Dans
la vie, on a le choix entre le Rien et les emmerdes. Ceux qui aiment
les emmerdes se mettent avec une bonne femme. Ceux qui préfèrent le Rien
restent avec eux-mêmes (ils font l'expérience de la solitude, comme
cela s'appelle). Mais on peut aussi avoir tout en même temps : le Rien
et les emmerdes, la bonne femme et la solitude.
Jeune,
le nihilique se sentait déjà vieux. C'était embêtant, mais maintenant
qu'il l'est vraiment... c'est encore pis. Ses genoux grincent et
cliquettent, ce qu'ils ne faisaient pas avant. Et s'il n'y avait que les
genoux... Mais il y a l'être ! L'être !
Exister
est un verbe des plus scabreux, car il signifie à la fois posséder une
réalité et se manifester dans la vie de l'autrui lévinassien de manière
éminente. Pour éviter l'ambiguïté, on utilisera plutôt le vocable
strapontin ou à défaut le pape François (même si le sens de la phrase en
est quelque peu modifié).
Pour
avoir singé la profondeur et s'être exprimé comme un oracle,
l'horripilant René Char est condamné à recevoir une sévère bourrade dans
les côtelettes. — À exécuter immédiatement.
« Vous
reprendrez bien une petite tranche de Moi ? » demande le poëte. « Non
merci, répond le nihilique. Mon âme ne le supporterait pas. Elle souffre
d'indigestion. Le printemps était trop vert, elle a mangé trop de
salade. Je suis à la diète polonaise. »
Descendre
des canettes de bière, assister à des courses de canassons et
s'accoupler avec des trumeaux étaient les trois occupations favorites de
l'écrivain Charles Bukowski. Il menait une drôle de vie, on peut dire.
Mais enfin... c'est comme tout. Oui... c'est comme tout.
Le
vrai sage, ce n'est ni Socrate, ni Siddharta Gautama, ni Jankélévitch,
ni même André Comte-Sponville, le vrai sage, c'est... l'hippopotame. La
mortalité de l'être mortel, la temporalité du temps, l'haeccéité,
l'hippopotame s'en tamponne le coquillard. Il accueille les dons de
l'instant avec modestie et gratitude. Il nous montre le chemin du
bonheur dans la simplicité. « Ô joie suprême ! Ô bonheur ineffable ! Une
flaque de boue ! »
Les « vieux jetons » ne méritent aucun respect. Ils ont persévéré dans l'être
comme des bon Dieu de pervers. Ils nous dégoûtent. Et ils nous
dégoûtent d'autant plus qu'on en est un soi-même.
Peut-être
que pour voir « la vie en beau », il faudrait suivre l'exemple de
l'écrivain Charles Bukowski et se gratter les révérence parler couilles.
Mais on n'ose pas. On a peur du qu'en-dira-t-on. Finalement, on clamece
et il est trop tard. On est passé à côté du « bonheur », ça se trouve.
Les
personnes qui demandent un fromage « bien fait » ou « pas trop fait » n'ont
pas l'air de sentir toute l'ignominie qu'il y a à utiliser le vocable « fait » dans cette acception. Ce ne sont pas des « chevaliers de la foi »
au sens kierkegaardien.
Peut-être
que si on n'était pas d'un naturel dépressif, sans aller jusqu'à voir « la vie en beau », on lui trouverait du sens ? Mais non, ce n'est pas
possible. On a tout bien calculé, on a refait mille fois les calculs,
c'est sûr, elle n'a pas de sens. Oh, bon Dieu !
Quand on est né, personne ne nous a dit qu'on devrait vivre entouré
d'hyènes et de chacaux. Bien sûr, même si on nous l'avait dit, on
n'aurait rien pu y faire. Mais quand même, ce sont des choses qui se
font, non ? De prévenir ?
Les
plus horripilants des « vieux jetons » sont ceux qui font « jore » qu'ils
s'accommodent d'être des « vieux jetons ». Ils ont endossé le rôle, les
salops ! Ils feront pareil avec le rôle de « clamecé » ? Le nihilique,
lui, se révolte ! À la Camus ! Non mais alors des fois !
Une
des plus belles phrases de la langue française est, dans son laconisme
véridique, celle que déclame Jacques Dutronc dans sa chanson Les Cactus :
« Aïe aïe aïe ; ouille ouille ouille ; aïe. » Toute la doctrine
nihilique y est resserrée avec une force et un bonheur d'expression
suprêmes. Oui, en vérité, la vie, ça pique et ça fait mal au fiak.
On
se sent mal parmi les gens, il est inutile de le nier. Ils ne
s'intéressent à rien de ce qui nous importe. Ça irait sans doute mieux
si l'autrui lévinassien se préoccupait du tathâta — qui, faut-il le
rappeler, désigne chez les bouddhistes la véritable nature de la réalité
à un moment donné. Devrait-on aller vivre en Inde, au Thibet, au Népal
ou au nez rouge ? Pour se sentir moins seul ?
Il
est notoire que de toute sa vie, le « négateur universel » Émile Cioran
n'a produit que de la négation (sous forme d'aphorismes,
principalement). Pourtant, comme Archimède, comme Galilée, comme
Torricelli, comme Newton, comme Papin, comme Volta, il fut un être
utile. Il a aidé de nombreuses personnes « nihiliques » à se sentir moins
seules dans ce « monde de néant ». Alors honneur ! Honneur au « négateur
universel » Émile Cioran !
Il
paraît que Jack Sprat ne mange pas de gras. Il croit peut-être que ça
va lui boucher le cul ? Tu manges tout, mon gars, et fissa ! Pense aux
petits Biafrais ! Ou encore mieux, pense aux nihiliques qui n'ont rien à
se mettre sous la dent parce que « rien n'est ». Ils seraient bien
contents d'avoir du gras !
Quelqu'un
qui croit au quelque chose, vous ne le convaincrez pas que rien n'est.
Les sectateurs de l'être — les « quelque-chosistes » — sont
insensibles à l'argumentation. Comme saint Thomas, ils veulent voir.
Mais le Rien n'est pas une souris verte que l'on peut attraper par la
queue et montrer à ces messieurs ! Il faut le sentir !
Si
le nihilique était de Biarritz ou même d'Anglet, il ne traînerait pas à
la Chambre d'amour. Le nom est trop cucul et gnangnan pour son goût.
L'amour ! Il vous en foutra, de l'amour, lui, tuouaouar ! De toute façon
et quoi qu'il en soit, il est de Bezons, alors la question ne se pose
pas.
Dans
ce « monde de néant », tout est également sordide, abject, ennuyeux, et
il n'existe de grandeur qu'à le crier sur les toits. Or par un « coup de
moule » extraordinaire, c'est justement ce que le nihilique passe son
temps à faire !
Après
tout, pourquoi ne pas le dire ? La « source inverse, qui éponge » dont
parle Roger Caillois à la fin de son livre, c'est... « sa Majesté la
mort » ! Mais oui ! Elle nous éponge si bien qu'elle nous restitue au
pachynil. Mais vous l'aviez peut-être deviné ?
La
position quant au langage du Lord Chandos de Hofmannstahl pourrait se
résumer par cet aphorisme à la Wittgenstein : « Puisqu'on ne peut rien
dire, il faut se taire. » Lord Chandos est un déçu du vocable. Il a
d'abord tenté de dire les choses, mais ça n'a pas marché. Alors puisque
le langage « pue du cul », puisque les mots sont insuffisants et faux, le
mieux est encore de « fermer sa boîte à fromage ».