mercredi 31 octobre 2018

Interlude

Jeune fille lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Bourrage au sable


« À Pesay, où des suicidés philosophiques utilisèrent les uns l'argile, les autres le sable, on obtint pour résultat la rupture du Moi dans le premier cas et pas la moindre fissure dans le second. La bourre au sable n'est donc, en aucune manière, applicable à l'homicide de soi-même, car le sable est projeté au dehors et le Moi reste intact. Ce procédé est actuellement complètement abandonné. » (Ami Théodore Ponson, Exposition comparative des méthodes employées en Belgique, en France, en Allemagne et en Angleterre, pour l'arrachement du Moi, Liège, Noblet, 1852)

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Terreur de la pensée


Me saisit en son cortile l'horreur propre à l'intellection.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Chausse-trape


Celui qui s'appliquera à classifier le réel fera bien de se garder du défaut dans lequel sont tombés Linné et Scopoli au sujet des poissons cartilagineux, en les reportant parmi les amphibies 1.

1. Fort heureusement, Gmelin a rétabli avec juste raison les deux familles des branchiostèges et des chondroptérygiens.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune femme lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Aperception du Rien


Selon Bichat, les rayons lumineux doivent, pour être aperçus, frapper notre rétine. De même, les aliments doivent se mettre en contact avec nos organes s'ils veulent être assimilés en notre propre substance. Dans l'ordre de l'esprit, de façon analogue, pour que l'idée du Rien nous imprègne, il faut d'abord qu'elle entre en collision avec notre pachyméninge. Le commerce de la femme y aide beaucoup, au dire de Gragerfis (Journal d'un cénobite mondain).

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Encellulement phrastique


Claquemuré dans l'épaisseur trouble du vocable.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Amputation


Au colt Frontier des suicidés philosophiques, Origène préféra le couteau de cuisine, et il ne visa pas directement le Moi, mais un simple acolyte.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

L'actrice Sylvia Kristel lisant Forcipressure d'Étienne-Marcel Dussap

Folie circulaire


En septembre 1911, le Moi est envoyé une première fois à l'asile de Ville-Évrard, en Seine-et-Marne, avec un diagnostic de « dépression mélancolique » occasionnant, selon le médecin-chef, une grande faiblesse de l'attention et l'impossibilité de tout travail intellectuel. Un diagnostic ultérieur de « folie circulaire » et de « paralysie générale » laisse deviner une psychose maniaco-dépressive, peut-être aggravée par les effets tardifs d'une intoxication par l'idéalisme fichtéen.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Volonté de divinité


L'omnipotence jubilatoire et hyperesthésique du suicidé.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Un remède souverain contre la gravelle


« Lorsque l'expulsion des pierres est continuelle, et lorsque la prêle, la verge d'or, le lierre terrestre, les framboises, le marrube blanc, la bétoine de Paul, l'impératoire, les sommités de mille-feuille, les mauves, l'écorce de la racine de l'aubépine d'Égypte, les différentes espèces de mousses, les baies de genièvre torréfiées, les framboises séchées, les noyaux et le fruit rôti des cerises, se révèlent tous impuissants à stopper la maladie, il faut nécessairement faire usage de l'idée du Rien. On en prendra une cuillerée le matin, sur laquelle on boira du thé. On a remarqué que des personnes qui avoient été tourmentées pendant plusieurs années de douleurs néphrétiques, s'étoient fort bien trouvées de l'usage de cet électuaire. » (Robert James, Dictionnaire universel de médecine, Trad. par MM. Diderot, Eidous et Toussaint, Paris, 1746)

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

mardi 30 octobre 2018

Interlude

Jeune femme lisant l'Appel du nihil de Martial Pollosson

Jusqu'au-boutisme


À l'instar de Simmel, le suicidé philosophique rejette toute définition organiciste de l'individu, car une telle définition induit trop à ses yeux le fait de penser le Dasein comme une entité cohérente et autonome. Mais son opposition, contrairement à celle de Simmel, prend la forme d'un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe, et il s'oppose jusqu'à ce que mort s'ensuive.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

La vie


Tout cela n'est ni tragique, ni héroïque. Il ne s'agit que de l'épuisement d'un possible.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Cautérisation du Dasein


« L'idée du Rien, affirme Hippocrate, est ennemie de toute pourriture, parce qu'elle consume et dessèche l'humidité imbue en la pachyméninge, et corrige l'intempérature froide et humide ; ce que ne fait pas l'idéalisme transcendantal, lequel, aux esprits cacochymes, cause quelquefois inflammation, gangrène et mort. »

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune femme lisant les Exercices de lypémanie de Marcel Banquine

