vendredi 16 novembre 2018

Un martyr de l'haeccéité


« Mon idée la plus intime est de ne pouvoir être celui que je suis. Je ne puis pas me reconnaître dans une figure finie. Et Moi s'enfuit toujours de ma personne, que cependant il dessine ou imprime en la fuyant. »

(Paul Valéry, Tel quel)

Événement


« L'ennui qui suinte de la vie et imprègne le Dasein comme ferait la pisse urticante d'une chauve-souris purpurine, cet ennui écrasant, Messieurs, m'inciterait presque à considérer la mort d'un œil neuf : comme un événement. »

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

12 janvier



Un soir qu'il sortait de la table du roi Archélaos, en Macédoine, et qu'il s'en retournait dans ses pénates, Euripide fut mis en pièces par des chiens : affreuse destinée, que ne méritait pas un si grand génie !

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Une magnifique leçon de vie


Pendant qu'Alexandre faisait le siège de la ville des Oxydraques, un aruspice nommé Démophon lui dit de s'éloigner des murailles, ou du moins de suspendre l'assaut, parce que sa vie était menacée d'un grand danger. Alexandre fixa Démophon, et lui dit : « Si, pendant que vous êtes enfoncé dans les fonctions de votre ministère, et que vous scrutez les entrailles des volucres, quelqu'un venait vous tenir le langage que vous me tenez, vous trouveriez, j'en suis sûr, ce discours fort incommode. » — Je l'avoue, répondit Démophon. — « Eh bien ! continua Alexandre, pensez-vous que rien puisse être plus importun à celui qui, au lieu d'attacher ses regards sur des fibres de quadrupèdes ou de volucres, médite les plus grandes choses, qu'un aruspice qui vient avec ses superstitions entraver sa marche ? » Et à ces mots, il ordonna d'appliquer les échelles aux murailles. (Quinte-Curce, De la vie et des actions d'Alexandre le Grandliv. IX, chap. 4)

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Sur les traces de Tou Fou


Et maintenant tâchons, comme Tou Fou, de tirer des malheurs de la guerre et de notre misère personnelle une poésie originale...

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

6 janvier


Théophraste se trompe en pensant qu'une herbacée comme le Malva sylvestris se transforme en une plante à haute tige comme l'Althaea rosea.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme lisant Forcipressure d'Étienne-Marcel Dussap

Embellissement


Le citoyen Jutique, que ses fonctions de commissaire des relations commerciales retiennent à Madère, mais qui ne cesse d'y cultiver avec beaucoup de zèle l'idée du Rien, a fait parvenir à ses confrères un mémoire où il affirme que cette idée, si belle par ses couleurs, si curieuse par ses formes, serait des plus faciles à multiplier dans nos contrées, où elle contribuerait, par l'époque de sa floraison, à embellir nos saisons rigoureuses.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

15 décembre


Démétrios de Trézène, dans son livre Contre les sophistes, décrit en ces termes la mort du philosophe Empédocle d'Agrigente : « Ayant suspendu haut le lacet à la cime d'un cornouiller, il s'étrangla et son âme dans l'Hadès descendit. » Hippobote, quant à lui, prétend que le philosophe se serait jeté dans les flammes de l'Etna, voulant affermir sa réputation de dieu.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Calmant suprême


Celui que tourmente une conscience agitée par le bourrellement incessant de l'haeccéité, la temporalité du temps, la mortalité de l'être mortel, ne peut faire mieux que de se tourner vers l'idée du Rien, si propre, par sa pénétrante onction, à calmer ses agitations et son trouble.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

jeudi 15 novembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant l'Appel du nihil de Martial Pollosson

6 décembre


En parcourant le Guide des amateurs de tableaux, pour les écoles allemande, flamande et hollandoise de Pierre Marie Gault de Saint-Germain, je tombe sur le passage suivant : « Streeck (Juriaan Van), né en 1632 ; artiste mélancolique qui faisoit des drames lugubres, avec une tête de mort, une bulle de savon et une lampe sépulchrale : presque tous ses ouvrages sont marqués de ces tristes emblèmes, mais avec une vérité qui étonne, et aussi qui repousse. »

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

19 novembre


« Sous les rois de la première et seconde race, l'agriculture dut ses progrès aux pieux cénobites connus sous le nom de moines. » (Pierre-Nicolas Chantreau, Histoire de France abrégée et chronologique, depuis la première expédition des Gaulois jusqu'en septembre 1808, Bernard, Paris, 1808) — Eh bien ça alors !

