eût dit qu'il n'avait fait que ça toute sa vie.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Consolation de la philosophie

 

Quand une saloperie de pigecaille défèque sur notre véhicule, souvenons-nous que tout passe, et que bientôt nous entrerons dans ce « royaume muet des os en décomposition » dont parle le poëte.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Bona fide

Il y a des gens qui, comme le poëte Yves Bonnefoy, portent leur sincérité en bandoulière patronymique. Ce sont ceux dont il faut le plus se méfier.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Extermination

 

Il y a des jours où, comme l'écrivain et trompettiste Boris Vian, on voudrait tuer tous les affreux. Si l'on se retient, c'est à grand peine.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Ingwergang

 

Quand le poids de la société devient trop écrasant, les personnes « nihiliques » se sauvent en recourant non pas aux forêts comme le suggère Ernst Jünger mais à l'adjectif zingibéracé, selon une vieille tradition islandaise.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Inconséquence du monstre bipède

 

Dans l'Idiot de Dostoïevski, l'étudiant Hippolyte, quoique nihiliste, croit à l'au-delà, mais à un au-delà inquiétant — ce qui ne l'empêche pas de se suicider. Semblablement, Maurice Blanchot claironne que la littérature est silence, mais cela ne l'empêche pas de « faire le golmon » en écrivant des livres. Le monstre bipède est scandaleusement inconséquent.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Unique et sa propriété

 

L'autrui lévinassien ressemble en tout point à l'Unique de Stirner. Comme ce dernier, il a pour devise : « Rien ne l'emporte sur moi. » Il n'a aucun scrupule à envahir votre espace vital avec ses gros genoux. Quant à sa propriété, c'est celle d'être un céoène.

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Une œuvre sans fracas

 

Que ce soit aux ouataires ou en pleine nature, le « cas » s'élabore dans l'austérité. C'est une œuvre timide, crispée comme celle de Jaccottet sur un fond de silence et d'indéfinissable tristesse. La matière excrémentitielle est « un pays sévère, nullement bariolé ».

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

La mer et la mort

 

Quand la poétesse argentine Alfonsina Storni mit fin à ses jours en se noyant dans l'océan, cela ne surprit personne car il était de notoriété publique que son âme était, premièrement, voilée d'une onctueuse et terrible noirceur, deuxièmement, envahie par deux images obsédantes : la mer et la mort. Il suffisait de lire ses poëmes pour s'en rendre compte. Et puis, à Mar del Plata, elle avait la mer à portée de main, ce n'est pas comme si elle avait habité Argentan (où elle aurait dû se défenestrer, par exemple).

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Culture de l'authentique

 

Comme il était à prévoir et à craindre, l'existentialisme nous exhorte instamment à l'authenticité. Mais on n'arrive déjà pas à être inauthentique de façon convaincante, alors comment on va faire ? Ces existentialistes... ils n'ont que ça à foutre, ces mecs-là ?

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

Esprit partout, justice nulle part

 

Anaxagore voyait dans l'esprit (noûs) l'ordonnateur et la cause de toute chose. De l'esprit, il allait jusqu'à dire que « comme Lucien Rebatet et Pierre-Antoine Cousteau, il est partout ».

 

(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)