« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
vendredi 7 septembre 2018
Caïman
Nous nous mîmes encore à errer dans les Alpujarras. Nous arrivâmes au gîte et, lorsque nous eûmes soupé, l'on pria Velasquez de continuer l'histoire de sa vie, ce qu'il fit en ces termes :
« Celui qu'enveloppent les draps glacés de l'angoisse, celui-là est incurieux. Il ne songe pas à s'émerveiller des prodiges de l'esprit humain ni à admirer la brièveté du style de Salluste. Son cerveau ressemble au désespoir muet des caïmans. »
Comme Velasquez en était à cet endroit de sa narration, il parut distrait, et comme nous vîmes qu'il avait quelque peine à retrouver le fil de son discours, nous le priâmes d'en remettre la suite au lendemain.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Le mot et la chose
Le philosophe Bergson, qui sans doute n'éprouva jamais le désir de se détruire, prétendait que si l'on avait envie d'ingérer du taupicide, c'était à cause d'un certain charme magique du mot « taupicide », idée qui exaspérait l'écrivain mondain Paul Valéry, car il y voyait un sophisme. « Si j'admets, disait ce dernier, que le taupicide a bon goût (avant toute expérience particulière), c'est à la substance même (qui s'appelle taupicide) que va mon approbation. Si c'est au contraire le mot de taupicide, que j'approuve, je puis le trouver gracieux, sonore, agréable à prononcer, je ne songerais pas à le manger. » — Bon goût ? Le taupicide ? Ô sancta simplicitas !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Soumission
Le poëte se soumet à la rime, le dramaturge aux unités, le suicidé philosophique à l'absolu pouvoir du pachynihil qui l'exhorte incessamment à immoler son Moi.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Un ambitieux projet
Poussé par le désespoir et la philosophie allemande, je me suis proposé cette tâche inhumaine, médiévale : la destruction de l'étant existant — et de sa monstrueuse émanation, le Moi — comme d'une vermine.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Défection
Par dépit autant que par désir de vengeance, je décidai d'emprunter désormais mon organisation à la classe des céphalopodes plutôt qu'à celle des mammifères.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Clupea pilchardus
Lorsque nous fûmes à table, c'est-à-dire autour d'une nappe de cuir étendue à terre, le cabaliste se mit à tenir plusieurs propos qui annonçaient son mécontentement contre le monde des esprits. Il reprit le même sujet lorsque nous eûmes achevé de manger. Sa sœur, qui semblait y trouver de l'inconvenance, fit ce qu'elle put pour donner un autre tour à la conversation. Enfin, elle pria Velasquez de raconter son histoire, ce qu'il fit en ces termes :
« Incapable de nager, dépourvu de branchies, et cependant pilchard. »
Comme Velasquez en était à cet endroit de sa narration, le cabaliste l'interrompit parce qu'il avait, disait-il, des choses importantes à communiquer à sa sœur. Nous nous séparâmes donc, et chacun s'en alla de son côté.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Frayeurs enfantines
« Pour l'enfant que j'étais, l'univers des cabinets, où j'avais coutume de lire les Aventures de Tintin, c'était le tumulte et l'incertitude, le royaume des périls sournois où des créatures molles, visqueuses — Rastapopoulos, les frères Loiseau, l'ingénieur Wolff —, se conjuguaient aux lames sourdes de ma mélancolie et au roulis de mon âme. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Angoisse
D'après l'ontologue allemand Heidegger, l'angoisse provient du « glissement de l'étant dans le néant ». Le monde ambiant ayant été précipité dans l'abîme par quelque séisme pachyméninger, le Dasein est mis face à lui-même. Et sans le monde, le Dasein est désemparé : il se retrouve dans le strict pouvoir-être, ce qui est une situation éminemment désagréable.
