« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
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lundi 27 août 2018
Légèreté de l'étant existant
« Un hypocondriaque, dominé par l'idée du suicide, se mit à faire des recherches très longues sur les différents genres de morts, dans l'intention de choisir celui qui serait le moins douloureux. Après plusieurs mois d'études bibliographiques, il se trouva qu'il avait totalement oublié son but. » (A. Brierre de Boismont, Du suicide et de la folie suicide, Germer Baillière, Paris, 1856)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
mardi 10 juillet 2018
Coprésence marcellienne
« Un Anglais, dit le Dr. Perfect (Annals of Insanity), avoit acquis à cinquante-huit ans une fortune immense par le commerce ; il résolut alors de se retirer à la campagne et de jouir dans toute son étendue de ce qu'on appelle otium cum dignitate.
Vers le quatrième mois de cet heureux changement, il commence à ressentir de l'accablement et une contraction spasmodique dans la région de l'estomac ; plus d'appétit ; les idées confuses, et les battements des carotides devenus irréguliers et tumultueux ; l'abdomen paroît resserré et tendu ; la tête est douloureuse ainsi que l'hypochondre gauche.
Un ami le persuade de consulter les Prolégomènes à une métaphysique de l'espérance de Gabriel Marcel. Sa lecture de l'ouvrage à peine terminée, le malade se met à critiquer le cogito cartésien, exaltant au contraire la "coprésence" marcellienne. Pour lui, Descartes enferme le Moi dans sa propre coquille : le "je pense" est un carcan dont nous ne saurions nous défaire ; si nous suivons Descartes nous ne ferons que représenter autrui ou monologuer sur lui, et cetera, et cetera.
Dès lors, sentiment d'une chaleur fugace, soif fébrile, digestions imparfaites, conduite, propos, actes bizarres et pleins d'extravagance, et vrai délire mélancolique. La mort, qui le guettait depuis longtemps au centre des marais Pontins, vient fermer quelque temps plus tard cette carrière de souffrances. » (Philippe Pinel, Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale, Paris, Brosson, 1809)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
lundi 25 juin 2018
Intentionnalité husserlienne
« M. G..., qui depuis plusieurs mois présente les symptômes d'une démence paralytique primitive, sans autre perversion intellectuelle qu'un optimisme général, peu accusé d'ailleurs, entre dans une période plus aiguë de sa maladie.
Il devient d'abord inquiet, mobile, et mange mal ; puis il est dans une terreur constante, se met à genoux en faisant le signe de la croix, repousse les aliments ; les idées hypochondriaques les plus bizarres passent dans son esprit.
Entre autres choses, il nous dit un matin, pendant que nous cherchons à le rassurer, que selon Husserl, toute conscience est conscience de quelque chose, que pour le même Husserl, il s'agit de penser le "vécu de conscience" comme une intention (c'est-à-dire la visée d'un objet qui demeure transcendant à la conscience), qu'on doit distinguer l'intentionnalité transversale, dans laquelle se constitue "l'objet temporel", de l'intentionnalité longitudinale dans laquelle la conscience rétentionnelle est consciente de sa propre durée, mais que tout cela n'empêche pas qu'on va le faire mourir en lui coupant le cou, afin de s'emparer de ses vertèbres qui sont tout d'or. » (Achille Foville, Étude clinique de la folie, avec prédominance du délire des grandeurs, Paris, J.-B. Baillière, 1871)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
jeudi 7 juin 2018
Hypocondrie
La sagesse populaire se représente le suicidé philosophique comme le sujet d'un tableau du Greco : longiligne et émacié, avec un regard profond et tragique.
Mais quand il consulte son médecin pour de violentes douleurs abdominales, des épisodes de constipation, des vomissements et une perte d'appétit qui l'a délesté de cinq kilos en deux semaines, il ressemble plutôt à l'un de ces cacochymes vieillards croqués par Daumier.
Et la seule chose qui lui importe alors, ce n'est pas de « trouver une falaise du haut de laquelle se jeter, ou un petit pan de mur jaune sur quoi se fracasser », mais de savoir s'il peut s'agir d'une maladie inflammatoire chronique susceptible d'atteindre tout le tube digestif et éventuellement la peau, les articulations et les yeux (maladie de Crohn).
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
samedi 26 mai 2018
Théorème d'élimination des coupures
Le théorème d'élimination des coupures (ou Hauptsatz de Gentzen) a été prouvé par Gerhard Gentzen en 1934 dans son article « Investigations in Logical Deduction » pour les systèmes formalisant les logiques intuitionniste et classique. Il dit que si l'on peut prouver une déclaration dans le calcul des séquents en faisant usage de la règle de coupure, alors cette déclaration possède aussi une preuve sans coupure.
Ce théorème fut toutefois impuissant à sauver le peintre Mark Rothko — qui l'ignorait sans doute. Devenu hypochondriaque, et n'en pouvant plus d'être classé parmi les représentants de l'expressionnisme abstrait américain, catégorisation qu'il jugeait « aliénante », Rothko se suicide début 1970 à New York.
Le 25 février, son assistant trouve le peintre dans sa cuisine, allongé, mort, couvert de sang, devant l'évier. Il s'était tailladé les bras au-dessus de l'articulation des coudes avec un rasoir !
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
vendredi 11 mai 2018
Conseils à un hypocondriaque
Vous êtes jeune, en relativement bonne santé, mais l'ennui vous dévore, votre intelligence s'affaiblit, vous ne digérez plus, vous ne dormez plus, et la vie est pour vous un supplice. Vous voulez, dites-vous, quitter la ville, vous soupirez après la campagne, mais vos habitudes paresseuses vous retiennent dans votre « cagibi rienesque ».
Pour dissiper cet état d'inertie, vous appelez en vain à votre secours le café, l'alcool, les romans de Georges Perec. Ces excitants vous réveillent un moment, puis vous jettent dans une stupeur léthargique.
Pitoyable mollusque ! Protiste tératogène ! c'est votre vie entière qu'il faut réformer. Certes, ce n'est ni sur les quais de la Seine, ni au jardin du Luxembourg que vous trouverez un remède à vos maux. Mais ce n'est pas non plus dans l'air raréfié des montagnes, ni dans la riante campagne où le vent fait plier les moissons, où les jolis chemins sont bordés de pommiers, et où les petits liserons montrent leur corolle d'un rose si doux. Non, aux doubles-vécés tout cela ! C'est dans l'homicide de soi-même, cher ami, que vous trouverez enfin le repos 1.
1. Dix grammes de taupicide, en une seule prise.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Pour dissiper cet état d'inertie, vous appelez en vain à votre secours le café, l'alcool, les romans de Georges Perec. Ces excitants vous réveillent un moment, puis vous jettent dans une stupeur léthargique.
Pitoyable mollusque ! Protiste tératogène ! c'est votre vie entière qu'il faut réformer. Certes, ce n'est ni sur les quais de la Seine, ni au jardin du Luxembourg que vous trouverez un remède à vos maux. Mais ce n'est pas non plus dans l'air raréfié des montagnes, ni dans la riante campagne où le vent fait plier les moissons, où les jolis chemins sont bordés de pommiers, et où les petits liserons montrent leur corolle d'un rose si doux. Non, aux doubles-vécés tout cela ! C'est dans l'homicide de soi-même, cher ami, que vous trouverez enfin le repos 1.
1. Dix grammes de taupicide, en une seule prise.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
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