Ce
qu'il faut lire entre les lignes des « récits de voyage » : « Regardez
comme ma vie est plus excitante que la vôtre ! » — Seul problème mais
de taille : une « vie excitante », cela n'existe pas. Comme Lucien Rebatet
et Pierre-Antoine Cousteau, le vide est partout !
Le « négateur universel » Émile Cioran affirme qu'« aucune invention humaine
ne peut nous guérir de notre mal essentiel » (voulant sans doute dire par
là le fait d'exister). Pourtant, les chaînes hydroélectriques
Pulvermacher, celles-là mêmes dont le pharmacien Homais s'éprend
d'enthousiasme dans Madame Bovary, se font fortes dans leur réclame de
guérir les rhumatismes, les névralgies, les paralysies, la surdité, « et
cætera ». Qui croire ?
Nègre
de Surinam à ses heures, le nihilique, si on lui demandait ce qu'il
fait là dans l'état horrible où on le voit, répondrait : « J'attends mon
maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant. »
Outre
Verlaine lui-même, le « groupe Verlaine » incluait Arthur Rimbaud,
Tristan Corbière et Germain Nouveau. Ces quatre poëtes, quoique de
sensibilités diverses, étaient mus par un même idéal : l'isolation par
l'extérieur (avec aides de l'État).
Être
revenu de tout, avoir fait le tour de l'être et du non-être, et devoir
cependant acheter des brugnons au supermarché... Il y a de quoi devenir
fou.
Ne
devraient avoir le droit de s'exprimer que ceux qui sont parvenus au
dernier degré de la solitude. Seulement voilà : ils n'ont rien à dire.
C'est dommage, hein ?
Quand
on avait quelque chose et qu'on l'a perdu, il faut un certain temps
pour comprendre qu'en fait on n'avait rien, qu'on n'a jamais rien eu,
que tout cela n'était qu'un horrible malentendu.
Dans
ce « monde de néant », tout est faux. Le réel fait « jore », et quant aux
humains, n'en parlons pas. Du chiqué, partout du chiqué. Seuls les
animaux valent à peu près le coup — sauf les insectes, qui sont un peu « malaisants ».
Dans
son Prologue de Madame Putiphar, Pétrus Borel remarque avec justesse
que le bonheur vrai n'existe que dans la tombe. Le « décédé » fait fi des
plaisirs rongeurs et des amitiés fausses. L'ambition et les espoirs
déçus ont cessé de le tenailler. Le poëte résume tout cela en un vers
aussi contondant qu'un marteau de vitrier : « Sur la terre on est mal,
sous la terre on est bien ».
Un
humoriste a dit que « Beethoven était tellement sourd que toute sa vie il
a cru qu'il faisait de la peinture ». Eh bien, René Char, c'est un peu
pareil. Il était tellement con que toute sa vie il a cru qu'il faisait
de la poésie.
Quand
on visite un cimetière, on croise des morts et des vivants ; ces
derniers, inutile de se le cacher, puent atrocement des pieds « et c'est
encore avec les morts qu'on préfèrerait être ».
La
vie, ce n'est pas marrant. Après une quantité effarante de
tribulations, on arrive enfin rue Lepic devant chez Marchandot mais le
salop n'ouvre pas, il se terre, il a la trouille, et on est obligé de
gueuler : « Marchandot ! Marchandot ! Debout là-dedans ! Ton cochon,
Marchandot ! Marchandot ! Marchandot ! » au risque de se faire arrêter
par une patrouille (et bien sûr, ça ne manque pas).
Il
paraît que l'activité phénoménologisante procède à partir de l'étant,
remonte à sa structure constitutive et, même au niveau supérieur,
conçoit la relation de ce dernier à ce qui le précède en logifiant,
c'est-à-dire en saisissant la relation eidétique, et en ontifiant,
c'est-à-dire en saisissant comme étant le niveau ainsi appréhendé. Mais
c'est peut-être un « on-dit ».
En
décembre 1941, Ernst Jünger, alors affecté à l'état-major parisien de
la Wehrmacht, rencontre Louis-Ferdinand Céline à l'Institut allemand,
rue Saint-Dominique. Ferdine confie à son interlocuteur qu'il a
constamment la mort à ses côtés — « et, disant cela, il semble montrer
du doigt, à côté de son fauteuil, un petit chien qui serait couché là ».
N'est-ce pas bien trouvé ? Le coup du petit chien ? Sacré Ferdine !
Ces
gens qui, comme le peintre Eugène Boudin, demandent à mourir « face à la
mer » et se font transporter à Deauville pour y pousser leur dernier
soupir, on aimerait les souffleter. À quoi bon faire tant de chichis ?