Comme pour valider cette théorie, le 2 décembre 1980, le romancier Romain Gary se tire une balle dans la bouche. Selon Gragerfis, le littérateur, en plus d'être angoissé au sens heideggérien du terme, était profondément hostile au vieillissement, un processus qu'il jugeait « catastrophique », « atroce » et « dégoûtant ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
jeudi 6 septembre 2018
Dégringolade fatale
Fameusement renseigné sur la nature humaine par son commerce quotidien avec une mégère au mufle d'hippopotame, l'homme du nihil nie l'existence de la vertu et proclame que toutes les actions du Dasein sont commandées par l'égoïsme. Ainsi débarrassé de toute illusion sur le « monstre bipède », sur l'existence, sur l'idéalisme fichtéen, et cetera, il se livre au néant et marche rapidement à l'athéisme, puis à l'homicide de soi-même.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Au milieu des ruines
De la plante du pied jusqu'à la tête, rien n'est en bon état chez l'homme du nihil : ce ne sont que blessures, contusions et plaies vives, qui n'ont été ni pansées, ni bandées, ni adoucies par aucun onguent. Son viscère est dévasté, ses os sont consumés par le feu, des cafards dévorent sa pachyméninge, ils ravagent et détruisent, comme des barbares. Mais son Moi subsiste comme une cabane dans une vigne, comme une hutte dans un champ de concombres, comme une ville épargnée. — Persistance merveilleuse et déprimante du Moi.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Imitation de Sénèque
Henry de Montherlant, né le 20 avril 1895 à Paris, est un romancier, essayiste, auteur dramatique et académicien français. Il se donne la mort le 21 septembre 1972 en ingérant du cyanure et en se tirant dans la tempe un coup de revolver. La fascination que nourrissait Montherlant pour les stoïciens l'avait fait qualifier par Gragerfis de « moraliste austère et désabusé » et de « Sénèque en peau de lapin ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
À la manière de Leibniz
La pensée de se détruire entre dans la pachyméninge du suicidé philosophique « par des différentielles » et non par une « simple division, multiplication » : non par des actions arithmétiques, mais par un insensible processus d'érosion du « vouloir vivre » dont la contrepartie est une suite d'accroissements très petits — à la Leibniz — de la lassitude d'être ceci ou cela.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Bilan
C'est près du feu, en hiver, qu'allongé sur un lit moelleux, le ventre bien garni, en buvant du vin résiné, en mangeant de temps à autre des huîtres ou des bigorneaux, il faut se poser ces questions : Qu'as-tu fait de ta vie, homme ridicule ? Et quel âge avais-tu lors de l'invasion des Mèdes ? (Pensée renouvelée de Xénophane).
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Persévérance
Nous nous mîmes en chemin d'assez bonne heure, et lorsque nous eûmes fait une couple de lieues, nous fûmes joints par le Juif errant qui, sans se le faire répéter, se plaça entre mon cheval et la mule de Velasquez et commença en ces termes :
« Il n'est vraiment nul besoin de réussir pour persévérer, particulièrement dans l'être. »
Comme le Juif errant en était à cet endroit de son histoire, il s'arrêta tout à coup et, fixant le cabaliste d'un air arrogant, il lui dit : « Fils impur de Mamoun, un adepte plus puissant que toi m'appelle sur les sommets de l'Atlas. Adieu ! » Puis il s'éloigna, et bientôt nous le perdîmes de vue.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Pisse-vinaigre
La Weltanschauung de l'homme du nihil présente un caractère austère bien propre à rebuter le vulgum pecus. Dans son système, point de vains ornements. Ici, tout est fort : pas de dorures, le fer, partout le fer ! On comprend dès lors pourquoi l'homme du nihil passe pour un « bonnet de nuit » aux yeux de ce « chantre du festif » qu'est l'homme moderne.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Solitude et minéralité
Au dire de l'écrivain mondain Paul Valéry — mondain au sens vulgaire comme à celui du phénoménologue Eugen Fink —, « il y a deux sortes d'hommes — ceux qui se sentent hommes et ont besoin d'hommes — Et ceux qui se sentent — seuls, et non hommes — Car qui est vraiment seul, affirme-t-il, n'est pas homme mais pierre dure rotacée. »
Valéry oublie toutefois de mentionner que ces « pierres dures rotacées » sont aussi capables de se livrer, et plus souvent qu'à leur tour, à des divagations lagéniformes de dipsomaniaques angoissés.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Vengeance haddockienne avortée
Smith est l'agent général à Reykjavik de la Golden Oil qui détient le monopole de la vente de mazout en Islande. Sa compagnie appartenant à l'infâme financier Bohlwinkel, il reçoit l'ordre de ne pas ravitailler l'Aurore afin de favoriser le Peary dans la course vers l'aérolithe.
