Le
Rien ne devrait jamais être utilisé à des fins mercantiles ou pour
rechercher la célébrité — comme fit le « négateur universel » Émile
Cioran. Il y a là quelque chose de sacrilège et de foncièrement
malhonnête. Idem pour Ionesco et Beckett avec « l'absurde ». Si des pots
de pisse veulent devenir célèbres, ils n'ont qu'à faire dans le « quelque
chose ». Merde !
Les
proses libres et exubérantes comme des improvisations de jazz, les
récits traversés de fulgurances poétiques, très peu pour le nihilique.
Ça le fait caguer. La « Beat Generation », Allen Ginsberg et la vie en
général le font caguer.
En
mourant, l'écrivain bolivien Jaime Sáenz a perdu environ quatre-vingt
kilos. Alors n'attendez pas ! Faites comme Jaime ! Perdez environ
quatre-vingt kilos ! En mourant !
On
n'a rien inventé de mieux que l'homicide de soi-même pour, en deux
temps trois mouvements, tel un neutrino supraluminique, rejoindre « le
royaume sidéral des carcasses pulvérulentes ».
Borges
a raison de dire que, ouvrez les guillemets, celui qui cite un auteur
est la plupart du temps un pauvre con qui cherche à se faire mousser,
fermez les guillemets.
Roland
Jaccard ne pénétrera plus dans l'immeuble de la rue Oudinot. Il a « raccroché son vélocipède », nous laissant dans une solitude
existentielle, une finitude et un absurde assez semblables à ceux d'un
gigot glacé.
L'homme
ne jouit pas, et c'est heureux, de la scandaleuse immortalité des
protistes. Sinon il y aurait un drôle de monde et il faudrait voir la
queue à la boulange.
Le « négateur universel » Émile Cioran n'était pas du genre à fréquenter les
shot bars de Shinjuku. Déja, sitôt sorti du quartier de l'Odéon, il
avait des palpitations. Alors Tokyo... le Japon... et des « shot bars »...
Non, ça ne tient pas debout. Et puis n'oublions pas qu'il niait pour
ainsi dire tout. Alors...
Chez
le poëte hippie Richard Brautigan, tout nous irrite : sa moustache, son
chapeau, et last but not least ses poëmes. Mais il s'est suicidé alors
d'accord.
Pendant
longtemps, le nihilique a cru que seuls mouraient ceux qui « ne savaient
pas y faire » (c'est-à-dire tout le monde sauf lui). Mais il commence à
avoir de sérieux doutes sur sa propre capacité à y faire. Et si lui
aussi allait y passer, en fin de compte ?!
Dans
cinq milliards d'années, s'il faut en croire les scientifiques, c'en
sera fini du soleil. Son extinction prendra la forme d'un feu d'artifice
cosmique provoqué par une fantastique augmentation de son volume. Il
engloutira d'abord les planètes Mercure et Vénus, puis la Terre. Pour
finir, il s'effondrera sur lui-même et deviendra une naine blanche. Le
week-end, malgré tout, le nihilique s'autorise un petit muscadet.
Évagre
le Pontique est ce moine du IVe siècle qui vécut dans le désert
d'Égypte et qui, le premier, systématisa la pensée ascétique chrétienne.
Éminent docteur en théologie mystique, il est considéré comme un saint
par l'Église syriaque orthodoxe. Il s'entendait bien avec le patriarche
Grégoire de Naziance qui l'avait ordonné diacre, mais il était moins à
l'aise avec son successeur Nectaire de Constantinople qui,
prétendait-il, « puait des pieds ».
Le
nihilique imagine que si Dieu existe, il l'accueillera à la porte de
son paradis et lui dira, prenant on ne sait pourquoi l'accent chinois : « Blavo ! Tu as bien mélité des centaulées. Tu peux entler et te mettle à
l'aise. »
L'art
imite la nature, qui elle-même imite l'art, et ainsi de suite, on n'en
sort pas. Le résultat c'est qu'au final, il n'y a plus ni art ni nature,
il n'y a que de la révérence parler merde !
Quand
on est de tendance « nihilique », on est enclin à penser que le syntagme
nominal « un faldistoire falciforme » constitue un parfait résumé de la
vie sur Terre. Rappelons que l'adjectif falciforme signifie « en forme de
croissant ou de faucille ».
Le « négateur universel » Émile Cioran disait que pour entrevoir
l'essentiel, il ne fallait exercer aucun métier, mais juste « rester
allongé et gémir ». C'est assez tentant, mais à force d'entrevoir
l'essentiel, ne risque-t-on pas d'attraper des escarres ? Ou quelque
chose d'encore pis ?
Comme
le poëte Baudelaire, le nihilique pense parfois à la négresse amaigrie
et phtisique, mais en général, ça ne dure pas longtemps. Il faut dire
qu'il n'a pas que ça à faire. Le Rien l'appelle. Et s'il n'y avait que
le Rien... Mais il y a aussi la philosophie de Husserl, avec son
terrible cortège de « phénomènes » !
Hannah
Arendt raconte que Heidegger fut catastrophé quand il vit que sa
créature, le fameux « Dasein », sans doute accablée par sa condition
d'être-pour-la-mort, s'était mise à fumer de la « beuh ». Il avait donné
naissance à un monstre !
Job
dit que s'il était possible de peser sa souffrance et ses calamités,
elles se révéleraient plus lourdes que le sable de la mer. Mais il ne
précise pas si, dans les arbres, il inclut aussi les « arbustres » (par
exemple le cornouiller).
À
Venise, en plein centre du Campo Santo Stefano, se trouve une statue de
l'écrivain Niccolò Tommaseo. Cette statue, assez imposante, a été
baptisée par les Vénitiens « il Cagalibri » (le « chieur de livres ») à
cause des volumes reliés devant lesquels se tient l'écrivain, qui
semblent sortir de son fondement à la manière d'un flot diarrhéique. Le
pauvre Niccolò se retrouve donc la risée de l'univers, et ce de façon
assez injuste. Il paie pour les autres. Car tout écrivain n'est-il pas
un « chieur de livres » ?
Les
foudroyés du destin, ceux pour qui l'irréparable — le vrai, pas celui
d'Émile Cioran — est devenu réalité, on se détourne d'eux. Ils ne
sont pas festifs.
Le
nihilique veut bien accepter un certain nombre de bizarreries de la
part du monstre bipède, mais qu'il forme des projets, alors là, ça passe
les bornes.
La libellule
déprimée est un insecte odonate appartenant à
la famille des libellulidés. Très commune en Europe, on la rencontre
jusqu'en Asie centrale. Ce qui la distingue des libellules « normales »,
c'est le sentiment camusien qu'elle éprouve de vivre isolée dans un
univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort.
Les symptômes qui l'affectent — tristesse pathologique ; perte
d'intérêt pour les activités professionnelles, sociales et familiales ;
sentiment de culpabilité et d'échec ; diminution de l'estime de soi ;
difficultés à se concentrer sur une tâche et à prendre des décisions —, ont un retentissement majeur sur sa vie, notamment sur le plan
socioprofessionnel. Le risque de suicide est particulièrement élevé et
concerne dix à vingt pour cent de ces petits insectes.