Et qui croient-ils abuser, avec leur « mer » ? Mer ou pas mer, quand il
faut y aller, il faut y aller. — Je t'en foutrai de mourir face à la
mer, moi, tuouaouar !
Pour
savoir si le philosophe Jan Patočka dit vrai quand il soutient que « le
rapport entre les actes intentionnels et leurs objets ne peut être
ramené à des relations eidétiques purement objectives », il faudrait
d'abord savoir ce qu'est une « relation eidétique ». Et ça, c'est plus
facile à dire qu'à faire.
René Char : Le réel quelquefois désaltère l'espérance. C'est pourquoi, contre toute attente, l'espérance survit. Le nihilique : T'es un vrai céoène, toi, hein ?
« Être
un ermite chinois et se retirer sur une montagne froide... Trouver son
bonheur dans la voie de la vie quotidienne... Caguer parmi les nuages
et, une fois son affaire faite, se torcher le fondement avec des rochers
et du lierre brumeux... Ah ! Quel délice ! » (Les trente-trois délices
de Louis Ribémont, Trad. de Simon Leys)
Il
y a chez la femme quelque chose de chthonien. Elle a beau déployer
d'immenses efforts pour paraître céleste, on reconnaît à mille détails
qu'elle appartient au monde souterrain. Son corps, de couleur bleutée à
gris-noir, est composé d'un protoplasme flasque et caoutchouteux. Elle
creuse des tunnels dont les parois sont couvertes d'une sorte de lave
vitrifiée. Mais surtout, ce qui trahit son caractère chthonien, c'est
son appétence pour les infernaux « magazines féminins ».
Quand
ça ne va pas fort — quand ça ne « boume » pas —, il n'y a pas que le
suicide. On peut aussi aller au musée de l'Homme regarder des crânes et
des masques. — À condition d'être dans le coin, c'est-à-dire.
Le
véritable existentialiste ne se trémousse pas dans les caves de
Saint-Germain-des-Prés. Il n'écoute pas de jazz ni ne se pâme aux
mélopées de la fille Gréco. Non, mes amis. Le véritable existentialiste,
au contraire, se livre à des macérations continuelles. Il a une « écharde dans la chair ». Il ne peut oublier sa Némésis, une bourrelle du
nom de Régine Olsen, qui est devenue pour lui le symbole de l'existence
même (et suave).
Il y
en a qui parlent de l'absurde et on leur donne le prix Nobel. Pour
corroborer leur thèse ? D'autres qui parlent du Rien et on leur donne
peau de révérence parler zob. Pour la même raison ?
Pareil
au cagot, le nihilique est atteint d'une « lèpre intérieure ». Dans son
cas, cette « lèpre intérieure », c'est l'idée du Rien — la pensée que « rien n'est ». On devrait d'ailleurs dire la sensation du Rien, car comme
idée, elle ne vaut pas cher.
Écrire
n'a d'intérêt que si on le fait pour dire du mal de l'existence. Alors,
c'est thérapeutique. Sinon ça ne sert à rien, c'est juste bon à ennuyer
le populo. Lire, c'est pareil. On lit pour trouver confirmation que
l'existence n'est qu'une grosse tourte de m... L'âme humaine, on la
connaît assez, merci.
Il
est peut-être vrai, comme le prétend le Grandiloque, que « celui qui n'a
jamais envié le végétal est passé à côté du drame humain ». Mais se
faire grignoter par des doryphores ou autres bestioles, merci bien !
Non, non, plutôt le minéral.
Vers
1095, Pierre Abélard abandonne le foyer familial et l'oppidum du Pallet
pour se consacrer aux lettres, « échangeant les armes de la guerre
contre celles de la logique ». Il rencontre à Loches le chanoine
Roscelin, philosophe du nominalisme. Othon de Frisingen, ancien élève
d'Abélard dans les années 1130, le confirmera dans sa chronique : « Il
eut d'abord pour précepteur un certain Roscelin qui, le premier dans
notre siècle, introduisit dans la logique le système nominaliste. »
Abélard rencontra-t-il à Loches la célèbre Madame Bellepaire, connue
pour « avoir de la conversation » ? Othon de Frisingen ne le précise pas.
Qu'il
est difficile de vivre quand on souffre d'angoisse kierkegaardienne...
Cette oppression... Et cette sensation de vertige à la simple pensée
qu'on va devoir se livrer à une « action »... Pire que tout, une « action »
impliquant un contact avec le « monstre bipède »... Non, parole, ce n'est
pas marrant.