Quand Smith refuse de lui vendre du fioul, le capitaine Haddock envisage un moment de lui ouvrir le ventre, d'en arracher les entrailles, d'y mettre de l'avoine et d'y faire manger les chevaux, comme firent les naturels d'Ascalon et d'Héliopolis à saint Cyrille, diacre, et aux autres martyrs sous Julien l'Apostat.
Heureusement, il n'est pas contraint d'en arriver à cette extrémité car sa rencontre avec le capitaine Chester lui permet de se procurer du carburant par la ruse. Le vil Smith ne saura jamais à quoi il a échappé !
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
mercredi 5 septembre 2018
Équilibre
« ... ce que nous appelons excrément ou encore matière fécale n'étant peut-être après tout que cette lourdeur, cette masse inerte et pesante que nous traînons comme un lest de peur de chavirer et faute de quoi nous serions sans doute comme ces navires trop peu chargés, ivres et ingouvernables dans la tempétueuse immensité... »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Vie étriquée
L'homme du nihil n'a cure des imbéciles qui jugent morne, étriquée, sans panache, la vie qu'il mène dans son « cagibi rienesque ». Comment ces « marioles de l'existence », ne voient-ils pas que ce n'est pas sa vie, qui est morne, étriquée, sans panache, mais la vie ! Comparer ce margouillis à un indigeste clafoutis, comme le fait Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain, lui semble encore par trop bénin.
À l'instar du poëte Baudelaire, il a commencé par chercher « des parfums nouveaux, des fleurs plus larges, des plaisirs inéprouvés », mais il a vite compris.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Rêve impossible
Appartenir à l'embranchement des cnidaires, à l'ordre des siphonophores, être pourvu de filaments urticants longs de plusieurs mètres qui flottent à la surface... Ah quel délice ! (Les trente-trois délices de Luc Pulflop, Trad. de Simon Leys)
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Bach enfoncé
Selon le péremptoire docteur Marx, nul compositeur n'a pu, jusqu'à ce jour, égaler la puissance de polyphonisme que posséda l'illustre cantor. Mais c'est oublier un peu vite le Rien, dont la virtuosité contrapuntique outrepasse de très loin celle de l'« ours de Leipzig ».
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
De l'existence des choses
Courroucé par l'hypocrisie de ses contemporains, Protagoras d'Abdère composa un livre dans lequel il révoquait ouvertement en doute l'existence des dieux. « Je ne puis dire au sujet des dieux, annonçait-il en le commençant, s'ils existent ou s'ils n'existent pas. Plusieurs choses m'en empêchent, l'obscurité de la matière et la brièveté de la vie de l'homme. »
Mais, s'interroge l'homme du nihil, ne pourrait-on en dire autant de la « réalité empirique » et même, si l'on veut aller par là, du « Dasein » ? Quoi qu'il en soit, Protagoras, estimé et honoré jusque là, fut chassé d'Athènes et ses livres brûlés sur la place publique. Gragerfis suppose que ce philosophe avait puisé ses idées d'impiété dans les principes qu'il avait reçus des mages de Perse.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
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