La sagesse populaire se représente le suicidé philosophique comme le sujet d'un tableau du Greco : longiligne et émacié, avec un regard profond et tragique.
Mais quand il consulte son médecin pour de violentes douleurs abdominales, des épisodes de constipation, des vomissements et une perte d'appétit qui l'a délesté de cinq kilos en deux semaines, il ressemble plutôt à l'un de ces cacochymes vieillards croqués par Daumier.
Et la seule chose qui lui importe alors, ce n'est pas de « trouver une falaise du haut de laquelle se jeter, ou un petit pan de mur jaune sur quoi se fracasser », mais de savoir s'il peut s'agir d'une maladie inflammatoire chronique susceptible d'atteindre tout le tube digestif et éventuellement la peau, les articulations et les yeux (maladie de Crohn). (Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Parmi toutes les sortes de solitude que doit affronter l'homme durant sa vie, la plus terrible est sans conteste la solitude des fêtes foraines. L'étant existant s'y sent comme devant un écran transparent mais épais qui arrêterait les échos de la vie. La foule de badauds semble composée de petits personnages sortis de terre, dérisoires, grimaçants, comme exhumés d'une nécropole aztèque.
Les montagnes russes, les grandes roues, les chenilles, les nacelles en tout genre qui vous secouent dans tous les sens et vous mettent la tête en bas, les cylindres où l'on se place le dos à la paroi et où l'on fait l'expérience de la force centrifuge, tout cela a quelque chose d'infernal et le sujet pensant, réalisant enfin qu'il s'est fourvoyé dans un lieu festif de mort, se prend à envier la solitude infiniment plus bénigne des deux alcooliques du Verre d'absinthe de Degas ou celle des vieillards croqués par le cruel Daumier. (Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)