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Comme David Copperfield


Je porte autour du cou une pancarte élucidant mon effroyable déchéance : « Le Grand Tout a fait cela ».

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Jeune fille lisant les Exercices de lypémanie de Marcel Banquine

Dualité du suicidé philosophique


Le ton austère qu'adopte volontiers le suicidé philosophique n'exclut ni la douceur ni l'attendrissement. Dans ses lettres où, entre deux dithyrambes à l'homicide de soi-même, il évoque la douceur des soirs à Saint-Clément quand les souffles légers portent l'odeur des foins et le parfum miellé des clématites, les sentiments sont graves, mais ce sont des sentiments, et ils captivent. Tout au plus pourrait-on dire que le suicidé philosophique est un esprit un peu trop viril, à l'inverse de Fénelon, prélat mystique, d'une aménité un peu trop féminine : ils se ressemblent cependant par leur infatigable zèle et par leur impérieux pouvoir de séduction.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Page de journal


9 janvier. — M. Wilhelm Philipp Schimper, dans son Traité de paléontologie végétale, note que « les puissantes assises siluriennes, si propres par leur nature à la conservation des empreintes des corps organiques, ne nous fournissent aucune donnée sur les végétaux marins nécessaires à la nourriture des légions innombrables de mollusques et de crustacés qui peuplaient les mers de cette ancienne époque. »

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Échauffement philosophique


On sait que la vapeur, lorsqu'elle se détend, perd une partie de son calorique latent en rapport avec le travail qu'elle produit. Mais aucune expérience n'a encore été conduite pour mettre en évidence un phénomène analogue dans l'ordre moral, à savoir le Moi surchauffé des « amis de la sagesse » occupés à produire des concepts.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune fille lisant la Nostalgie de l'infundibuliforme de Robert Férillet

Fouissement conceptuel


Le phénoménologue est pourvu d'un groin mobile d'une grande puissance qui lui fournit les moyens de labourer la réalité empirique avec la plus grande facilité et de mettre à jour des concepts de toute nature ; en outre, cette faculté est encore augmentée par une forte langue charnue très rétractile.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

À propos de larmes (page de journal)


13 décembre. — D'après Furetière, « Héraclite pleurait sans cesse les misères et les folies des hommes ». Selon Richet, « il répugne à l'étant existant de penser que tout l'appareil lacrymal soit un hors-d'œuvre inutile, une superfluité ».

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Fabrication des concepts


Pour que toutes les parties d'un concept aient les formes et les dimensions requises, on trace son gabarit avant de le forger, c'est-à-dire que, sur une planche bien unie, on tire diverses lignes parallèles, dont les distances des unes et des autres donnent la largeur et l'épaisseur de chaque partie. À la forge, on a soin de mesurer fréquemment si la partie du concept que l'on confectionne a les dimensions que donne le gabarit.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

mercredi 14 novembre 2018

Interlude

Beauté un peu vulgaire lisant Prière d'incinérer. Dégoût de Luc Pulflop

Chute du Moi


Année après année, la débâcle existentielle se confirme et s'aggrave. Couvert de givre, le Moi descend toujours ; son enveloppe glacée rend des craquements sinistres, elle acquiert une tension telle que le Dasein craint de la voir éclater et le soufflement du gaz qui sort avec force de l'appendice lui fait redouter la fin tragique de son voyage.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Prévenir la misanthropie


« Le premier devoir de la fille de basse-cour, lorsqu'elle entre en fonctions, c'est de chercher à se faire connoître et aimer de la peuplade volatile qui lui est confiée, de venir souvent au milieu des individus qui la composent pour entretenir la paix parmi eux, apaiser leurs querelles domestiques, connoître l'humeur particulière de chacun, ramener les plus farouches en leur parlant un langage qu'ils entendent, en leur donnant à manger dans le creux de la main, en leur témoignant par des gestes caressants son affection. Que de poules hargneuses, condamnées à périr avant le temps sous le couteau du cuisinier, auroient perdu leur caractère sauvage, seroient devenues sociables, si elles eussent éprouvé dans leur premier âge plus de bienveillance de la part de la fille de basse-cour ! » (Nouveau cours complet d'agriculture théorique et pratique, Deterville, Paris, 1809)

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Vocabulaire


Par commodité, nous nommerons reginglette, ou encore zérumbet zététique, le système sémiotique immanent au corpus.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune femme lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Page de journal


5 décembre. — Théophraste prend le tubercule pour un fruit.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)