Il
est notoire que de toute sa vie, le « négateur universel » Émile Cioran
n'a produit que de la négation (sous forme d'aphorismes,
principalement). Pourtant, comme Archimède, comme Galilée, comme
Torricelli, comme Newton, comme Papin, comme Volta, il fut un être
utile. Il a aidé de nombreuses personnes « nihiliques » à se sentir moins
seules dans ce « monde de néant ». Alors honneur ! Honneur au « négateur
universel » Émile Cioran !
C'est
avec une certaine joie malsaine qu'on regarde vieillir l'autrui
lévinassien. Mais si ça se trouve, lui aussi nous regarde vieillir ?
Avec une joie tout aussi malsaine ? Le salop ?
Le
seul cas où il est admissible de parler de soi à la première personne
est pour demander qu'on vous passe la rhubarbe ou le séné. Car quand on a
besoin de rhubarbe ou de séné, on n'a pas le temps de ratiociner sur
l'inexistence du Moi : ça urge.
Il
paraît que Jack Sprat ne mange pas de gras. Il croit peut-être que ça
va lui boucher le cul ? Tu manges tout, mon gars, et fissa ! Pense aux
petits Biafrais ! Ou encore mieux, pense aux nihiliques qui n'ont rien à
se mettre sous la dent parce que « rien n'est ». Ils seraient bien
contents d'avoir du gras !
Est-ce
qu'une personne — ne serait-ce qu'une seule personne — s'est jamais
amendée après avoir lu une maxime de Confucius ou de tout autre sage ou
moraliste ? Poser la question, comme on dit, c'est y répondre. Alors
fichez-nous la paix, les sages ! Et vous aussi, les moralistes !
Quelqu'un
qui croit au quelque chose, vous ne le convaincrez pas que rien n'est.
Les sectateurs de l'être — les « quelque-chosistes » — sont
insensibles à l'argumentation. Comme saint Thomas, ils veulent voir.
Mais le Rien n'est pas une souris verte que l'on peut attraper par la
queue et montrer à ces messieurs ! Il faut le sentir !
Si
le nihilique était de Biarritz ou même d'Anglet, il ne traînerait pas à
la Chambre d'amour. Le nom est trop cucul et gnangnan pour son goût.
L'amour ! Il vous en foutra, de l'amour, lui, tuouaouar ! De toute façon
et quoi qu'il en soit, il est de Bezons, alors la question ne se pose
pas.
Dans
ce « monde de néant », tout est également sordide, abject, ennuyeux, et
il n'existe de grandeur qu'à le crier sur les toits. Or par un « coup de
moule » extraordinaire, c'est justement ce que le nihilique passe son
temps à faire !
Après
tout, pourquoi ne pas le dire ? La « source inverse, qui éponge » dont
parle Roger Caillois à la fin de son livre, c'est... « sa Majesté la
mort » ! Mais oui ! Elle nous éponge si bien qu'elle nous restitue au
pachynil. Mais vous l'aviez peut-être deviné ?
La
position quant au langage du Lord Chandos de Hofmannstahl pourrait se
résumer par cet aphorisme à la Wittgenstein : « Puisqu'on ne peut rien
dire, il faut se taire. » Lord Chandos est un déçu du vocable. Il a
d'abord tenté de dire les choses, mais ça n'a pas marché. Alors puisque
le langage « pue du cul », puisque les mots sont insuffisants et faux, le
mieux est encore de « fermer sa boîte à fromage ».
Il
est vain de vouloir juger un homme : ils sont trop nombreux à
l'intérieur et on ne ferait pas le poids s'il leur prenait l'envie de
vous coller un « pain ».
Devant
le vin, le soir a surpris le nihilique. Les fleurs tombées couvrent sa
limouse et son falzar. Ivre, il poursuit la lune dans l'eau. Est-ce
qu'il se prendrait pour Li Po, astheûre ? Il y a des fois, il attige !
