« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
vendredi 19 octobre 2018
Vice de conformation
« Chez de nombreux suicidés philosophiques, le Moi est rétréci obliquement, c'est-à-dire dans la direction du diamètre qui croise celui qui, du point de vue de l'ankylose, s'étend à la cavité cotyloïde du côté opposé, tandis que ce dernier diamètre, au contraire, n'est point diminué et offre même, quand le vice de conformation est considérable, plus d'étendue que dans l'état normal. » (Franz Karl Naegele, Des vices de conformation du Moi, et spécialement du rétrécissement oblique, J.-B. Baillière, Paris, 1840)
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Un vrai pastis
Le réel mérite un grave reproche : quoique excellent dans le fond, il manque absolument d'ordre, et la distribution des matières y est on ne peut plus mauvaise, ce qui le rend très difficile à comprendre 1.
1. Heureusement, M. Choron en a donné une nouvelle édition mieux ordonnée et distribuée, à laquelle il a ajouté un traité du contrepoint simple.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Violon tzigane
Otto Weininger affirme que la musique tzigane « touche particulièrement les êtres sensibles et parfois déséquilibrés ». Il cite à l'appui de sa thèse l'un des héros du roman Anna Karénine, Nikolaï, frère de Konstantin Lévine, un ivrogne qui « adorait les Tziganes et les chansons russes ». Est-ce un abus de musique tzigane qui poussera le penseur viennois, le 4 octobre 1903, à mettre fin à ses jours, à l'âge de vingt-trois ans, dans la maison même où Beethoven rendit son dernier souffle ? Nous ne pouvons ici que poser la question.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
jeudi 18 octobre 2018
Modèle de Kolmogorov
Un bon moyen de se familiariser avec le modèle probabiliste de Kolmogorov — qui trouve son fondement, faut-il le rappeler, dans la théorie mathématique de la mesure — est, en quelque sorte, de le construire soi-même, par exemple en s'enfonçant le crâne à la région frontale par une pierre lancée avec violence afin de vérifier statistiquement l'hypothèse d'un rapport intime entre la perte plus ou moins absolue de la parole et l'altération plus ou moins profonde des lobules antérieurs du cerveau.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Dangers de la procrastination
Pour de multiples raisons, il arrive que l'homme du nihil repousse le moment de se supprimer, préférant ignorer sa conscience qui lui commande de quitter sans rouspétance l'indigeste « banquet de la vie ». Différer l'homicide de soi-même est pourtant chose risquée. Bientôt la caducité commence ; la décrépitude la suit : le corps s'affaisse ; les forces des muscles ne sont plus proportionnées les unes aux autres ; la tête chancelle ; la main tremble et n'est plus capable de manier avec assez de précision le revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe... Il est trop tard : les jeux sont faits ; « rien ne va plus ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Pente savonneuse
L'homme du nihil, qui souffre de naissance d'une « fêlure » à la Scott Fitzgerald, tente d'abord de se raccommoder en expérimentant le retrait jusqu'à l'extrême de la sécession. Après quelques années de vagabondage solitaire dans le désert de Gobi de l'existence, il se jette dans une union fichtéenne de l'humain et du divin, qui échoue à son tour. En désespoir de cause, il se tourne alors, soit vers le muscadet, les huîtres et les bigorneaux, soit vers le taupicide, selon que sa nature est épicurienne ou que son tempérament le porte à la mélancolie. Dans les deux cas, il passe aux yeux de l'omnitude pour un « homme perdu ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Noirceur
Dans son poëme Obsession, Baudelaire confesse qu'il « cherche le vide, et le noir, et le nu ». Ceci, à certains égards, ne laisse pas d'être obscur, mais est assurément le sombre aveu d'une sombre tristesse et montre que le poëte partageait quelques penchants avec le suicidé philosophique !
