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vendredi 14 septembre 2018

Orang-outan


Le lendemain matin, le Juif errant était en vue ; il descendait la montagne à grands pas. Arrivé près de nous, le malheureux vagabond jeta un regard meurtrier sur le cabaliste ; mais remarquant qu'il ne pouvait se dérober, il se mit comme d'habitude entre moi et Velasquez, se tut un instant, puis reprit son récit en ces termes :

« Les orangs-outans sont de grands animaux roux, à douze paires de côtes, à bras extrêmement longs. On a cru longtemps qu'ils étaient, de tous les animaux existants, ceux qui se rapprochent le plus de l'homme ; mais les savants d'aujourd'hui estiment plutôt que ce sont les gibbons. »

Sur ce, le vagabond disparut dans une gorge proche.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

jeudi 13 septembre 2018

Alpinisme nihilique


Cependant nous arrivâmes au gîte, et Rébecca pria le duc de vouloir bien continuer à l'instruire de son système. Il donna quelques instants à la réflexion, ensuite, il commença en ces termes :

« Je me souviens de l'existence comme d'un portement de croix au milieu d'un Himalaya d'immondice, d'une Alpe de charogne. »

Velasquez ajouta encore à cette comparaison quelques autres développements, dont Rébecca parut sentir toute la valeur, et ils se séparèrent, réciproquement persuadés de leur mérite. 

 (Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Lavement


Le lendemain, nous nous remîmes en route, et fûmes bientôt rejoints par le Juif errant, qui reprit en ces termes le fil de son discours :

« Dans les Nouvelles formules de médecine de Pierre Garnier, on trouve la recette suivante du Lavement pour les Crottes ou grande constipation de ventre : "Prenez de grandes et petites passerilles de chacune deux onces ; faites boüillir tout dans s. q. de boüillon de tripes, puis dans chopine de coulûre on dissoudra demi-livre d'huile commune, quarante grains de trochisques alhandal en poudre, pour un lavement." »

Comme le Juif errant en était à cet endroit de sa narration, il se tourna vers Uzeda et lui dit : « Un cabaliste plus puissant que toi me force à te quitter. » Et il disparut à nos yeux.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

mercredi 12 septembre 2018

Tératologie


Le repos de la veille nous avait fait du bien. On se remit en route avec plus de courage. Le Juif errant n'avait point paru le jour précédent, parce que, ne pouvant rester un instant en place, il ne pouvait rien nous conter qu'autant que nous étions en marche nous-mêmes ; aussi n'avions-nous pas fait un quart de lieue qu'il parut, reprit sa place accoutumée entre Velasquez et moi, et commença en ces termes :

« M. Augustin Pyramus de Candolle, dans ses Mémoires sur la famille des légumineuses, affirme avoir observé des fleurs de haricot commun qui avaient accidentellement les ailes, et quelquefois même les deux pièces de la carène transformées en étamines chargées d'anthères ; monstruosité curieuse qui rappelle le fait plus curieux encore observé par M. Jacquin fils du Capsella bursa pastoris dont les quatre pétales se transforment quelquefois en étamines surnuméraires ! »

Comme le Juif errant en était à cet endroit de sa narration, nous arrivâmes au gîte, et l'infortuné vagabond se perdit dans les montagnes.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Brodequins


Pendant la soirée, le Bohémien, se trouvant de loisir, reprit en ces termes la suite de son histoire :

« La vie est un long supplice des brodequins, pensée renouvelée de Blaise Pascal. »

Comme le Bohémien en était à cet endroit de sa narration, on vint l'appeler, et lorsqu'il fut sorti, Velasquez dit d'un air assez triste : « J'avais bien prévu que les histoires du Bohémien s'engrèneraient les unes dans les autres ! »


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

mardi 11 septembre 2018

Reginglette


L'on remonta à cheval pour errer encore dans les montagnes, et lorsqu'on eut marché environ une heure, l'on vit paraître le Juif errant. Il prit sa place accoutumée entre Velasquez et moi, et reprit en ces termes la suite de son histoire :

« Tout est prétexte à rancœur pour celui que l'idée du suicide démange. Par exemple : le vocable reginglette. »

Ici, j'interrompis le Juif errant et lui observai que l'eucharistie semblait appartenir uniquement à la religion chrétienne.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Cornifle


Nous fûmes à cheval d'assez grand matin. Le Juif errant, qui ne croyait pas que nous pussions partir d'aussi bonne heure, s'était beaucoup éloigné. Nous fûmes longtemps à l'attendre ; enfin il parut, reprit sa place auprès de moi et commença en ces termes :

« Le cornifle immergé aussi appelé cornifle nageant ou cératophylle épineux (Ceratophyllum demersum) est une espèce de plante aquatique de la famille des Ceratophyllaceae, à tige dépourvue de racine. Le cornifle constitue une excellente nourriture pour les poissons herbivores. »

Arrivé à ce point de son récit, le Juif errant s'éloigna, et Velasquez nous assura qu'il ne lui avait rien appris de nouveau, et que tout cela se trouvait dans le livre de Jamblique.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Gerard Ter Borch le jeune