On espère toujours que sa tête d'autrefois va revenir, sa tête de quand on était jeune, mais c'est le contraire qui se produit : on ressemble de plus en plus à une momie. Serait-on, comme le Mômo, victime d'un envoûtement ?
Après
une visite au bagne de Toulon, Arthur Schopenhauer, alors adolescent,
écrit dans son Journal de voyage : « Il n'y a pas à dire, c'est beau, une
ville, la nuit ! » — Il avait pris le bagne de Toulon pour le
philosophe Jean Grenier !
Dans
sa maison — qui était plutôt un appartement —, le « négateur
universel » Émile Cioran regardait par la fenêtre Ionesco venir à lui et
frapper chez lui. « Émile ! Émile ! Ouvre-moi ! Ou l'Absurde me tuera !
En
cours de sciences naturelles, quand il était adolescent, le nihilique a
étudié les pétaux et les sépaux. Mais il n'en a pas retenu grand chose.
Il se souvient vaguement qu'il y avait aussi les étamines et le pistil.
Le
nihilique a vécu une expérience claudélienne, mais ce n'était pas à
Notre-Dame, c'était dans un aéroport ; et il n'a pas vu la Sainte Vierge
mais tout un tas de têtes de con. Il s'est demandé ce qu'il faisait là — dans « l'espèce humaine » — vu qu'il ne se sentait rien de commun
avec toutes ces têtes de con. Et soudain, les écailles sont tombées de
ses yeux : il n'était pas véritablement un sapiens sapiens ! Il avait dû
être adopté !
On
peut se creuser les méninges pendant cent sept ans, on ne trouvera pas
réponse plus ridicule à la question « Que faites-vous dans la vie » que « Je suis poëte ». Ils s'y croivent, les inspirés !
Le
chanteur Léo Ferré trouvait que c'était extra, mais en fait ça ne l'est
pas du tout. Au contraire, c'est archinul. La vie, c'est-à-dire.
Conclusion : soit le chanteur Léo Ferré était bigleux, soit il mentait.
Réflexion faite, c'est sûr, il mentait. Salop, va ! Ça t'amuse, de
provoquer les personnes « nihiliques », hein ? Attends un peu, tu vas voir
comme c'est extra. Pauvre con !
Quand
on s'imagine qu'on ne pense à rien, on se trompe. On pense à des
bêtises, au vocable reginglette, à un point mathématique, à la preuve
par le parfait conçue par Descartes — ce philosophe « au poêle » —,
aux microscopiques polyèdres ajourés des radiolaires, à ce que vous
voulez, mais on pense à quelque chose. Et c'est bien malheureux, car
penser à quelque chose vous donne l'air d'un couillon.
« Et
je m'endormirai à l'ombre du mancenillier. » L'ombre du mancenillier
passait jadis pour vénéneuse. Les poëtes suicidaires (entre autres
José-Maria de Heredia) avaient coutume d'y faire la sieste. C'était une
sieste, hélas, remplie de crabes (comme sont les sites pour les bains).
Le
nihilique est pratiquement infusible. Même soumis à la fulminance d'une
mégère difforme au faciès d'hippopotame, il ne fond pas. Alors ? Quelle
fournaise fut assez ardente pour lui donner pareille apparence d'éponge
pétrifiée ?
Le
nihilique refuse absolument de porter des « mules ». Des savates, il
pourrait peut-être encore l'accepter, mais des « mules »... c'est
totalement hors de question. Il n'aime pas le mot, et puis il est
atteint d'acédie monastique — alors les « mules »...
Le
nihilique raconte : « Lundi matin, le concept d'angoisse, le traité du
désespoir et la pensée de l'homicide de soi-même sont venus chez moi
pour me serrer la pince. Comme j'étais parti, la pensée de l'homicide de
soi-même, se faisant le porte-parole du groupe, a dit : “Puisque c'est
ainsi, nous reviendrons mardi.” Et de fait, ils sont revenus. »