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Un être de cauchemar
« C'est dans les brumes de la froide et austère Allemagne, nous dit Cuvier, qu'on trouve l'idéaliste transcendantal, cet être tellement hideux que l'imagination a peine à concevoir que son image ne soit pas le résultat des divagations d'un fou bien plutôt que la scrupuleuse copie de la nature. On n'a guère de détails sur les habitudes de ce monstre. On sait seulement, par les débris qu'on a retrouvés dans son estomac, qu'il se nourrit de concepts, et qu'il professe — ironie suprême pour une créature qu'on croirait sortie de la célèbre Tentation de Callot — un amour immodéré du beau et du sublime. »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Kikajon
On trouve dans le Livre de Jonas la surprenante narration suivante : « L'Éternel Dieu apprêta un kikajon, et le fit monter au-dessus de Jonas, afin qu'il fût pour ombre sur sa tête, et qu'il le délivrât de son mal. Jonas se réjouit de grande joie à cause du kikajon. Puis Dieu prépara un ver, pour quand l'aube monteroit le lendemain : lequel frappa le kikajon, dont il se sécha.
Et ainsi quand le soleil fut levé, Dieu prépara un vent oriental, qu'on n'apercevoit point, et le soleil frappa sur la tête de Jonas : dont s'évanouissant, il requit pour son âme, qu'il peut mourir, et dit : Meilleure m'est la mort que la vie. Et Dieu dit à Jonas : Est-ce bien fait à toi, que tu te sois ainsi courroucé pour ce kikajon ? Et il répondit : C'est bien fait à moi, que je me sois ainsi courroucé, voire jusqu'à la mort. Et l'Éternel dit : Tu voudrois qu'on eût épargné le kikajon, pour lequel tu n'as point travaillé, ni ne l'as fait croître : car il est venu en une nuit, et en une nuit est péri. Et moi, n'épargnerois-je point Ninive cette grande ville, en laquelle il y a plus de six vingts mille créatures humaines, qui ne savent point ce qu'il y a à dire entre leur main droite et leur main gauche, et aussi plusieurs bêtes ? »
De nombreux érudits ont cherché à percer le mystère de ce kikajon et ont soupçonné tout à tour la coloquinte, la courge, et même le lierre. Mais selon Gragerfis, l'énigmatique kikajon ne serait rien autre chose que... le ricin ! Mais oui !
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Pensée vivante
La pensée libre, vivante, du nihil s'oppose aussi bien à la pensée pétrifiée du préjugé qu'à la catalepsie conceptuelle de la philosophie dogmatique. Elle est vivante en ce qu'elle perçoit la « réalité mouvante de l'instant » et ne peut être sclérosée par le passé — qu'elle observe comme un froid régolite —, ni taraudée par l'incertitude de l'avenir — qu'elle envisage en toute sérénité puisqu'il ne peut lui apporter qu'une infusion éternelle dans le Rien.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
mercredi 17 octobre 2018
Ultime fantaisie
Chef de file des poètes fantaisistes, Paul-Jean Toulet meurt à Paris le 6 septembre 1920.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Périls du froid
Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis mentionne un monument funéraire grec dont l'inscription évoque la mort d'un voyageur une nuit de ribote : « Passant, écoute le conseil d'Orthon de Syracuse. Ne voyage jamais par les nuits d'hiver quand tu es gris. Car tel fut, vois-tu, mon mauvais destin. Au lieu de reposer dans ma patrie je suis couché ici sous la terre étrangère. » — Et il est un fait que la prise d'alcool, comme l'idée du Rien, provoque une vasodilatation périphérique qui diminue la température interne tout en donnant une impression de réchauffement !
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Suicide mallarméen
Un solitaire tacite concert se donne, par l'homicide de soi-même, à l'esprit qui regagne, sur une sonorité moindre, la signification : aucun moyen mental exaltant le Rien ne manquera, raréfié et c'est tout — du fait du taupicide.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Règle numéro 8
En toute chose, il convient de mettre un peu de macération.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Résection du Moi
Lorsque le Moi s'oublie au point de se croire immortel, et gonfle hors de toute mesure, l'art possède les moyens de l'amener à résipiscence : on étrangle, à l'aide d'une corde de violoncelle, la base de cet encombrant fongus, qui s'atrophie alors progressivement, ne tient plus que par un pédicule, se flétrit, et tombe enfin, en délivrant son hôte de l'importunité et du danger de sa présence.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Horror vacui
En 1654, Otto von Guericke porte un coup fatal à l'hypothèse de l'horror vacui qui, supposant que la nature, à l'encontre de l'homme du nihil, déteste le vide, avait été pendant des siècles un écueil pour les philosophes et les savants. Dans la spectaculaire expérience qu'il réalise à la cour de Frédéric Guillaume I er de Brandebourg, il raccorde deux hémisphères de cuivre de 51 centimètres de diamètre (les fameux « hémisphères de Magdebourg ») et ôte l'air de l'intérieur de ceux-ci. Il attache ensuite chacun des hémisphères à un attelage de huit chevaux et montre que les « bourrineaux » sont incapables de les séparer. Il remet l'intérieur des hémisphères à pression atmosphérique, et les hémisphères se séparent facilement !
Pour arriver à un tel résultat, von Guericke s'était inspiré des expériences sur les fluides de Torricelli et de leur interprétation correcte par Blaise Pascal (« le moi est haïssable »).
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Ascètes
Celui qui, dégoûté du margouillis de l'existence, décide de sortir du monde pour vivre seul dans la solitude, près ou loin des villes, n'importe, celui-là devient anachorète. Si, au lieu de vivre seul, il se réunit à plusieurs autres ascètes et embrasse la vie commune, il devient cénobite. Quant à celui qui, impatient de fusionner avec le Rien, se précipite dans un puits busé, celui-là devient... un suicidé philosophique. Mais oui !
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Boudin de Königsberg
5 octobre. — Feuilletant le Magasin pittoresque, je tombe sur l'article suivant : « À Königsberg, en Prusse, les bouchers ont coutume d'offrir aux boulangers, le premier jour de l'an, un énorme boudin, qui est promené, comme notre bœuf gras, par toute la ville. Le boudin de l'année 1558 avait 198 aunes de long ; il était porté par 48 personnes. Celui de 1583, porté par 91 personnes, était long de 596 aunes, et pesait 434 livres. Le plus beau d'entre les bouchers marchait en avant, comme un tambour-major, la tête du boudin venant faire plusieurs tours autour de son cou ; le reste serpentait sur les épaules des autres bouchers qui marchaient trois par trois. » — « Et le boudin de Königsberg, tel un boa monstrueux, étouffera de sa mortelle étreinte tout le vivant... »
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Comme l'homme du nihil !
Joseph-Juste Coquereau, né en 1768 à Daon, au sud de Château-Gontier. « Ses excès et ses cruautés compromirent la cause qu'il faisait profession de défendre », selon Descépeaux.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Concert
« Un Anglais séjournant à Ostende manda plusieurs musiciens pour un concert qu'il voulait faire exécuter chez lui. Ils arrivèrent, et, comme ils se préparaient à jouer leur musique ordinaire, l'Anglais tira de son portefeuille un chef d'œuvre, à ce qu'il disait, et le plaça sur les pupitres ; c'était une messe des morts d'un fameux maître d'Italie. Les symphonistes, les chanteurs, s'efforcèrent de mettre dans leur exécution tout le sombre, tout le pathétique, toute la tristesse que ce genre exige ; ils y réussirent si bien qu'au dernier requiem le dilettante se brûla la cervelle d'un coup de pistolet. »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
mardi 16 octobre 2018
Philosophes fétides
« Le philosophe fétide diffère essentiellement du philosophe ordinaire par l'odeur vive et désagréable qu'il répand par le choc et souvent même par le simple frottement. Cette odeur a quelque analogie avec celle des gaz hydrogènes sulfuré et carburé, et dans les philosophes bien fétides, elle se conserve plus d'une minute après le choc. » (Pierre Marie Sébastien Bigot de Morogues, Notice sur les philosophes fétides des environs de Nantes, in Annales du Muséum national d'histoire naturelle, vol. 9, Paris, Tourneisen, 1807)
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
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