Un sceptique de notre temps


Disciple moderne de Pyrrhon, le fantaisiste français Joseph Pujol (né à Marseille le 1er juin 1857 – mort en 1945), dont le nom de scène était le Pétomane, acquit la célébrité pour le don qu'il avait de contrôler ses muscles abdominaux. Cette étonnante faculté lui permettait de lâcher des gaz à volonté : il pouvait ainsi jouer Au clair de la lune avec un flûtiau, et éteindre les lumières de la scène. On prétend même qu'il pouvait jouer O sole mio en soufflant dans un ocarina par l'intermédiaire d'un tuyau relié à son fondement. Dans l'intimité, il professait le doute systématique et la suspension du jugement, allant jusqu'à soutenir qu'il est impossible de savoir si nous savons quelque chose. Non plus que de Pyrrhon, aucun écrit de Pujol ne nous est parvenu.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Dur labeur


Édifier sa vie comme un dithyrambe à la gloire du Rien.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Introspection


« Fouillant les circonvolutions de ma pachyméninge, je cherche le diverticule où l'idée du Rien a son siège. Je le trouve enfin. L'endroit est désert, comme tous les bouts de ville qui ont l'air oubliés même de leurs habitants, mais sans rien d'inquiétant ou d'insolite. »

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune femme lisant la Nostalgie de l'infundibuliforme de Robert Férillet

Impudence philosophique


« Ils sont encore une foule de subtiles niaiseries bien plus spirituelles que toutes celles-là. Ce sont des notions, des relations, des formalités, des quiddités, des haeccéités, toutes choses qui ne peuvent être aperçues que par ceux qui ont d'assez bons yeux pour voir, au milieu des plus épaisses ténèbres, ce qui n'existe nulle part. » (Érasme, Éloge de la folie)

— Oh ! Oh ! Comme tu y vas, mon ami !


(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Stupeur


Le réel est aussi le lieu de mon inaptitude à la pensée.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Pêche au concept


Le philosophe entre nu ou presque nu dans la vase de la « réalité empirique » ; il examine les endroits où se sont enfouis les concepts, et que l'on reconnaît aux trous en entonnoir qu'ils forment pour leur respiration ; il les en fait sortir par la compression ou l'ébranlement de ces entonnoirs, et il les prend à la main, ou il les assomme avec un bâton.

(Thésar du Jin, Carnets du misanthrope)

lundi 29 octobre 2018

Interlude

Jeune fille lisant Prière d'incinérer. Dégoût de Luc Pulflop

Preuve par le boyau


L'Anglais William Derham (1657-1735), quoique son nom ne brille guère au firmament de la philosophie, est l'auteur d'une ingénieuse démonstration de l'existence de Dieu : « La conformation singulière des intestins, leurs tuniques, leurs glandes, leurs fibres qui se croisent les unes les autres, leur mouvement péristaltique, leurs contorsions en forme de limaçon pour retarder le mouvement du chyle : ces merveilleux ouvrages du Créateur prouvent tous évidemment que l'objection des athées est entièrement frivole, et n'est appuyée sur aucun fondement. » (William Derham, Théologie physique ou démonstration de l'existence et des attributs de Dieu tirée des œuvres de la création, Jean Daniel Beman, Rotterdam, 1726, pp. 288-290)

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Nosographie de l'étant existant


L'ulcère ornemental de l'idée.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Opportunisme


« Convaincu que l'union fait la force, je décidai de m'entendre avec l'existentialiste chrétien dans un même sentiment de haine ou de dégoût pour ce qui est, dans un même besoin de détruire le réel ou d'y échapper. »

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune fille lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Dangers de l'ontologie critique


« Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Toujours est-il qu'après avoir lu les Méditations personnelles sur la philosophie élémentaire de Johann Gottlieb Fichte, le Moi perdit toute apparence humaine. Ce fut un animal très vieux, très sale, qui songeait près d'un feu de bois dans son grenier et murmurait d'une voix sénile et cassée des chansons des jours passés, en faisant cuire des pommes de terre pour se conserver une tenace étincelle de vie. »

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Nouvelles investigations sur l'être (suite)


La rémoulade n'est qu'une sauce, pas même un concept ; une sauce faite de fines herbes, ail, huile et jus de citron, qui se sert avec des viandes froides et des poissons cuits au court-bouillon.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Futilités


Croire à l'existence du prince André Bolkonski, de Pierre Besoukhov et tutti quanti, cela est trop demander à celui que son viscère met au supplice. Quant à l'historicité réelle ou supposée du cosaque Lavroucha, elle n'allège en rien le fardeau de son haeccéité.

