Que la fut

 

Dans le recueil de poëmes de Tulio Herrera intitulé Se hâter plus tôt, il manque des mots. Le résultat est qu'on ne comprend rien. On a dépensé de la bonne argent et on ne comprend rien. Salops de poëtes.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Sur la rectitude des noms

 

Coïncidence extraordinaire, la reine de Pologne Jadwiga Malalapipa avait souvent mal à la « pipa ».

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Imitation de Ribemont-Dessaignes

 

Comme le poëte dadaïste Georges Ribemont-Dessaignes, se retirer près d'Antibes à la fin de la guerre. Comme lui, mourir à Saint-Jeannet le 9 juillet 1974.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Michaux, Cioran et le Moi

 

De façon assez étonnante, Henri Michaux était attaché à son Moi. Il faisait corps avec lui. Il ne remettait pas en cause son existence. Et Cioran ? Cioran aussi. Il n'y a qu'à le lire pour s'en rendre compte : je, je, je... C'est désespérant. On voudrait n'être jamais venu au monde.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

L'action, c'est pour les caves

 

Parce que le monstre bipède possède des bras et des jambes, il croit qu'il est voué à agir. Mais il se trompe. Il est voué à souffrir de diverses maladies, à mener une existence faite d'ennuyeuse monotonie, de paroles superflues et de solitude ; enfin à devenir un vieux jeton et à clamecer. S'il pouvait comprendre cela, l'envie d'agir lui passerait. Ou bien ?

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Chez Fan Se-Yeng

 

Le monstre bipède est une vraie chochotte. Au moindre pet de travers, il saute dans un pousse-pousse et : « Chez Fan Se-Yeng ! Rue du Sage Immense ! Et vivement ! »

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Fécial

 

Les gens vaquent à leurs petites affaires, absorbés par leur propre néant, et si vous leur parlez de la scène entre Tullus Hostilius et le fécial, ils vous regardent avec des yeux ronds. C'est pourtant dans Tite-Live, merde.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

À lurelure

 

Ce frémissement noir qui nous habite est un poëme que Marcel Béalu a lu à Lulu (Lucien Suel). Il voulait avoir son avis.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Fiole-carcan

 

« L'existence est une fiole-carcan. » Voilà le genre de chose que l'on se dit les soirs où l'idée du suicide siffle et souffle dans la mâture. Puis on boit un coup de mousseux, on mange de la tarte aux fruits et ça va mieux (un peu).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Réorientation réussie

 

Vers la fin du dix-neuvième siècle, les membres du groupe Verlaine — Arthur Rimbaud, Tristan Corbière, Germain Nouveau, Verlaine lui-même —, constatant l'impasse où se trouvait la poésie, décidèrent de se tourner vers un domaine auquel on prédisait un bel avenir, celui de l'isolation par l'extérieur (avec contrat de maintenance et aides de l'État). Ils y firent rapidement leur beurre.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Martyre de Boèce

 

Après une longue période de détention dans la prison de Pavie, le philosophe Boèce est mis à mort sur ordre de Théodoric en 525. Les bourreaux lui serrent le crâne si violemment avec des cordes que les concepts lui sortent littéralement de la tête. Et comme si ça ne suffisait pas, ils l'assomment ensuite à coups de bâton et décapitent son beau-père Symmaque !

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Malchance du Tasse

 

Le Tasse n'a pas eu de bol. Son grand œuvre à peine achevé, sa santé devint chancelante. Il fut victime de maux de tête, de fièvres malariennes... Il dévissa son billard à cinquante et un ans.

