jeudi 16 août 2018

Holisme


La pensée de l'homme déféquant, lorsqu'il est orfèvre en son art, s'organise dans un système « total », où l'ontologie, l'historiosophie et l'esthétique s'imbriquent dans une unité indissoluble et odoriférante.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

Jeune femme lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Lexicologie


Disconvenable, adj. des deux g. Qui n'est pas convenable. « Laquelle Raoulle dist au suppliant qu'il estoit un malvais loudier, avec plusieurs autres paroles desconvenables et contre l'oneur dudit suppliant. » (Lett. de rémiss., année 1372 ; Trés. des Chartr., reg. 103, ch. 350). « Les épithètes disconvenables dont j'accable mon Moi l'irritent continûment. » (Rosemonde Gérard)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Cyclothymie


Après l'échec de son cours sur Parménide, Heidegger est sujet à des revirements d'humeur qui apparaissent par périodes et vont de l'excitation à la dépression. Le docteur Scheißkerl, maintenant à la retraite mais qui continue à voir l'ontologue, lui déclare qu'il est « cyclothymique ». Effectivement, un jour il exalte son propre génie et appelle les philosophes depuis Héraclite « une tribu de pygmées », et le lendemain, il décrit son œuvre « un amas de matière excrémentitielle ».

Sa femme lui dit qu'il est simplement angoissé et essaie de lui faire boire de la tisane, mais il lui rétorque hargneusement que l'angoisse est l'une des « dispositions » insignes du Dasein, que le « pour-quoi » le Dasein s'angoisse, c'est l'« être-au-monde » lui-même, que le Dasein est confronté à la nudité de son être, et par contrecoup à cela seul qui lui appartient en propre c'est-à-dire à son être « authentique », et cetera, et cetera.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Marasme inopiné


L'aspirant à l'homicide de soi-même s'enflamme subito presto quand il entend parler de réussites éclatantes comme celles d'un Crisinel, d'un Crevel ou d'un Rigaut. Il s'échauffe à la vue de tels triomphes, et se repaît de l'espérance flatteuse de réaliser lui aussi le « Grand Œuvre ». Mais à peine les premiers pas sont-ils faits (achat du taupicide ou d'un revolver) que les forces manquent : on s'effraie à la vue de l'espace qu'il faut parcourir, le découragement s'empare de l'âme... Et puis : « le soir tombe : on n'est plus très jeune. »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Du vide


D'après Aristote — qui, comme plus tard le mathématicien Cantor, était un être profondément antinihilique —, l'idée d'un espace sans matière mais pouvant contenir de la matière impliquait une contradiction.

Plus sagace était le philosophe médiéval Nicolas Oresme qui disait que « nos sens ne peuvent atteindre cette espace hors du ciel. Toutefois raison et vérité nous font cognoître que elle est » (Livre du Ciel, I, fol. 38 b).

L'homme du nihil, encore plus sagace, soutient que nos sens peuvent atteindre le vide (vu comme un « néant réalisé »), et qu'il suffit de prendre l'omnibus pour en faire l'expérience : « Oh ! ces visages, dans l'omnibus !... ces visages mornes, tassés et roulant, dans l'omnibus !... Et tout ce que contiennent de vide, tout ce que contiennent de néant tragique, ces yeux, ces yeux, ces yeux !... »


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Interlude

Voluptueuse beauté lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Apparences trompeuses


« Ne riez pas, jeune homme. Je parle de la bête qui vit sur l'Île Noire, dans les ruines du château de Ben More : c'est elle qui dévore tous ceux qui ont la témérité de s'aventurer par là... ».

C'est en ces termes que, dans une taverne écossaise, un vieux « raisin » agrippé à sa chope de bitter et coiffé d'un funambulesque tam o' shanter met en garde Tintin. La bête dont il parle, c'est bien sûr le gorille Ranko, ce quadrumane baraqué, ce « gros balaise à l'invraisemblable tignasse de mérinos noir, emmêlée, broussailleuse, exorbitante » (Gragerfis) dont le crapuleux Wronzoff se sert comme d'une arme mais qui se révélera des plus timide en face de Milou et dont on découvrira qu'il possède un cœur d'artichaut après que Tintin aura pansé son bras cassé.

Comme le suicidé philosophique, le gorille Ranko épouvante les foules, mais la terreur qu'il répand repose sur un horrible malentendu.


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Trajectoires


L'« homme de la Nature et de la Vérité » est une sorte de gnou qui fonce en ligne droite vers un terme inconnu qu'il s'imagine grandiose. Le suicidé philosophique, quant à lui, décrit une ligne circulaire dont l'extrémité le ramène à son état originel, c'est-à-dire le Rien — et son instrument de prédilection pour « boucler la boucle » est le revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe. C'est le totus teres atque rotundus d'Horace.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Théorème de complétude de Gödel


En logique mathématique, le théorème de complétude du calcul des prédicats du premier ordre établit une correspondance entre la sémantique et les démonstrations d'un système de déduction en logique du premier ordre.
En termes intuitifs, le théorème de complétude construit un pont entre vérité et démontrabilité formelle : tout énoncé vrai est démontrable.

Pourtant, des générations d'« hommes du nihil » se sont efforcées en vain de démontrer que
« rien n'est », alors même que la vérité de cet énoncé crève les yeux et qu'il peut facilement s'exprimer en logique du premier ordre !

En dehors de l'homicide de soi-même — qui n'en est pas une à proprement parler — existe-t-il une démonstration formelle dérivant cet énoncé des axiomes de la théorie en utilisant les règles d'un système de déduction comme la déduction naturelle, le calcul des séquents ou un système à la Hilbert ? Nous ne pouvons ici que poser la question.

(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Fatigue


Le soleil brille, la brise du matin vient caresser notre visage, les petits oiseaux gazouillent dans la campagne ; et pendant un instant, notre pensée qui s'éveille ne se reporte pas sur le lieu où nous sommes — le « fétide et rébarbatif réel » —, ni sur les souffrances qui couvent incessamment dans notre viscère et notre pachyméninge. Mais aussitôt que nous avons conscience de notre position, à la perspective d'une journée supplémentaire d'encellulement dans une haeccéité dont rien ne vient rompre la monotonie, notre cœur se serre, plein de tristesse et de désespoir, et nous cherchons des yeux une corde de violoncelle, une falaise du haut de laquelle nous jeter, ou un petit pan de mur jaune sur quoi nous fracasser.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

Jeune fille lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq