Vous
allez clamecer, vous allez devoir faire vos adieux « au monde, à la mer,
aux forêts » (pour parler comme Rosemonde Gérard), il va falloir « être
très courageux » (pour parler comme votre médecin) et TOUT LE MONDE S'EN
FOUT !!! Ça ne les concerne pas, les salops ! Tu parles d'une humanité !
Humanité de merde, oui ! Salops ! Pots de pisse ! Scélérats ! Euh...
Le
réel, la vie, l'autrui du philosophe Levinas... Toutes ces
absurdités... Mais qu'est-ce qu'on peut faire ? Pas grand chose. Alors
on rêve de vengeance, on tire des plans sur la comète, on vit dans ses
phantasmes. « Dès qu'il aura le dos tourné, le dépecer, le Grand Tout ! »
S'il
veut échapper à l'emprise tentaculaire de l'État, l'étant existant n'a
d'autre choix que de vivre en autarcie et de se nourrir de betteraves
qu'il a lui-même cultivées. Notons par parenthèse que, comme l'homme, le
jus de betterave se prête idéalement à la défécation.
La
matière excrémentitielle est l'alpha et l'oméga de la vie humaine. Tout
en procède et tout y ramène. Par quelque bout qu'on le prenne, l'homme
est un être foncièrement fécal. D'ailleurs, il cocotte « grave » — ce
qu'on peut constater, par exemple, en prenant les « transports en
commun ».
Dire
à une femme que « rien n'est » peut l'émoustiller jusqu'à un certain
point, mais lui proposer un petit tour dans une jonque l'enivrera au
centuple. Qui pourrait résister à une telle promesse d'excursion ? À la
perspective de partager une assiette de pilchards au milieu de nulle
part ?
L'introspection
nihilique a ceci de remarquable qu'elle subsume les symbioses et les
osmoses. C'est ce qui la rend supérieure aux philosophies de l'Un, du
vrai, du bien, de la liberté, de la durée et de l'existence (coupée de
l'essence).
Il
n'est pas rare qu'arrivé à un certain point de son existence, le Dasein
fasse un douloureux retour sur soi-même et se dise : « Alors quoi ?
C'est ainsi que l'on doit vivre ? Dans ce mélange acrobatique de vide
crasse et de trop-plein nectarifère ? Ce n'est pas possible, comme même ! » (il ne sait pas qu'on dit « quand même »). Heureusement, Heidegger et
d'autres amis de la sagesse sont là qui lui répondent : « Si, si,
tuouaouar, c'est possible. »
« Dans
la vie tout est précaire, rien ne dure, le bonheur surtout. Un moment
on est en haut, et le moment d'après... tout en bas. » (Marcel Campion,
La Grande roue du destin)
Au
chapitre six des Chants de Maldoror, Lautréamont dit de Mervyn qu'il
est « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une
machine à coudre et d'un parapluie ». Et les surréalistes aussitôt de
s'extasier : « Oh là là ! C'est inc'oyable ! My God, that's amazing ! »
Mais pourquoi une machine à coudre ? Et pourquoi un parapluie ? Pourquoi
pas plutôt une... tête de chien couché ? Tant qu'à donner dans le
grinçant ?
Schopenhauer
ne ratait jamais une occasion de se payer la fiole de Hegel. Ainsi, il
dit à un endroit de son Monde comme volontéetc. que chercher un dessein
dans l'histoire est comme chercher une tête de chien couché ou un
risotto aux asperges (ein Risotto mit Spargel) dans les nuages : on les y
trouve parce qu'on les cherche — mais à part ça...
Dans
un de ses dialogues avec Osvaldo Ferrari, Jorge Luis Borges indique
avoir fait la connaissance de Güiraldes par l'intermédiaire de Brandán
Caraffa — et ce nom fait aussitôt surgir à la pensée l'image d'un
pichet ou d'un broc.
Certains
naufragés perdus dans le désert de Gobi de l'existence voient la femme — avec sa « mijole » et ses « biberons Robert » — comme une sorte de « point d'eau ontologique » où il vont pouvoir se désaltérer et même —
pourquoi pas — se « ressourcer ». Erreur ! Ça ne sert à rien ! C'est un
leurre ! Car ça coule par les côtés !
Si
le nihilique revient jamais danser chez Temporel, il fera attention de
ne pas se fracturer le bassin ou le genou. Parce que le réel — et
Temporel en fait partie —, on sait ce que c'est : on vire, on volte,
et on a vite fait de se fracturer le bassin ou le genou !
Pour
rendre la « réalité empirique » à peu près comestible, le nihilique
l'assaisonne avec une pincée de « Grand Rien ». Mais pour le rôti de porc,
il juge plus convenable d'employer du sel, de la poudre d'ail, de la
poudre d'oignon, du paprika, de l'origan séché, de la moutarde en poudre
et du poivre moulu.
C'est
étrange ! Il semble qu'il y ait des gens qui apprécient réellement et
sincèrement la compagnie de leurs semblables. Ils la recherchent, même
sans y être obligés. N'est-ce pas là ce qu'on appelle un « truc de ouf » ?
Il
faudrait voir à ne pas trop sous-estimer le nihilique. Lui aussi a été
un poisson resplendissant ; lui aussi a été un pont jeté sur
soixante-dix fleuves ; lui aussi a été l'écume de l'eau ; lui aussi a
été un mot dans un livre. Alors attention, hein !
Pour
justifier sa non-participation à l'existence et aux réunions festives
qui la ponctuent, le nihilique dit que le goût qu'il prenait aux êtres « a probablement été égaré parmi des papiers de famille » et il ajoute —
mais on ne voit pas bien le rapport — que « la lucidité a fait de lui
un martyr ».
Quitte
à être, on voudrait rester « groupir » ; garder une certaine unité
existentielle. Mais la vie vous émiette, elle vous émiette comme si vous
étiez un vulgaire plant de haricot dans un champ en jachère.
Quand
l'existence l'accable, quand il a, comme cela s'appelle, la mort dans
l'âme, le nihilique, pour retrouver le sourire — si l'on peut appeler
ainsi la grimace qui chez lui signale la gaieté — pense à une bande de
couillons escaladant la Roche de Solutré.
Dans
sa préface aux Lettres persanes, Paul Valéry répond à la question : « Comment peut-on être persan ? » par une question plus générale : « Comment peut-on être ce que l'on est ? » Et il reconnaît qu'à peine
celle-ci venue à l'esprit, ce qui s'impose, c'est « le ridicule de toute
figure et existence particulière ». Fort bien, mais Valéry lui-même en
tira-t-il les conséquences ? Se cacha-t-il dans un trou de souris ? Se
précipita-t-il dans un puits busé ? Pas du tout ! Il continua à écrire
des « poëmes » et à être un « héros intellectuel national » ! Ni vu ni connu
je t'embrouille !
« Le
devoir d'un homme seul est d'être encore plus seul », écrivait Émile
Cioran à vingt-cinq ans. Mais le négateur ne pouvait prévoir qu'il
rencontrerait bientôt l'envoûtante Simone Boué... Et qu'alors sa
solitude ne serait plus que « pour la galerie »... Sacristi !
Avec
force précautions, le « négateur universel » Émile Cioran rôdait autour
des profondeurs, leur soutirait quelques vertiges, et se débinait
prestement pour retourner se blottir dans les jupes de son « amie » Simone
Boué, comme un escroc du gouffre. À la décharge du négateur, il faut
avouer que la tarte aux poireaux de cette dernière était irrésistible,
en tout cas plus attirante qu'un gouffre pascalien.
D'où
vient qu'une chose vivante — par exemple un chat — nous captive
plus qu'une chose morte — par exemple une pièce de charpente ? C'est
peut-être que la chose vivante fait des petits bruits ? Mais une pièce
de charpente aussi fait des petits bruits, quand la pensée de l'homicide
de soi-même siffle et souffle dans la mâture. Alors ? Alors nous ne
savons pas. Il s'agit certainement d'un horrible malentendu.
Le
nihilique n'en revient pas que les gens soient comme ci et comme ça. Ils
sont prisonniers d'eux-mêmes — de leur « ainséité » — et le plus fort
est que ça n'a pas l'air de les déranger. Lui aussi est prisonnier de
lui-même, mais lui-même, ce n'est pas grand chose, presque rien, une
collection de phonèmes — ba, be, bi, bo, bu —, alors ça va encore
(plus ou moins).
Malgré
l'exhortation du philosophe Alain, le nihilique ne peut s'en empêcher :
il « pense automne ». Ce que c'est que d'être un « vieux jeton »... Qui
plus est mélancolique...