On se remit en route d'assez bonne heure, on suivit un chemin qui nous conduisit dans les vallées les plus intérieures de la chaîne, et au bout d'une heure l'on aperçut le Juif Assuérus, qui vint prendre sa place entre Velasquez et moi et qui reprit en ces termes la suite de son histoire :

« Gerard Ter Borch le jeune... »

Comme le Juif errant en était à cet endroit de son récit, nous arrivâmes au gîte, et il se perdit dans les montagnes.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

lundi 10 septembre 2018

Hydre


Rébecca, s'adressant au Bohémien, lui dit : « Lorsqu'on est venu vous interrompre, vous nous disiez, je crois, que les deux dames, s'étant assurées de n'être point vues, traversèrent la rue pour entrer dans la maison du chevalier de Tolède ». Le chef bohémien, voyant que l'on désirait avoir la suite de son histoire, en reprit le fil en ces termes :

« L'hydre ou polype d'eau douce est un pluricellulaire complexe d'apparence végétale. Les savants considèrent que ce polype est quasi immortel, du fait de ses capacités régénératrices. Il possède six à dix tentacules urticants qui entourent, révérence parler, la bouche-anus, et reconstitue rapidement les parties qui lui sont enlevées. Un polype s'accroche généralement par son pied au milieu environnant mais il peut aussi migrer et se suspendre à la surface de l'eau par tension superficielle. Sans point d'accroche, le polype ne nage pas et coule lentement dans l'eau, semblable en cela au suicidé philosophique. »

Comme le Bohémien en était à cet endroit de son récit, on le vint interrompre ; il fut obligé de nous quitter et l'on se sépara.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Muge


Le Juif errant, étant arrivé près de nous, en fut quitte pour quelques reproches assez vifs que le cabaliste lui fit dans une langue que je n'entendais pas. Ensuite, il lui ordonna de se tenir près de mon cheval et de reprendre son histoire à l'endroit où il l'avait laissée. L'infortuné vagabond ne répliqua pas et commença en ces termes :

« Le muge est un poisson des mers tempérées appelé aussi mulet, se nourrissant de matières organiques en décomposition dans la vase des fleuves, et dont la chair est très estimée. Œufs de muge séchés. »


Je ne sais quel bruit dans la caravane interrompit le récit du Juif errant. Il en profita pour s'évader, et bientôt nous arrivâmes au gîte. Notre repas était préparé et même servi. Nous mangeâmes avec l'appétit ordinaire aux voyageurs, et lorsqu'on eut ôté la nappe, nous allâmes nous coucher.

(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

dimanche 9 septembre 2018

Alcoolats


On se rassembla d'assez bonne heure et le Bohémien, se trouvant de loisir, reprit en ces termes le fil de son histoire :

« Dans la solitude, s'enivrer des alcoolats du Rien. À savoir, primo : nier l'existence de la matière ; deuzio : se tuer. »

Lorsque le Bohémien en fut à cet endroit de son récit, on vint l'appeler ; et lorsqu'il fut sorti, Velasquez prit la parole et dit : « En vérité, je redoute extrêmement cette histoire. Toutes celles du Bohémien commencent d'un air fort simple et l'on espère en voir bientôt la fin, point du tout, une histoire en renferme une autre, qui en contient une troisième. » Mais Rébecca le pria de « clore son bec ».


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Torsion du néant


Le déjeuner nous rassembla tous d'assez bonne heure. Ensuite, voyant que le chef bohémien se trouvait de loisir, Rébecca le pria de reprendre la suite de son histoire, ce qu'il fit en ces termes :

« Une torsion du néant chargée négativement... voilà l'homme. »

Comme le Bohémien en était à cet endroit de son récit, on vint le chercher pour les intérêts de sa peuplade. Lorsqu'il fut sorti, Velasquez prit la parole et dit : « J'ai beau faire attention aux récits de notre chef, je n'y puis plus rien comprendre. Qu'est-ce que c'est que ces aphorismes absurdes? »


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

samedi 8 septembre 2018

Courses


Nous restâmes encore en place ce jour-là. Le Bohémien se trouva de loisir et Rébecca saisit la première occasion de lui demander la suite de son histoire. Il ne se fit pas beaucoup prier et commença en ces termes :

« — Et avec ceci ?
   — Une grosse tranche de non-être. »


Comme le Bohémien en était à cet endroit de sa narration, on vint le chercher pour les intérêts de la horde, et nous ne le revîmes plus de la journée.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Bouillie bordelaise


L'on choisit un bel ombrage pour y servir un dîner plus recherché que nos repas ordinaires et lorsqu'il fut fini, Rébecca dit que le chef bohémien n'étant pas occupé comme de coutume, il n'y aurait pas d'indiscrétion à lui demander la suite de son histoire. Il ne se fit pas prier et commença en ces termes :

« En vue de la destruction des larves néonates avant leur pénétration dans le fruit, Böhm avec le zeidane et Fisher au moyen du parathion conseillaient deux pulvérisations espacées de quinze jours environ. Le suicidé philosophique, lui, c'est incessamment qu'il recouvre le feuillage du Grand Tout de cette autre bouillie bordelaise : son désespoir véliforme. »

