Forme de l'être

 

En 1964, Gabriel Marcel rencontre Emmanuel Levinas à l'Université Libre de Bruxelles et l'informe qu'il a résolu le mystère de l'être. Ou peut-être pas le mystère de l'être mais au moins la question de sa forme. « L'être est rond comme la roue d'une berouette », dit-il à Levinas. Ce dernier lui répond qu'il aurait tout envisagé sauf ça et qu'il est estomaqué à un point que c'en est inimaginable.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Vaincre la mélancolie

 

Le docteur Gachet, celui de Van Gogh, dit que les meilleures choses ont une fin, et que d'une façon ou d'une autre, il faut que la mélancolie se termine. D'après lui, elle peut se terminer par le suicide (cas de Van Gogh) ou simplement par un « coup de mousseux » accompagné d'une portion de tarte aux fruits.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Gongyle

 

Il doit exister une phrase, ce n'est pas possible autrement, il doit exister une formule magique qui nous permettrait de nous éveiller de ce cauchemar. Il faut juste la trouver. Peut-être quelque chose avec le mot gongyle ? Peut-être une phrase du style : « Les gongyles des conceptacles affectent la forme de petites massues allongées » ? — Non, il ne semble pas que ce soit ça. C'eût été trop beau.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Fourbe de Namur

 

Henri Michaux était un drôle de faux jeton : il écrivait des livres et mettait son nom dessus ! S'il avait été d'Anvers, il aurait pu être surnommé le Fourbe d'Anvers, mais il était de Namur.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Des larmes

 

Comme au docteur Richet, il nous répugne de penser que l'appareil lacrymal n'est qu'un hors-d'œuvre inutile, une superfluité. Ne nous servirait-il qu'à pleurer sur les misères et les folies des hommes, ce serait déjà pas mal.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Entrisme du réel

 

Le réel se sent trop faible pour agir « à drapeaux déployés ». Alors il s'infiltre sournoisement, il s'installe « en loucedé » dans chaque compartiment de notre vie. Il noyaute celle-ci qu'il voit comme une organisation rivale. Il est lambertiste.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Pas bouger

 

Voyager est un leurre. D'une part, ça coule par les côtés ; d'autre part, où qu'on aille, on transporte avec soi sa solitude et sa morosité. Il n'y a pas à en sortir. Et il y a encore autre chose : les gens d'ailleurs sont encore plus louches que les gens d'ici — et ce n'est pas peu dire.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Hippocastanacées, by Henri-Marcel Chissant

 

“Achingly beautiful! Coruscating! Wickedly funny! Chissant's Hippocastanacées holds the reader's attention in an iron grip. It will appeal to the serious scholar and general reader alike. A stunning debut!”

 

(The Montcuq Review of Books)

Musée des horreurs

 

Il est admissible et même approprié de dire que la vie est un musée des horreurs de Madame Tussaud. D'abord, on y rencontre des horreurs en tout genre. Ensuite, Tussaud veut dire fils du chaos en syriaque, et c'est l'un des noms du démiurge s'il faut en croire le gnostique Bardesane.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Beati pauperes

 

Pour être heureux, une condition signée Couasnon est de manquer totalement d'imagination. En effet, quand on a la faculté de se représenter tout ce qui pourrait arriver, on ne vit déjà pas — alors le bonheur...

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Déterminisme moral et théorie des quanta

 

Si, après l'avoir affamé pendant plusieurs jours, on place le chat de Schrödinger à égale distance de deux gamelles contenant des croquettes Canaillou, il ne saura pas laquelle choisir et mourra de faim tout en restant vivant d'un certain point de vue (celui de l'interprétation de Copenhague).

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Des mecs balaises

 

Les épicuriens, on se demande comment ils font. Ils « cueillent le jour », qu'ils disent. Apparemment, savoir qu'ils vont clamecer dans pas longtemps ne les empêche pas de « cueillir le jour ». On se demande comment ils font.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Portrait du Grandiloque

Émile Cioran était un penseur mélancolique spécialisé dans l'écriture d'aphorismes lugubres. Une tête de mort, une bulle de savon, une lampe sépulcrale : presque tous ses ouvrages sont marqués de ces tristes emblèmes ; mais avec une vérité qui étonne, et aussi qui repousse.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Pompon

 

Il est notoire que les individus souffrant de hernie montrent une morosité et une irascibilité hors du commun. Mais parmi ces moroses et ces irascibles, les plus moroses et les plus irascibles de tous sont ceux qui, en sus de leur hernie, doivent supporter une bonne femme à gros fiak. Ils fulminent et disent que « c'est le pompon ».