 

Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Suffocation conceptuelle

 

Les philosophes sont terribles : dès qu'ils attrapent un concept par la queue, il faut qu'ils le montrent à ces messieurs ! Ils ne peuvent pas le garder pour eux ! Résultat : on croule sous les concepts. Ils vont finir par nous étouffer.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un détail qui change tout

 

Les chats sont comme les bonnes femmes : ils n'ont aucun sens de l'humour. Mais eux, ce n'est pas grave, on ne les a pas épousés.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Délit d'initié

 

Le coup de soleil reçu par son ami inquiétait Mitterrand. Il fallait à tout prix éviter que le crâne de Roger-Patrice pelât — ou plutôt ne pelât. Sinon, Dieu sait ce qui pourrait arriver, il était capable de mettre tout le monde dans le bain. Le président envoya Joxe acheter de la pommade.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Projet mallarméen avorté

 

Un jour qu'il était gonflé à bloc, le poëte Mallarmé conçut l'ambitieux projet de « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Il commença par le vocable zingibéracé qu'il définit « relatif au gingembre ». Il s'attaqua ensuite à lagéniforme pour lequel il proposa « en forme de bouteille ». Puis il trouva que ça commençait à bien faire, cette histoire.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Crispation à la Jaccottet

 

Le type qui n'arrive à trouver ni un sens à sa vie ni une bonne femme qui vaille le coup, ce type est crispé comme l'œuvre de Jaccottet sur un fond de silence et d'indéfinissable tristesse.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Nudité de Pança

 

Sancho : Nu je suis né, nu je me trouve ; je ne perds ni ne gagne.

Don Quichotte : Tu parles d'or, ami Sancho. Tu es, pourrait-on dire, à poil de Nicosie.

Sancho : Ou de Limassol.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Bonnet rouge

 

Pour le vieux dictionnaire, Victor Hugo avait d'abord pensé à un « bob Cochonou » (d'après Sainte-Beuve) mais ça ne collait pas au niveau du nombre de pieds, ça en faisait un de trop.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Affaire Pechiney-Triangle

 

Il faisait si froid dans le bureau du juge Boizette que Roger-Patrice pela.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Déconstructionnisme

 

Lire du Derrida à Excideuil (en Dordogne), c'est s'exposer à ressentir des émotions contradictoires : on est excédé par Derrida et déridé par Excideuil (à cause de sa fontaine Bugeaud, notamment).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Le plus grand opprobre

 

Si quelque chose est susceptible de vous dégoûter d'exister, c'est de réussir. Heureusement, pour ce qui nous concerne, le risque est nul ou caïman.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un gars sympa

 

En rentrant du lycée Condorcet, il arrivait que Mallarmé fît un petit détour pour « passer chez le Parnassien » (il rendait visite à José-Maria de Heredia, immobilisé suite à une césure à l'hémistiche).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Signé : Bigeard

 

Sur nos cahiers d’écolier

Sur notre pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

Nous écrivons « Signé : Bigeard ».

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Pauvre Deleuze

Tragique destinée, que celle du philosophe Deleuze. Après avoir créé tant de magnifiques concepts, le pli, le rhizome, la machine-organe, être contraint de sauter par la fenêtre parce qu'on n'arrive plus à respirer... Être enterré à Saint-Léonard-de-Noblat, en Haute-Vienne... Se décomposer en une myriade de molécules et de gluons... Il y a de quoi l'avoir sec.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Raison pure

 

En y regardant d'un peu près, on s'aperçoit que chez Kant, les jugements synthétiques sont le plus souvent en viscose ou en tergal. Quand on les enlève, on reçoit de menues décharges d'électricité statique (surtout quand ils sont a priori, c'est-à-dire antérieurs à l'expérience).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

La Patate fait chou blanc

 

La tentative que fit Georges Perec dit la Patate d'épuiser un lieu parisien était vouée à l'échec. On n'épuise pas un lieu parisien avec des palindromes, des lipogrammes et des bicarrés latins orthogonaux d'ordre dix. Et cette barbiche ! Seigneur, ayez pitié de nous !

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Witold et l'incognoscibilité du monde

 

Pour Gombrowicz, le monde objectif n'existe pas ; il est inconnaissable comme le noumène de Kant. Cette situation lui pèse et en 1969, poussé à bout par la récalcitrance du réel, il demande à ses amis Dominique de Roux et Constantin Jeleński de lui procurer un pistolet ou du poison.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Didascalie du fatum

 

Le 17 août 2011, il apparut que l'écrivain Michel Mohrt avait un nom prédestiné.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)