Comme le Bohémien en était à cet endroit de sa narration, un de ses gens vint lui parler des affaires de la horde. Il nous quitta et nous ne le revîmes plus de la journée.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

vendredi 7 septembre 2018

Caïman


Nous nous mîmes encore à errer dans les Alpujarras. Nous arrivâmes au gîte et, lorsque nous eûmes soupé, l'on pria Velasquez de continuer l'histoire de sa vie, ce qu'il fit en ces termes :

« Celui qu'enveloppent les draps glacés de l'angoisse, celui-là est incurieux. Il ne songe pas à s'émerveiller des prodiges de l'esprit humain ni à admirer la brièveté du style de Salluste. Son cerveau ressemble au désespoir muet des caïmans. »

Comme Velasquez en était à cet endroit de sa narration, il parut distrait, et comme nous vîmes qu'il avait quelque peine à retrouver le fil de son discours, nous le priâmes d'en remettre la suite au lendemain.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Clupea pilchardus


Lorsque nous fûmes à table, c'est-à-dire autour d'une nappe de cuir étendue à terre, le cabaliste se mit à tenir plusieurs propos qui annonçaient son mécontentement contre le monde des esprits. Il reprit le même sujet lorsque nous eûmes achevé de manger. Sa sœur, qui semblait y trouver de l'inconvenance, fit ce qu'elle put pour donner un autre tour à la conversation. Enfin, elle pria Velasquez de raconter son histoire, ce qu'il fit en ces termes :

« Incapable de nager, dépourvu de branchies, et cependant pilchard. »

Comme Velasquez en était à cet endroit de sa narration, le cabaliste l'interrompit parce qu'il avait, disait-il, des choses importantes à communiquer à sa sœur. Nous nous séparâmes donc, et chacun s'en alla de son côté.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

jeudi 6 septembre 2018

Persévérance


Nous nous mîmes en chemin d'assez bonne heure, et lorsque nous eûmes fait une couple de lieues, nous fûmes joints par le Juif errant qui, sans se le faire répéter, se plaça entre mon cheval et la mule de Velasquez et commença en ces termes :

« Il n'est vraiment nul besoin de réussir pour persévérer, particulièrement dans l'être. »

Comme le Juif errant en était à cet endroit de son histoire, il s'arrêta tout à coup et, fixant le cabaliste d'un air arrogant, il lui dit : « Fils impur de Mamoun, un adepte plus puissant que toi m'appelle sur les sommets de l'Atlas. Adieu ! » Puis il s'éloigna, et bientôt nous le perdîmes de vue.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

mercredi 5 septembre 2018

Crapaud


Le Juif errant sembla vouloir résister, mais le cabaliste lui adressa quelques mots inintelligibles, et l'infortuné vagabond commença en ces termes :

« Comme le crapaud, qui ingère sans dommage des proies toxiques, telles que les coléoptères vésicants (cantharides, méloés), des araignées et des chenilles urticantes, je me goinfre de Rien sans que cela n'érode ma pachyméninge. »

Comme le Juif errant en était à cet endroit de sa narration, le cabaliste lui dit : « Mon ami, en voilà assez pour aujourd'hui, car nous sommes au gîte. Tu passeras la nuit à tourner autour de cette montagne, et demain tu nous joindras sur la route. Quant à ce que j'ai à te dire, ce sera pour une autre fois. » Le Juif errant jeta un regard affreux au cabaliste et se perdit dans le creux du vallon.

(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

mardi 4 septembre 2018

Courge


L'on partit en effet. L'on marcha une partie du jour. On s'arrêta, se rassembla dans la tente du chef. Et lorsque l'on eut soupé, on le pria de continuer l'histoire de sa vie ; ce qu'il fit en ces termes :

« Souvent je pense à cette courge d'Afrique et d'Asie, dont la pulpe sillonnée de fibres coriaces donne, séchée, l'éponge végétale. »

Comme le chef bohémien en était à cet endroit de son histoire, on vint le chercher. Chacun de nous fit quelques réflexions sur une histoire aussi bizarre. Mais le cabaliste nous promit des récits bien plus extraordinaires que devait nous faire le Juif errant, et il nous assura que le lendemain sans faute nous rencontrerions l'extraordinaire personnage.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

lundi 3 septembre 2018

Corymbe


Le chef bohémien, me voyant quelques dispositions à me fâcher, voulut donner un autre tour à la conversation et dit : « Si la société le trouve bon, je continuerai l'histoire que j'avais commencée hier. » Rébecca dit que rien ne pouvait lui être plus agréable, et le chef commença en ces termes :

« Le corymbe (latin corymbus, du grec korumbos, grappe) est une inflorescence dont les pédoncules naissent de différents points de la tige et s'élèvent tous à peu près à la même hauteur. — "Tandis que je me vautrais dans une inaction propice à l'annihilation du Moi, un gel tardif a rôti mes blancs corymbes." »


Ici, le chef des Bohémiens s'arrêta et, prétextant un besoin pressant, disparut derrière un buisson.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)