(Thésar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune fille lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Destin manqué


Il est notoire que l'embryon humain possède des fentes branchiales. Mais alors, pourquoi, en se développant, n'acquiert-il pas une symétrie radiaire et ne se fixe-t-il au fond de l'eau ?

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Lexicologie


Rudéral est ce qui croît dans les décombres.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Le catoblépas


« Me dérange qui voudra ! je ne bouge. Toujours je reste ainsi, à sentir sur mon dos la chaleur cuisante du soleil et sous mon ventre la chaleur douce de la terre ; ma tête est si lourde que je ne peux la lever, je la roule au bout de mon cou, la mâchoire entr'ouverte j'arrache les herbes vénéneuses arrosées de mon haleine, cela fait autour de moi un demi-cercle pâle ; mais je mange si lentement qu'elles ont le temps de repousser d'un côté pendant que je suis à brouter l'autre. Une fois pourtant, à force de me lécher les pieds, je me les suis dévorés sans m'en apercevoir. Personne n'a jamais vu mes yeux, ou ceux qui les ont vus sont morts. » (Gustave Flaubert, La Tentation de saint Antoine)

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

dimanche 28 octobre 2018

Interlude

Jeune femme lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Anatomie comparée


« Les ambulacres, organes propres de la locomotion, si développés chez les échinides et les astérides, manquent à peu près chez les idéalistes allemands. De même, les pédicellaires brillent par leur absence. On ne trouve en effet, à la surface du corps de ces philosophes, que des crochets destinés à fixer les concepts, mais point d'organes préhenseurs articulés, ce qui a amené certains savants à douter de leur capacité à saisir quoi que ce soit. » (Henri de Lacaze-Duthiers, « Les ophiurides », in Revue des cours scientifiques de la France et de l'étranger, vol. 3, Germer Baillière, Paris, 1865-1866)

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Nouvelles investigations sur l'être (suite)


Réduire un jus, une sauce, c'est les faire épaissir par évaporation.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Moments de la légende


Robinson Crusoé découvrant, incrédule, des empreintes de pas ; Ulysse bandant son grand arc ; Hamlet brandissant le crâne du bouffon Yorick ; l'homme du nihil hurlant ses imprécations à la face du Grand Tout : ce sont là des moments cruciaux de la légende, et chacun restera à jamais gravé dans les mémoires.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

Interlude

Jeune femme lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Dangers de la spéculation philosophique


La promenade en barque sur l'eau moirée des concepts séduit. On glisse entre deux rives. Le ciel est bleu, le fleuve est paisible. Hélas ! le bateau bascule et l'on se noie sous le regard ontologique critique de Johann Gottlieb Fichte, impuissant.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Marasme journalier


Un goût de cuivre dans la bouche, une langue spongieuse et violacée, un crâne ferraillant... — pathologie du quotidien.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Acte spontané


À côté des mesquineries vagues dont la vie des hommes est remplie, ce simple geste — l'acte défécatoire — fait enfin plaisir, on le sent véritablement spontané, même si au fond il traduit peut-être plus d'embarras que de vraie humilité.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeunes femmes lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Discontinuité du réel


La nature discontinue de la réalité physique fulgure dans le cas du picodon fermier. Si l'on sait en effet, d'une part, qu'une certaine quantité d'électricité est nécessaire à l'électrolyse d'une mole (ou molécule-gramme) d'un corps donné, et si l'on sait par ailleurs combien cette mole contient d'atomes (d'après le nombre d'Avogadro), il est possible, en tenant compte de la valence des éléments, de calculer la charge associée à chaque molécule de picodon. Cette discontinuité permet de comprendre pourquoi le picodon fermier est nettement distinct, par exemple, du reblochon de Savoie.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Frou-frou


Dans le silence d'un univers que je n'écoute même pas, seul me distrait le bruissement haï de mon haeccéité.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Découverte sensationnelle


Le 1er avril 1878, à Bernissart, en Belgique, des mineurs font la découverte de 29 squelettes d'iguanodons à 322 mètres de profondeur. Les reptiles dinosauriens sont en parfait état et mesurent près de 10 mètres de long. Ils seront exposés à l'Institut royal de sciences naturelles de Bruxelles.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

samedi 27 octobre 2018

Interlude

Jeune fille lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Ambitions et moyens


À l'instar des Numides, qui portèrent la dévastation jusqu'aux eaux de Sinuessa, l'homme du nihil aimerait répandre la déroute et la terreur au centre même de l'Être. Seulement voilà : ses crocs sont limés et cariés !

(Thésar du Jin, Carnets du misanthrope)