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Hippocastanacées, by Henri-Marcel Chissant

 

“A rollicking good time! Henri-Marcel Chissant is known for his razor-sharp wit, and Hippocastanacées is no exception. Hilarious and thought-provoking, this book had me laughing out loud from beginning to end. An absolute delight, compulsively readable. I can't wait to see what Henri-Marcel Chissant does next.”

 

(The Alaska Quarterly Review)

Un sacré « dilemne »

 

Selon Parménide, « être et penser ne sont qu'une seule et même chose ». À l'inverse, Marcel Rocabois affirme que « plus on pense, moins on est ». Qui croire ? Et pour quoi faire ?

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Mariage d'André Salmon

 

Apollinaire prétend qu'on a pavoisé Paris parce que son ami André Salmon s'y marie, mais ça nous étonnerait beaucoup vu qu'André Salmon et son mariage, tout le monde s'en fout. Au cul, André Salmon ! Au cul, le mariage d'André Salmon ! On a autre chose à penser ! On va clamecer, tu comprends ?

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Quousque tandem

 

Jusques à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? Jusques à quand emploieras-tu des expressions horripilantes telles que faire chabrot ?

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Embaumement

 

Hérodote décrit en ces termes la façon dont les Égyptiens embaument un corps : « Pendant que l'un lui fait sortir le cerveau par les narines, l'autre lui incise le ventre, en tire les entrailles et le farcit de myrrhe, de casse et de gomme aromatique. Et Vasile Vasidon Vasimimile. »

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Révision de connaissance

 

L'expérience nous enseigne que les graines de betterave produisent des betteraves et que les graines de concombre produisent des concombres. Mais si un jour une graine de betterave produisait une... tête de chien couché ? Comment réagirions-nous ?

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Conseil au Moi

 

Le Moi veut être reconnu, ne serait-ce que par un petit cercle de flatteurs. C'est cette prétention qui le rend si désagréable et ridicule. Plutôt que de faire des pieds et des mains pour être reconnu, plutôt que d'écrire des romans, de composer des sonates ou de peindre des tableaux de peinture, il ferait mieux de manger des choux-fleurs à la merde. C'est plein de minéraux et d'oligo-éléments, surtout la partie merde.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Rançon de la pensée

 

L'anémie, le découragement, la mélancolie, un sentiment aigu de la mortalité de l'être mortel... voilà les récompenses de l'imprudent qui commet l'erreur de « concevoir des pensées ».

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

À la portée de tout le monde

 

Même si c'est un « plus », il n'est pas nécessaire de s'appeler Émile Cioran pour être dégoûté de ce simulacre d'être que certains individus sans scrupules appellent le réel.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Incarnation

 

D'après la Bible, Dieu s'est fait homme, mais selon Guillaume d'Occam, il aurait pu tout aussi bien s'incarner sous la forme d'un âne, d'une pierre ou d'un morceau de bois. Le philosophe n'ajoute pas « pour ce que ça nous fait » mais on sent qu'il ne faudrait pas beaucoup le pousser. Il y va un peu fort, le copain !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Altération du principe vital

 

Que les rutabagas et les navets voient leur principe vital altéré par une chaleur excessive, passe encore, la nature est ainsi faite. Mais le nihilique, lui, ce n'est pas la chaleur, c'est la tronche de l'autrui lévinassien qui altère son principe vital !

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Paradoxe des gros sourcils

 

On peut trouver le réel infâme, l'existence infundibuliforme, et être néanmoins fasciné par une paire de sourcils particulièrement touffus.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Brodequins vs. existence

 

Dans le supplice des brodequins, les jambes étaient rapprochées à l'aide de cordes, après avoir été assujetties chacune entre deux planchettes de chêne ; ensuite, le bourreau introduisait à coups de maillet, entre les ais du milieu, des coins de fer ou de bois. Les jambes devenaient informes et les os brisés laissaient échapper la moëlle. Dans le supplice de l'existence, c'est pareil, sauf qu'au lieu que ce soit les jambes, c'est tout. On a l'impression de passer dans un hachoir à viande.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Attente

 

Le philosophe Anaximandre dit que le temps venu, les choses, pour avoir eu l'outrecuidance d'exister, « subiront la punition et la rétribution l'une par l'autre de leur impiété ». On attend de voir ça.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)

Berlue vauvenarguienne

 

Vauvenargues dit que dans les jardins publics il est des allées hantées principalement par l'ambition déçue, par les inventeurs malheureux, par les gloires avortées, par les cœurs brisés, mais il doit raconter ça pour faire « jore » ou alors il a des visions, le gars.

 

(Lucien Ganne, Syllogismes de la mer Rouge)